Et Daudet - La Bibliothèque électronique du Québec

J'eus même l'occasion de parler de lui naguère au sujet de sa géniale ...... et la
fanfare de la reine de Madagascar, etc., etc., etc., tous les pianos même ! ..... en
le faisant manier constamment et dans tous les exercices par son détenteur. .....
puisque cela semble lui faire plaisir, ? eut un professeur de philosophie dont la ...

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Alphonse Allais Deux et deux font cinq (2 + 2 = 5)
[pic] BeQ
[pic] Alphonse Allais
Deux et deux font cinq (2 + 2 = 5) La Bibliothèque électronique du Québec
Collection À tous les vents
Volume 592 : version 1.02 Du même auteur, à la Bibliothèque : Pour cause de fin de bail À se tordre L'affaire Blaireau Plaisir d'humour Faits divers Vive la vie ! À la une Image de couverture : Portrait-charge d'Alphonse Allais
par Sem, vers 1900.
© Selva / Leemage ADAGP Paris 2004.
Deux et deux font cinq (2 + 2 = 5) Édition de référence : Paris, Paul Ollendorff, Éditeur, 1895.
À Alfred Capus.
Polytypie
Je le connus dans une vague brasserie du Quartier Latin. Il s'installa près de la table où je me trouvais, et commanda six tasses
de café. - Tiens, pensai-je, voilà un monsieur qui attend cinq personnes. Erronée déduction, car ce fut lui seul qui dégusta les six moka, l'un
après l'autre, bien entendu, car aurait-il pu les boire tous ensemble, ou
même simultanément ? S'apercevant de ma légère stupeur, il se tourna vers moi, et d'une voix
nonchalante, qui laissait traîner les mots comme des savates, il me dit : - Moi... je suis un type dans le genre de Balzac... je bois énormément
de café. Un tel début n'était point fait pour me déplaire. Je me rapprochai. Il demanda de quoi écrire. Les premières phrases qu'il écrivit, il en froissa le papier et le
déjeta sous la table. Ainsi fut de pas mal de suivantes. Les brouillons de lettres jonchaient
le sol. De la même voix nonchalante, il me dit : - Moi... je suis un type dans le genre de Flaubert... je suis
excessivement difficile pour mon style. Et nous nous connûmes davantage. Comme une confidence en vaut une autre, je lui avouai que j'étais né à
Honfleur. Une moue lui vint : - Moi... je suis un type dans le genre de Charlemagne... je n'aime pas
beaucoup les Normands. Le malentendu s'éclaircit, et je sus d'où il était : - Moi... je suis un type dans le genre de Puvis de Chavannes... je suis
né à Lyon. Son père, un boucher des Brotteaux, avait tenu à ce qu'il débutât dans
la partie : - Moi... je suis un type dans le genre de Shakespeare... j'ai été garçon
boucher. De la bonne amie qu'il détenait, voici comment j'appris le nom : - Moi... je suis un type dans le genre de Napoléon Ier... ma femme
s'appelle Joséphine. La susdite le trompa avec un Anglais. Il n'en ressentit qu'une dérisoire
angoisse. - Moi... je suis un type dans le genre de Molière... je suis cocu. Joséphine et lui, d'ailleurs, n'étaient point faits pour s'entendre.
Joséphine avait la folie des jeunes hommes à peau très blanche. Et il
ajoutait : - Moi... je suis un type dans le genre de Taupin... (Le reste de la phrase se perdit dans la rafale.) Nous résolûmes, un jour, de déjeuner ensemble... Rendez-vous à midi
précis, j'arrivai à midi et une minute. Il tira froidement sa montre : - Moi... je suis un type dans le genre de Louis XIV... j'ai failli
attendre. De la sérieuse ophtalmie qu'il avait eue, il se voyait presque guéri, et
s'en félicitait de la sorte, variant sa formule, un peu : - Moi... je ne voudrais pas être un type dans le genre d'Homère ou de
Milton. Et puis, tout à fait éteint en son c?ur le souvenir de Joséphine, il en
aima une autre. Laquelle ne voulut rien savoir. Alors, il la tua. Et ce fut l'arrestation. Pressé de questions par le juge d'instruction, il se contenta de
répondre : - Moi... je suis un type dans le genre d'Avinain... je n'avoue jamais. Et ce fut la cour d'assises. Là, il voulut bien parler. - Moi... je suis un type dans le genre d'Antony... Elle me résistait, je
l'ai assassinée !... Le jury n'admit aucune circonstance atténuante. La mort ! Mal conseillé, Félix Faure ne sut point le gracier. Pauvre gars ! Je le vois encore, Pierrot blême, les mains liées sur le
dos, les pattes entravées, sa malheureuse chemise à grands coups de ciseaux
échancrée. Au tout petit jour, les portes de la Roquette s'ouvrirent. Il m'aperçut dans l'assistance, se tourna vers moi, et d'une voix
nonchalante qui laissait traîner les mots comme des savates, il me dit : - Moi... je suis un type dans le genre de Jésus-Christ... je meurs à
trente-trois ans.
Et Daudet ?
- Et Daudet ? me demanda le capitaine Flambeur. - Daudet ? m'interloquai-je. Quel Daudet ? - Eh bien ! Daudet, parbleu, l'auteur, Alphonse Daudet ! - À propos de quoi me parlez-vous de Daudet ? - Pour savoir s'il est un peu recalé. - Recalé ?... Daudet ?... Alors, subitement, une flambée de ressouvenance m'éclaira. - Ah ! oui, Daudet !... Eh bien ! oui, il est tout à fait recalé
maintenant ! - Tant mieux ! Tant mieux ! Pauvre gars ! Pour la clarté de ce récit, comme dit Georges Ohnet, il nous faut
revenir de quelques années en arrière. Le père Flambeur, un vieux capitaine au long cours de mon pays, le
meilleur homme de la terre, extrêmement rigolo (ce qui ne gâte rien),
débarqua un jour à Paris, pour voir l'Exposition de 1889. (Le but de ce voyage m'évite la peine de vous indiquer la date.) Tout de suite, il arriva au Chat Noir où je tenais mes grandes et
petites assises et me promut son cicerone. J'acceptai avec joie, le père Flambeur étant un joyeux et dépensier
drille, moi pas très riche, à l'époque (et pas davantage, d'ailleurs,
maintenant)[1]. Ce vieux loup de mer avait une manie étrange : connaître des grands
hommes. Je lui en servis autant qu'il voulut. À vrai dire, ce n'étaient point des grands hommes absolument
authentiques, mais les camarades se prêtaient de bonne grâce à cette
innocente supercherie, qui n'était point sans leur rapporter des
choucroutes garnies et des bocks bien tirés. - Mon cher Zola, permettez-moi de vous présenter un de mes bons amis, le
capitaine Flambeur. - Enchanté, monsieur. Ou bien : - Tiens, Bourget ! Comment ça va ?... M. Paul Bourget... Le capitaine
Flambeur. - Très honoré, monsieur. Émile Zola, autant que je puis me le rappeler, était représenté par mon
ami Georges Moynet, avec lequel il a une vague analogie. Quant à Bourget, son pâle sosie se trouvait être une manière de peintre
hollandais dont j'ai oublié le nom et qui n'a pas dégrisé pendant les deux
ou trois ans qu'il passa à Paris. Et le reste à l'avenant. Le malheur, c'est que le capitaine Flambeur avait meilleure mémoire que
moi et me mettait parfois dans un cruel embarras. - Tiens, s'écria-t-il tout haut, voilà Pasteur qui entre !... Hé !
Pasteur, un vermout avec nous, hein ! Régulièrement, Pasteur acceptait le vermout, à condition que ce fût une
absinthe. Pardon, Zola ! Pardon, Bourget ! Pardon, Pasteur ! Et pardon tous les
autres, littérateurs, poètes, peintres, savants, membres de l'Institut ou
pas ! Un jour, au tout petit matin... (Étions-nous déjà levés, ou si nous n'étions pas encore couchés ?
Cruelle énigme !) Un jour, au tout petit matin, nous passions place Clichy, sur laquelle
se dresse la statue du général Moncey (et non pas Monselet, comme prononce
à tort ma femme de ménage). Le piédestal de cette statue est garni d'un banc circulaire en granit,
sur lequel des vagabonds s'étalent volontiers pour reposer leurs pauvres
membres las. Un nécessiteux dormait là, accablé de fatigue. Son chapeau avait roulé à terre, un ancien chapeau chic, de chez
Barjeau, mais devenu tout un poème de poussière de crasse. Et, au fond du chapeau, luisaient encore, un peu éteintes, deux
initiales : A. D. - Tenez, capitaine Flambeur, regardez bien ce bonhomme-là. Je vous dirai
tout à l'heure qui c'est. - Qui est-ce ? - Alphonse Daudet. - Alphonse Daudet !... Celui qui a fait Tartarin de Tarascon ? - Lui-même ! - C'est vrai, pourtant. Voilà son chapeau avec ses initiales... Ah ! le
pauvre bougre !... Mais il ne gagne donc pas d'argent ? - Si, il gagne beaucoup d'argent, mais, malheureusement, c'est un homme
qui boit ! - C'est égal, c'est bien triste de voir un homme de cette valeur-là dans
cette purée ! - Ah ! oui, bien triste ! Mais, pour moi, un homme qui boit n'est pas un
homme intéressant. - Je ne vous dis pas, mais... si on le réveillait pour lui payer à
déjeuner ? - Gardez-vous-en bien ! Daudet est malheureux, mais très fier. Alors, très discrètement, le bon papa Flambeur tira une pièce de cent
sous de son porte-monnaie et l'inséra dans la poche de l'auteur des
Kamtchatka. J'avais oublié cette histoire : il a fallu, pour me la rappeler, que le
capitaine Flambeur me demandât, l'autre jour : - Et Daudet ?