Hernani, ses parodies - Groupe Hugo

Ici l'invraisemblance cesse, et nul chef de voleurs, dans l'exercice de ses
fonctions, ne pourrait parler plus naturellement[45]. ...... De tout ceci, il ressort que
le type de jeu requis par la parodie comporte de la verve, de la gaieté, ainsi qu'à l
'occasion de l'emphase et un tragique affecté, comme le fait apparaître, par
exemple, ...

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HERNANI Introduction. La notion de parodie est en honneur chez les romantiques - même s'ils
s'en défendent, tels Jules , dans la préface de L'Ane mort et la femme
guillotinée : « [...] si mon livre était par malheur une parodie, c'était
une parodie sérieuse, une parodie malgré moi [...][1] ». Pour Hugo, la
parodie résultant de l'interaction du grotesque et du sublime, prend place
dans une esthétique de la synthèse, de la complémentarité :
Car les hommes de génie, si grands qu'ils soient, ont toujours en eux leur
bête qui parodie leur intelligence. C'est par là qu'ils touchent à
l'humanité, c'est par là qu'ils sont dramatiques. "Du sublime au ridicule
il n'y a qu'un pas", disait Napoléon, quand il fut convaincu d'être homme
[...][2] Pourtant, en 1830, les romantiques - Hugo principalement - sont la cible,
non les auteurs[3], des parodies qui déferlent sur les théâtres
secondaires, de mars à juillet. C'est qu'alors la parodie est considérée
comme un genre frivole, l'apanage d'auteurs mineurs qui sont impuissants à
créer - sauf à suivre pas à pas l'illustre modèle dont ils se gaussent...
Pourtant, la pratique de la parodie est à l'origine aussi canonique
que l'existence des genres réputés sérieux : comme le rappelle Bakhtine,
depuis l'Antiquité, tout discours peut engendrer un double parodique qui le
travestit, le persifle, et lui inflige « le correctif du rire et de la
critique, le correctif de la réalité[4] ». Au XVIIIe siècle, l'existence
des privilèges envenime la satire - les comédiens de la Foire décochant à
leurs rivaux des Français force « épigrammes salés », et « irrévérencieuses
bouffonneries[5] ». En 1830, c'est contre Hugo, perçu comme le chef de file
des « camarades », que se déchaîne la vindicte journalistique et
dramatique.
La bataille d'Hernani se déroule en février, le mois du Carnaval -
que J.C. Fizaine considère comme « une répétition générale de la
Révolution[6] » - et les escarmouches auxquelles se livrent bataillons
romantiques et arrière-garde classique sont les prémisses des émeutes de
Juillet. Le soir de la première, s'affrontent sur le terrain les tenants de
la tradition et les novateurs, partisans du libéralisme en littérature.
Mais les railleurs ont devancé l'échéance, et ils réitèreront leurs
plaisanteries au gros sel, à l'occasion de la représentation ultérieure du
drame de Dumas, Christine, ou dans le cadre de charges plus globales contre
la « nouvelle école[7] ».
D'où un corpus multiforme, qui comprend une revue de l'année 1829,
jouée au Vaudeville le 24 décembre, alors qu'Hernani « n'est pas encore
né[8] » ; quatre parodies[9] d'Hernani, se succédant dans un délai d'un
mois après la bataille ; en avril, une parodie de Christine multipliant les
allusions au « héros castillan » ; en juin, une machine de guerre contre
les Brioches à la mode, « camaraderie » dans laquelle Hernani est
interprété par un enfant ; à quoi il faut ajouter deux textes
pamphlétaires, commentaires de la pièce du point de vue d'un naïf
spectateur populaire, Fanfan le troubadour, ou d'un lecteur
particulièrement malveillant, prétendument « infirmier de l'hospice de la
Pitié ». Reste la Lettre trouvée par Benjamin Sacrobille, chiffonnier sous
le n° 47, brulôt lancé contre la « cafarderie littéraire[10] », émanant
sans doute d'un proche de Hugo[11], mais souvent classé parmi les
parodies[12] - par incompréhension de l'ironie, pourtant insistante ? - ce
qui pose le problème d'une définition rigoureuse du terme de parodie.
La plupart des critiques qui s'y sont intéressés[13] s'accordent sur
les caractéristiques suivantes : elle récrit un texte connu, dont elle
emprunte ostensiblement la trame, et qu'elle cite à l'occasion ; elle
postule un écart, nécessairement perceptible, par rapport au modèle dont
elle altère le sens ; enfin, elle opère une stylisation dudit modèle, en
exhibant les procédés, en traquant les stéréotypes. Surgissent alors des
différences d'appréciation : selon les uns (Bakhtine et les formalistes
russes), la parodie, genre populaire, est un vecteur du dialogisme, et
assure le renouvellement des formes littéraires ; pour d'autres (Barthes,
Kristeva), en revanche, elle est une parole dogmatique, castratrice.
L'étude des parodies d'Hernani et du romantisme en 1830 rend
problématique l'adhésion à l'un ou l'autre point de vue, car les textes
considérés sont ambivalents : ils colportent le discours dominant, et s'en
démarquent ; ils sont normatifs et émancipés ; ils vilipendent le drame
hugolien et l'exhaussent... Reste que leur irrévérence, la relative licence
qui leur est concédée - au plus fort d'une surveillance tatillonne de
l'expression - les rendent moins négligeables qu'on veut bien le dire.
On verra d'abord que la parodie en 1830 n'est pas une création
originale, mais un genre parasite, dont l'ambition est de décrire - de
récrire - son modèle, en le critiquant ; puis qu'on a affaire à une
littérature de l'entre-deux, tournée vers le passé, mais miroir de
l'actualité, et de la dérision généralisée, qui renvoie dos à dos perruques
et perruquiers ; enfin qu'elle secoue pour son propre compte le joug de la
censure, tout en abondant officiellement dans son sens, qu'elle aggrave sa
cible, et la rend, au bout du compte, plus turbulente. 2 Un genre parasite
1 L'asservissement au modèle. A lire les parodies d'Hernani, on ne peut qu'être frappé par la faible
inventivité déployée par leurs auteurs, ce qui est inhérent au genre,
certes, mais aussi emblématique du théâtre de l'année 1830, théâtre du déjà
dit et de la production en série. En effet, la parodie est inféodée à son
modèle, et minée par les poncifs du genre. 1 Titres et sous-titres. D'emblée, le titre, s'il affiche l'emprunt, désigne aussi l'écart. La
première pièce, jouée le 12 mars sur le théâtre de la Porte Saint-Martin,
s'intitule N, i, Ni ou Le danger des castilles : les « castilles », au sens
de démêlés, querelles[14] rappellent l'Honneur castillan, moyennant un jeu
de mots. Quant au patronyme, il était orthographié « Henini » dans le
manuscrit, ce qui ajoutait la ressemblance écrite à la ressemblance sonore,
mais prêtait moins à rire. « N, i, Ni » atteste la recherche du calembour
et dévalorise le héros éponyme par la négation, comme le fait également
« Oh ! qu'nenni », source inépuisable de subtils jeux de mots, dont voici
un exemple, renouvelé d'Homère :
Joséphine. [...] On frappe encore. Qui est là ?
Oh ! qu'nenni.
C'est moi.
Joséphine. Qui, vous ? dites votre nom.
Oh ! qu'nenni.
Oh ! qu'nenni.
Blaguinos. Méfiez-vous, il ne veut pas se nommer.
Joséphine. Mais, si, il se nomme.
Blaguinos. Il dit : Oh ! qu'nenni.
Joséphine, à part.
C'est l'autre, à c't'heure... Qu'est-ce qu'il va dire[15] ? Le sous-titre, Le mirliton fatal, est tout aussi dépréciatif, insinuant que
le drame hugolien est rimé en vers de mirliton... L'auteur de Harnali ou La
contrainte par cor, jouée plus tardivement, ne veut pas être en reste
d'esprit : outre le jeu sur les homonymes cor/corps, le titre contient une
allusion au nom de l'acteur qui incarne le personnage sur la scène du
Vaudeville, à savoir Arnal[16]. Là encore, l'étude du manuscrit n'est pas
sans intérêt : la graphie initiale étant Arnali, on constate que le
repentir va dans le sens de l'asservissement à l'objet imité[17]. Ces trois
titres vérifient parfaitement la remarque de J.P. Davoine, dans son étude
de la parodie par Scribe de Lucrèce Borgia[18] :
Un titre canonique de parodie ne peut se lire de façon autonome, il doit
faire référence soit à la forme du titre, soit au contenu du modèle
parodié, soit aux comédiens qui en ont créé les rôles. C'est le théâtre des Variétés qui affiche le titre le plus sobre :
Hernani. Le manque d'autonomie est alors poussé jusqu'au plagiat, suite à
des tractations avec la censure qui a refusé le titre primitif Les
Nouvelles Folies d'Espagne ou L'invasion des Goths - même amendé
ultérieurement en Hernani, imité du Goth - probablement en raison du renvoi
trop direct à Hugo. Le fait que l'écart par rapport à l'hypotitre[19] soit
ainsi gommé est conforme au parti-pris de l'auteur, l'obscur Maneuveriez :
dans le prologue[20], il imagine (un peu comme dans Hamlet) que des
comédiens sont mandés dans un château pour donner une représentation
d'Hernani. Mais la troupe, dépouillée en route du manuscrit, des rôles et
des costumes, est contrainte d'improviser à partir de vagues souvenirs.
Cette circonstance autorise de grossières distorsions par rapport au texte
joué aux Français - d'autant plus perceptibles que le travestissement (des
personnages, de leur condition sociale) est moindre ! 2 L'intrigue décalquée. La même servilité affecte la structure des parodies. L'analyse de
J.P. Davoine :
L'auteur de parodie se montre incapable d'imaginer une intrigue différente,
il reste dominé par celle du modèle qu'il se contente de travestir. reformule d'un ton plus acerbe[21] celle qu'inspire aux censeurs de 1830 la
« facétie » des Variétés : « L'auteur ou les auteurs y ont suivi pas à pas
l'action ou les actions du drame de hernani[22] » ou la pièce du
Vaudeville :
Les auteurs de cette pièce n'ont pas fait une grande dépense d'imagination.
Arnali est un calque du drame de M. Hugo. La division des actes est la
même, ainsi que l'ordonnance des scènes[23]. De fait, la structure en cinq actes est importée jusque sur la scène de