L'explication de texte littéraire : un exercice à revivifier - Lettres et ...

L'explication de texte littéraire : un exercice à revivifier. Intervention au séminaire
interacadémique sur les nouveaux programmes de lycée. IA-IPR de Lettres ...

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L'explication de texte littéraire :
un exercice à revivifier.

Intervention au séminaire interacadémique sur les nouveaux programmes de
lycée.
IA-IPR de Lettres / Professeurs formateurs.
Les 16 et 17 mars 2010.


Pour une discipline, la parution de nouveaux programmes, les
infléchissements et objectifs rénovés qu'ils proposent, sont une occasion
précieuse de réfléchir aux exercices canoniques qui sont en usage dans les
classes. Chacun s'accorde à reconnaître que ce bel exercice de
l'explication littéraire, tel qu'il se pratique aujourd'hui dans beaucoup
de cours de lettres, est, sinon à refonder, du moins à rénover. C'est
Valère Novarina, le grand promoteur de la Parole vive au théâtre, qui a
sans doute porté l'estocade la plus fatale mais aussi la plus salutaire.
Lisons-le une fois encore, pour prendre la mesure d'un problème connu de
beaucoup mais surtout pour nous efforcer de travailler à rendre caduque
l'actualité de ce texte et d'en faire bientôt, au plus vite, un document
daté, un mauvais souvenir largement dépassé :


« La scène la plus comique du Malade imaginaire est celle où le jeune
Thomas Diafoirus, pour la charmer, propose à sa fiancée une séance de
dissection : ainsi procèdent les manuels scolaires qui présentent un
fragment d'?uvre recouvert d'un compliqué appareillage : notes, notules,
astérisques, encadrés, flèches pointillées, renvois, rubriques, sous-
notules. Un morceau de littérature s'offre à nous comme le b?uf en effigie
chez le boucher : gîte à la noix, macreuse, tendron, contre-filet, second
talon, bavette, flanchet, échine et jambonneau...Un morceau de texte est là
comme un cadavre sur la page, ouvert et prêt à être décortiqué...Juste à
côté, la panoplie de scalpels : adjuvants séquentiels, dislocuteur-sujet,
morphème vectorisant, charmeur sensoriel, moteur de temporalisation, levier
métaphorique, pinces carnatives, transvaseur potentiel, locutant,
brumisateur spatiotemporel, prélocuteur second, écarteur de doute,
phonorisateur de e muet, vecteur de métachronie, agent discursif,
désagisseur vocalisant, excitant du circuit ?il-corde vocale dans la
lecture subvocalisée, mobilisateur oculaire du nominateur par défaut,
dénominateur causal, agent chronotrope.
205. Devant le cadavre - la page arrachée au livre et que l'on épingle,
devenue un objet étale et fléché- livré aux Sciences de la Communication,
élèves et professeurs deviennent médecins légistes. Tout le monde est
rassemblé et les instruments sont prêts pour que s'ouvre une leçon de
Littérature légale.
206. Seul le cadavre sera atteint...L'utilité d'une dissection est
surtout de nous enseigner comme la vie nous échappe : l'esprit du texte ne
peut être touché par le scalpel...L'esprit du texte, c'est le souffle donné
par toi, lecteur : l'action de ton haleine qui soulève les mots, trouve le
mouvement, l'émotion, rassemble les pages, les nage, redonne vie aux
lettres mortes et fait du livre un seul corps dansant. L'esprit du texte,
son souffle, est une réalité matérielle invisible et très concrète, qui
restera à jamais hors d'atteinte des flèches pédagogiques. (...)
212. En ces temps de communication galopante, c'est à dessein que les
manuels coupent le souffle. Otent l'esprit. Ils veulent faire de chacun
d'entre nous des écouteurs de signaux, des obéisseurs dociles, des
exécuteurs à deux temps, des parleurs monosyllabiques. De parfaits sujets
dressés à acheter, rire et pleurer, s'indigner, s'enthousiasmer tous
ensemble - où il faut, quand il faut ; ils nous ôtent le souffle pour
tenter de nous assujettir aux formules, slogans - et que nous devenions des
animaux bien dressés à exécuter, à brandir des mots creux : abrégés,
comprimés, décharnés, compactés, formatés et vite dits, des « mots
surgelés » - et que nous devenions des télégraphes à saisir au plus vite et
à instantanément transmettre les signaux reçus ! C'est très-très sciemment
que la chair très obscure et très impure du langage : son ombre, son sous-
sol, sa mémoire, ses méandres, son esprit spiral, ses volutes, sont partout
interdits - et de partout chassés -, et qu'il faut désormais parler clair
en langue aseptique - et écrire en déjà traduit.
213. Au lieu qu'il faudrait descendre de plus en plus dans le langage,
dans son corps profond, dans son labyrinthe, dans sa caverne incandescente,
dans son drame. Parce que, dans l'intériorité du langage,- dans la
profondeur de son corps, dans son passage inverse, dans son théâtre
paradoxal, dans son carnaval de renversement -opèrent - en toi et devant
toi -, t'agissent, les forces qui régissent le monde matériel...Aussi les
hommes ne devraient-ils plus dire : « Voyons le monde et par le langage
communiquons nos idées et nos impressions », mais : « Descendons dans le
langage pour en savoir plus ! (...)
215. Les forces qui régissent l'univers et celles qui architecturent le
langage sont identiques.
216. C'est pourquoi, le texte mort, écartelé, découpé, brisé, accablé
de flèches, perclus de notes, il convient de le relire sans cesse, d'y
nager jusqu'à l'unir d'un souffle en le brûlant par notre respiration. La
vie -le souffle -, il n'en a pas ; il le recevra par le don de celui qui
l'a pris dans ses mains.
217. « Brûlez les livres de votre respiration ! » C'est une leçon de
physique séraphique.[1]






Texte très jubilatoire, provocateur mais roboratif, d'inspiration très
rabelaisienne par ses allusions à la page célèbre du Quart-Livre sur les
« paroles gelées ». Il nous lance aujourd'hui un défi : comment ne pas
abandonner l'explication de texte aux possibles Diafoirus ? Comment
« dégeler » les pratiques et les discours ?






I. De l'intérêt des apports de la nouvelle critique. L'héritage
« formaliste ».




Rien de plus contraire à la tradition et à la sérénité d'une discipline
que les virages à 180 degrés. Le « retour du sens » dans les cours de
Lettres et la pratique de l'explication de texte, souhaité et souhaitable,
ne signifie pas qu'il faille maintenant tourner le dos au meilleur de deux
ou trois décennies de recherches universitaires qui ont, rappelons-le,
beaucoup fécondé le champ épistémologique des études littéraires. Rénover
l'explication de texte ne signifie pas, mécaniquement, revenir à on ne
saurait qu'elle époque bénie du passé, forcément idéalisée par la
nostalgie. A une idolâtrie formaliste, substituer maintenant, comme par un
brutal retour de balancier, une idolâtrie inverse des contenus de sens, des
idées ou du « message » des textes, soutenu par une approche
impressionniste voire effusive des auteurs, serait tout autant dommageable.
En prenant d'ailleurs un certain recul historique, on mesure qu'une
tension, féconde en elle-même, a toujours prévalu dans les réflexions sur
l'enseignement des lettres et notamment sur l'explication de texte
littéraire. Tension entre une approche plus soucieuse de « poétique » au
sens rhétorique du mot, et une tradition plus sensible aux « humanités ».
Concurrence, en vérité ancienne, entre deux formes de génie herméneutique,
que Ricoeur appelle d'un côté la « génialité romantique », assumant
pleinement sa subjectivité et ses audaces interprétatives, et la
« virtuosité philologique »[2], éprise d'objectivité et soucieuse de
rigueur formelle. Selon les époques, l'une l'emporte sur l'autre, à l'excès
parfois, d'où la nécessité de corriger alors les dérives pour rééquilibrer
les approches. Ainsi, en 1947, Marcel Cressot s'insurgeait contre une
didactique de l'explication de texte peu sensible à leur forme, et
fossilisée, déjà, dans des pratiques très mécaniques les réduisant souvent
aux « idées » :


« Voilà trente ans qu'on pratique l'explication française, parfois avec
talent, souvent dans la routine, avec des cadres préétablis qu'on garnit de
trois ou quatre lieux communs, la paraphrase se chargeant du reste. Nul
n'ignore, au surplus, qu'à partir de la troisième, la grammaire est
éliminée avec tout ce qu'elle comporte au profit des « idées ». Aussi n'est-
il pas au baccalauréat d'épreuve plus décevante que l'explication
française »[3]


Incontestablement, il y eu autrefois de très bons maîtres ; il y en eu
aussi de moins bons... Et il y eu autrefois des explications de texte,
adeptes du catalogue des idées, qui n'expliquaient rien du tout ! En 1899,
Antoine Albalat déplorait de son côté les fadeurs d'un cours de littérature
et les platitudes des usages explicatifs de son temps, à l'?uvre par
exemple dans le commentaire d'une fable de La Fontaine, « L'hirondelle et
les petits oiseaux » :


« Le plan est bien suivi. Le poète nous met l'hirondelle sous les
yeux...Cette incidente est d'un effet charmant...Les expressions sont
pleines de délicatesse. Cette comparaison est pleine d'à-propos. »[4]


Incontestablement, l'ancienne critique (prompte à refermer la liberté
du jeu herméneutique) et par conséquent les anciennes pratiques de
l'explication qui lui étaient liées, souffraient souvent d'un certain
« malthusianisme interprétatif »[5]. Ressassement d'évidences, axiologie
très marquée, redites souvent plate des textes, objets de relevés (déjà !),
mais plutôt celui des idées (les passions chez Corneille ou Racine),
ponctuellement complétés par celui des élégances de style pour pimenter
l'analyse. Heureusement, Proust vint avec le C