Chapitre 11 - L'esprit économique impérial

Exercice 3 (CE2/CM1). Dans le pré qui entoure l'étang ... Exercice 8 (CM2/6ème).
Dans une boîte, il y a des jetons. ..... Exercice 30. Place les nombres de 1 à 9 ...

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Chapitre 17
Le temps des révolutions (1954-1974) : changer pour survivre ?
La Cfao a réussi sa ''reconstruction'' en 1944-1954 et a même atteint, en
1950-1952, une expansion géographique, commerciale et quantitative
considérable. Peut-elle envisager de vivre le dernier tiers de son
centenaire en ''reine de l'Afrique'' commerciale, riche de son négoce des
produits et de son expertise dans les marchandises ? L'accès à la
présidence de Morelon, au départ à la retraite de Guithard, n'est-il qu'une
transition banale, qu'une relève de générations ? Or, le jour de la
transmission des pouvoirs, le nouveau président proclame une stratégie
faite de clairvoyance et de mobilité car, si la Compagnie attend son
centenaire sans s'imposer de changements, elle sera balayée par
l'Histoire : en effet, « par sa nature de pays neuf, notre Afrique est
vouée à une incessante évolution, marquée de loin en loin par des tournants
très accentués. De cette instabilité, il résulte que les formes de notre
activité et de notre organisation revêtent forcément un caractère de
provisoire qui les prive, dans une très grande mesure, de l'avantage qui
s'attache d'ordinaire et bien naturellement à l'?uvre accumulée des années
passées. Nous nous trouvons en ce moment même à l'un de ces tournants [...]
et nous assistons même à une accélération jamais atteinte du rythme de ces
transformations qui gagnent tous les domaines à la fois et qui rendent
illusoire le bénéfice des situations acquises, pour ne laisser de chances
qu'à des solutions entièrement nouvelles. D'où la nécessité, plus
impérieuse probablement que dans n'importe quelle autre catégorie
d'entreprise, d'un constant état d'alerte et d'un perpétuel effort
d'adaptation, c'est-à-dire de création »[1]. Comment un président d'un niveau scolaire aussi modeste peut-il réussir la
métamorphose de la Compagnie ? En effet, Morelon est un ancien élève de
l'École pratique de commerce et d'industrie de Limoges, c'est-à-dire de ce
qui correspond aujourd'hui à nos lycées professionnels, dont les jeunes
sortent avec un certificat d'aptitude professionnelle ou un brevet
d'aptitude professionnelle[2]. Comment peut-on ne pas faire appel au membre
d'un de ces grands corps qui forment l'armature des directions des grosses
entreprises françaises, à un Polytechnicien, à un Corpsard, à un Piston,
dont d'ailleurs des représentants ?uvraient, depuis l'après-guerre, au
service industriel de la Compagnie ? Pourtant, dans la tradition de la Cfao, c'est à l'homme ''sorti du rang''
que l'on confie la ''casquette'' suprême. Outre ses caractéristiques
personnelles qui échappent à l'analyse rationnelle de l'historien, même si
elles constituent indéniablement un élément clé des capacités du manageur,
Morelon, d'ailleurs doté aussi du diplôme de l'École coloniale du Havre,
dispose d'une remarquable expérience de l'Afrique, comme la majorité des
cadres de la firme qui ont fait leurs classes sur le terrain et ont accédé
aux postes d'Agent, d'Agent principal ou d'Agent principal-inspecteur. Il
lui ajoute un sens de la direction, de l'organisation (ou de la
réorganisation), de la supervision, qu'il a affiné lorsque, pendant un
lustre, il s'est trouvé le patron des comptoirs africains coupés de la
Métropole. Cet ''art du chef'' a été perfectionné enfin auprès de Guithard.
Celui-ci a su créer une tradition, celle où le président appelle auprès de
lui non pas seulement un adjoint, comme l'avait fait Bohn avec Maillat et
Mathon ou comme lui-même l'avait pratiqué avec Loyrette, mais un successeur
potentiel. Il a su renouveler ce que Le Cesne, là encore perspicace et
''stratège'' dans la compréhension et la gestion des hommes, avait réalisé
à l'égard de lui-même dans les années 1920. Morelon a suivi ainsi, à partir
de 1948, un ''apprentissage de patron'' qui a bien complété son diplôme de
l'Epci. Morelon imprime toutefois une orientation originale à l'exercice de la
présidence. En effet, alors que Bohn, Le Cesne et Guithard (après sa
décennie africaine) étaient somme toute des métropolitains invétérés -
encore que Bohn effectuât moult voyages outre-Manche -, Morelon s'affirme
comme un patron globe-trotteur. Comme son lointain prédécesseur, il
n'hésite pas à gagner Liverpool ou Manchester (mais en avion). Il inaugure
surtout ce qui devient désormais une tradition : le président se rend dans
les comptoirs eux-mêmes pour analyser la situation, percevoir la réalité,
discuter des solutions avec les hommes de terrain. D'ailleurs, avant et
après son intronisation, il effectue deux périples en Afrique, de décembre
1953 à février 1954, pour « constater les changements qui influencent
l'orientation de nos affaires » et en décembre 1954 au Sénégal, pour
évaluer l'ampleur de la crise qui frappe la vie politique et économique de
ce territoire. Tout indique que ces années 1953-1956 représentent un tournant dans
l'Histoire de la Compagnie, non pas que, comme ses cons?urs de Métropole,
elle s'engage dans l'expansion des Vingt Glorieuses[3], mais parce que la
fertilité de son terroir, l'Afrique occidentale, semble plafonner, comme si
les labours intenses ne suffisaient plus : faut-il alors envisager une
migration, le défrichement de ''terres vierges'' dans d'autres contrées ?
Est-ce la fin de ''l'économie de traite''[4] ? 1. Les mutations de l'environnement africain de l'activité de la Cfao Les forces qui se montraient ici et là et de temps à autre en Afrique
occidentale dans la décennie d'après-guerre se déploient soudain avec
invincibilité. Le mouvement ''national-ehtnique'' acquiert maintenant une
puissance irréfragable. Nkrumah entraîne la Gold Coast vers l'indépendance
dès mars 1957, quand naît le Ghana. Si la Compagnie souhaite bon vent au
jeune État, elle note tout de même que, « en quelques années, les facteurs
d'un équilibre longuement éprouvé se sont trouvés affectés, de même que les
notions que l'on pouvait tenir pour sagement établies, relativement au
rythme et à l'ampleur des transformations supportables dans des régions à
peine sorties de leur première croissance. Les chocs de la dernière guerre
et l'essor du progrès matériel ont précipité une effervescence exigeant des
adaptations très rapides »[5]. Une nouvelle Afrique politique se met en
place, ce qui modifie le cadre de l'activité commerciale. A. De la décolonisation politique à la décolonisation économique ? Le cadre institutionnel où se meut la Cfao est bouleversé[6] dans la
seconde moitié des années 1950 : l'autonomie du Togo en 1955, dont
s'inspire la loi Defferre de juin 1956 et ses décrets d'application de mars
1957 qui établissent l'autonomie des territoires français d'outre-mer, la
loi gaulliste d'août 1958 lançant une Communauté d'Etats autonomes
associés, l'indépendance-rupture de la Guinée décidée en septembre 1958,
l'indépendance sereine de toute l'Afrique Noire en 1960, sont autant de
novations provoquantes. Les Africains ''lettrés'' prennent le pouvoir
politique, comme L. Senghor au Sénégal en septembre 1959 quand éclate la
Fédération du Mali constituée à l'automne 1958 : vont-ils conquérir aussi
le pouvoir économique ? Déjà ébranlée par cette mutation politique, la Compagnie doit subir les
contrecoups des luttes qui agitent certains pays qui peinent à stabiliser
leurs rapports de forces partisans, idéologiques[7] ou sociaux. Coups
d'État, ''révolutions de palais'', évictions de dirigeants, changements
brusques de cap, jonchent la chronologie des années 1960-1970, comme au
Congo où deux ''chocs'' éclatent en 1963 et 1968. Or l'économie de marché,
le capitalisme, le libre commerce deviennent souvent les cibles de régimes
soucieux d'affirmer leur indépendance économique au même titre que leur
indépendance politique, et enclins à mêler ''colonialisme'' et
''impérialisme économique''. Le Congo institue ainsi dès 1963 le
''socialisme'' et même, en 1970, devient la ''République populaire du
Congo''. Les tensions politiques entre la France et certains pays africains
sapent la quiétude commerciale, comme quand le Nigeria s'indigne des
explosions nucléaires au Sahara en 1960-1961 et rompt ses relations
diplomatiques avec elle, ou quand il s'insurge, en 1967-1970, contre la
reconnaissance du Biafra par les pays proches de la France, accusée de
soutenir la dissidence, de lui fournir des armes, voire de nourrir des
projets voraces vis-à-vis des gisements de pétrole de l'Est nigérian.
D'ailleurs, les installations de la Compagnie souffrent des destructions
causées par les combats (en particulier à Onitsha) et doivent être
reconstruites en 1970, quand la paix est rétablie. La Cfao, parce que française, confondue avec l'éternité du Temps colonial,
et placée au carrefour des échanges libres, n'a-t-elle pas vocation à
devenir un symbole de l'oppression et de l'aliénation colonialiste, puis
une cible de la décolonisation ? Bref, comment peut-on envisager qu'on la
laisse vivre jusqu'à son centenaire ? B. L'Afrique est-elle encore viable ? La Compagnie avait pris l'habitude de travailler à l'échelle de « la
Côte », en fonction d'une certaine unité des économies locales, dans le
cadre de trois blocs essentiels, l'Aof, la British West Africa et l'Aef,
même si, au sein de ces ensembles, chaque territoire gardait sa
spécificité, par exemple juridique ou commerciale. Cette conception
correspondait à la réalité du commerce africain, organisé autour de grands
axes dont l'une des extrémités était un grand port (ou, avant, une
''Rivière'') : Dakar, Freetown et Conakry, Abidjan, Lagos, ne se
concevaient pas sans leur vaste arrière-pays, grâce à un rayonnement
dépassant largement les limites territoriales artificielles. Or, désormais, chaque État se hérisse de barrières au nom de son
indépendance. La Fédération du Mali, qui tentait de maintenir l'unité de
l'hinterland dakarois, s'effondre vite. Heureusement, l'Afrique occidentale
parvient à surmonter en partie ses tendances centrifuges. « Le besoin d'une
entente africaine sur une grande échelle est communément ressentie par tous