entreprise sans usine, alcatel
Ils peuvent servir à inventer des formes d'organisation non structurées
particulièrement efficaces dans l'exercice du contre-pouvoir, comme nous le
verrons avec le Réseau éducation sans frontières (RESF). On a aussi vu ......
Document 2 : Laurence Girard, « L'explosion du « photophone » », Le Monde, 31
décembre 2005.
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Alcatel se donne dix-huit mois pour devenir une « entreprise sans usine »
Serge Tchuruk veut ramener de 120 à 12, voire moins, le nombre de ses sites
de production dans le monde. Le géant français des télécommunications
entend rétrocéder à des sous-traitants ses activités industrielles les plus
lourdes, et se recentrer sur la recherche-développement et les services (Le
Monde du 28 juin 2001, article de Laurence Girard)
PASSER de 120 à 12 usines en dix-huit mois... C'est le tour de force que
souhaite réaliser Alcatel. Le PDG du géant français des télécommunications
a déclaré mardi 26 juin 2001 à Londres, lors d'un colloque organisé par
le Wall Street Journal : « Nous souhaitons être très bientôt une entreprise
sans usine. » Et des objectifs très clairs ont été fixés puisque
l'équipementier envisage de ne posséder dans le monde plus que douze
usines, voire moins, dès la fin de 2002. L'annonce a été très bien
accueillie par la Bourse, le titre Alcatel affichant une hausse de 3,3 % à
l'ouverture, mercredi 27 juin 2001, à Paris, alors qu'il avait perdu près
de 8 % lors des deux précédentes séances.
Bien sûr, Serge Tchuruk n'a jamais caché que le contenu industriel des
activités de télécommunications ne cessait de se réduire et qu'il
souhaitait réorienter l'entreprise vers ses métiers de recherche et
développement et de marketing. Mais cette fois il s'agit d'une accélération
brutale du processus. Cette restructuration massive, sans équivalent, est à
mettre en perspective avec les annonces publiées ces derniers mois par tous
les grands équipementiers mondiaux qui se sont engagés dans des plans de
suppression d'emplois spectaculaires. Nortel devrait se séparer de près
d'un tiers de ses effectifs ait cours de l'année, soit près de 30 000
suppressions d'emplois ; Lucent s'apprête à supprimer 20 000 emplois,
Ericsson 13 000, Siemens 8 000, Motorola 11 000.
Alcatel qui emploie 110 000 salariés dans le monde, se refuse, pour sa
part, à chiffrer l'impact de cette restructuration sur ces effectifs. II
est vrai que le groupe français qui possède encore plus d'une vingtaine
d'usines en France, sait que le sujet y est particulièrement sensible.
Seule la filiale américaine a pour l'instant officiellement annoncé la
suppression de 2 000 emplois. À cette première mesure, s'est ajoutée mardi
26 juin une offre de départs volontaires faite à 9 000 salariés américains.
Le numéro quatre mondial du marché des équipements de télécommunications
est à nouveau dans la tourmente. Après sa récente fusion avortée avec le
géant américain Lucent (l0e Monde du 31 mai), Alcatel a dû reconnaître
qu'il était touché, à l'instar de ses concurrents, par la baisse des
dépenses des opérateurs. Le 29 mai, le groupe a précisé qu'il prévoyait une
perte nette d'environ 3 milliards d'euros au deuxième trimestre liée, liée
en partie au coût des restructurations envisagées. Serge Tchuruk avait
alors souligné que le groupe souhaitait se recentrer sur le métier de
fournisseur d'équipements pour les opérateurs et le segment spatial. Une
décision stratégique qui laissait entendre que le PDG du groupe allait une
nouvelle fois trancher dans le vif et élaguer le portefeuille d'activités.
Après le projet de mise en Bourse de son activité de câbles, Nexans
finalement concrétisé en juin, Alcatel a engagé un double désengagement de
l'activité de téléphonie mobile d'une part et de l'activité réseaux
d'entreprises d'autre part. Le groupe souhaite également se séparer de
l'activité composants et cherche toujours un repreneur pour sa filiale
Saft, spécialisée dans les batteries. Des pourparlers pour la reprise de
Saft ont jusqu'à présent échoué mais des rumeurs font état de discussions
avec Sagem dont le nouveau patron, Grégoire Olivier, n'est autre titre l'ex
dirigeant de Saft.
Pour accélérer ce processus de désengagement, alors que le recherche de
partenaires n'est pas chose aisée, Alcatel a donc décidé de mettre en vente
officiellement l'ensemble de ses usines. Cette fois, les acheteurs
potentiels sont clairement identifiés. Des sociétés quasi inconnues il y a
encore un an ou deux sont apparues sur le devant de la scène. Que ce soit
l'américain Solectron, le singapourien Celestica, ces sociétés grandissent
à toute allure en se portant acquéreur de toutes les usines cédées à tour
de bras par les équipementiers de télécommunications. Alcatel a testé cette
approche en France e» négociant avec Flextronics la cession de l'usine de
Laval. L'accord définitif devrait être signé la semaine prochaine. Les
salariés d'Alcatel ont accepté le principe de devenir salariés de
Flextronics dès cet été. Une prime d'externalisation de 3 750 Euros sera
versée à chacun. Alcatel s'est engagé à sous-traiter la nouvelle gamme de
téléphones mobiles à Flextronics, qui pour sa part prévoit de fabriquer à
Laval une nouvelle gamme de produits dans les six prochains mois. Mais les
deux sociétés ne sont pas liées par un contrat d'engagement de charge de
production, ni de durée. Par ce biais de ces cessions, Alcatel espère
limiter le recours à des licenciements. « II n y aura pas de drames
sociaux », a d'ailleurs déclaré Serge Tchuruk mercredi 27.
Reste à savoir quel rôle veut jouer Alcatel dans la période de
consolidation qui anime le marché des télécommunications. Après l'échec de
la fusion avec Lucent, Serge Tchuruk, qui s'était déclaré intéressé par ce
mouvement, pourrait étudier de nouvelles pistes. Selon des sources de
marché qui circulaient la semaine dernière, Alcatel aurait acheté des
actions du canadien Nortel. Un choix sans précédent pour un groupe français (le Monde 28 juin 2001,
article d'Anne-Marie Rocco)
ANALYSE : un patron visionnaire voilà ce que la Bourse demande aujourd'hui
CONSTRUIRE une « entreprise sans usines » : l'expression utilisée par Serge
Tchuruk, PDG, d'Alcatel, pour désigner son projet de mise en vente de plus
de cent sites industriels dans le monde, a toutes les qualités d'une bonne
formule. Imagée, elle laisse entendre qu'elle est le fruit d'une réflexion
managériale moderne, tout en évoquant d'autres expressions ayant déjà connu
une belle carrière médiatique, comme le « bureau sans papier » qui devait
naître de la révolution informatique, le « commerce sans magasins » promis
par Internet, ou encore la « banque sans guichet ».
Comme elles, « l'entreprise sans usines » n'est bien sûr qu'une formule,
mais elle est révélatrice, car elle repose sur une idée qui séduit les
patrons : avec moins - de salariés, d'usines, ou de mètres carrés de
bureaux - il est possible d'obtenir plus de bénéfices, donc plus de valeur
pour l'actionnaire.
Cette recherche prend une importance d'autant plus grande que la Bourse,
désormais mondialisée, ne cesse de demander de nouvelles performances aux
entreprises cotées. Celle qui ne suit pas les consignes sera aussitôt
délaissée au profit d'une concurrente plus en forme, de quelque nationalité
qu'elle soit. Alcatel en sait quelque chose, pour avoir subi, en septembre
1998, un coup de tabac qui restera dans les annales de l'histoire
boursière, après avoir révisé à la baisse ses prévisions de résultats,
pourtant exceptionnellement profitables cette année-là.
Qu'Alcatel suit la valeur la moins bien traitée du CAC 40 depuis le début
de l'année - avec une chute de plus de 60 % en six mois - explique
évidemment les projets actuels du groupe, et surtout leur « mise en scène »
par le biais de déclarations de M. Tchuruk, lors d'une manifestation
organisée par le Wall Street Journal, le quotidien de la Bourse de New
York. Alcatel doit faire oublier à la communauté financière l'échec récent
de son projet de fusion avec l'américain Lacent.
Pour parvenir à de telles fins, la plupart des entreprises - anglo-
saxonnes, en tout cas - ont l'habitude d'annoncer d'importants plans de
suppressions d'emplois pour impressionner favorablement les analystes
financiers, au besoin en incluant dans le calcul des « dégraissages » déjà
lancés depuis longtemps. Mais à force, même les boursiers les plus cyniques
finissent par ne plus guère y prêter d'attention, et ne saluent même plus
d'un quelconque rebond de la cote les annonces les plus dures sur le plan
social.
Le patron visionnaire, voilà ce qu'aime aujourd'hui la Bourse, à la
condition que ses idées en matière de management se traduisent par de
bénéfices. Jack Welch, le patron de General Electric, a longtemps fait
figure de « gourou » pour ses homologues du grand patronat américain. Au
menu : une stratégie effrénée d'acquisitions, et la culture du changement
permanent dans l'entreprise.
Pour sortir d'une certaine léthargie dans laquelle le numéro deux mondial
de l'automobile s'était enfoncé, Jacques Nasser, le PDG de Ford, avait
ainsi annoncé, avant Serge Tchuruk, qu'il se fixait pour objectif de
devenir une entreprise de matière grise. Sans qu'un calendrier soit
véritablement fixé, M. Nasser affirmait qu'un jour, des sous-traitants
monteraient les voitures Ford tout comme aujourd'hui, des sous-traitants
fournissent leurs équipements.
Cette politique s'inscrit dans une tradition déjà ancienne de recours à la
sous-traitance et à la délocalisation. Dans le textile, la chaussure, le
jouet, ou la microinformatique, nombre d'entreprises sont progressivement
devenues des firmes de recherche, de design et de marketing, démunies de
toute capacité de production. C'est ce que viennent de décider Philips et
Ericsson clans la téléphonie mobile. Qu'une entreprise de la taille
d'