Chroniques - Récit de l'enseignement privé

Comme les examens étaient corrigés dans un bureau régional par des
enseignants qui ne nous connaissaient pas, on ne pouvait prétendre que j'avais
eu un ..... nous utilisions « L'étudiant(e) », un cahier d'exercices publié chaque
mois, il me semble, et qui contenait les applications de toutes les notions au
programme.

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De la craie au clavier
Nicole Desrosiers
Prologue
Même si j'ai passé quarante-huit ans de ma vie entre les murs des écoles,
je ne prétends pas faire un ouvrage de spécialiste ou de théoricienne. Ce
récit se veut une expérience de vie, de l'enfance à l'âge mûr, de la
rentrée scolaire à la retraite comme enseignante. Bien sûr, les m?urs ont évolué. Les programmes scolaires ont été révisés
maintes fois en même temps que les relations entre enfants et adultes se
sont transformées. Il n'en reste pas moins que malgré ces changements, une
réalité demeure et c'est la dimension humaine qui anime ce milieu.
Certaines personnes sont passées dans ma vie en y laissant une trace plus
ou moins profonde, que ce soit dans le domaine de ma vie affective ou dans
celui de ma formation intellectuelle. Il y a ceux et celles que j'ai aimés,
ceux et celles que j'ai admirés et tâché d'imiter, ceux et celles que j'ai
craints, ceux et celles qui m'ont blessée... Ce récit raconte un parcours dans le monde scolaire. On n'y retrouvera pas
la nostalgie du « bon vieux temps », pas plus que l'apologie de ce début de
millénaire. Chaque période comporte son lot d'avantages et de difficultés.
Chacun y trouvera ce qu'il cherche : pur divertissement ou meilleure
compréhension du milieu scolaire. Comme il s'agit de décrire un milieu plutôt que des individus, les noms de
certaines personnes ont été changés; dans certains cas, elles sont
identifiées par leurs initiales. Pour d'autres, le nom est authentique. J'ai cinq ans. J'entre en première année à la petite école de campagne. Je
n'ai qu'à traverser la route unique qui passe dans le village et me voilà
dans la cour de l'école où j'ai l'habitude de jouer avec mes frères et
s?urs les fins de semaine et les jours de congé. En face du petit bâtiment de briques rouges, l'église ; tout à côté, le
bureau de poste et le dispensaire où habitent l'infirmière et sa s?ur
institutrice. Mes parents tiennent le magasin général. Ma mère touche
l'harmonium pendant les cérémonies religieuses ; tous les matins, beau
temps mauvais temps, elle chante la messe avec le curé. Mon père est
entrepreneur forestier et quitte souvent la maison pour s'occuper de ses
chantiers et de son moulin de sciage de bois. Dans ma famille, à cinq ans, on va à l'école. D'une année à l'autre, les
enfants sont confiés aux mêmes institutrices qui ne changent ni de niveaux,
ni de salle de classe, ni de méthodes pédagogiques. J'apprends donc à lire, à écrire, à compter du mieux que je peux. Je ne m'y
plais pas beaucoup : on n'est pas là pour s'amuser. Je connais depuis
toujours Mme T., mon institutrice. Elle tient la classe des petits, de la
première à la troisième année. Elle me paraît immense sur sa tribune d'où
elle descend rarement. Elle ne sourit jamais et elle a une grosse voix. Pendant que les enfants de troisième année font une dictée, nous, les
petits, faisons des lignes de i, de a, ... puis plus tard, des lignes de
la, de le, de li...Je m'ennuie et surtout, je ne comprends pas comment
j'apprendrai à lire et à écrire de cette façon ; on ne parle pas en lettres
et en syllabes détachées. L'intérêt ne viendra que plus tard, quand je
saurai reconnaître des mots complets et les rattacher aux rares
illustrations de mon premier livre de lecture. Bientôt, nous devons exercer notre mémoire. Le matin, la première leçon se
concentre sur les prières, du « Je vous salue, Marie » jusqu'à l' « Acte de
foi » en passant par les « Commandements de Dieu ». Puis, nous devons
mémoriser les questions et les réponses du Petit catéchisme qui devaient,
si ma mémoire est bonne, être au nombre d'environ 500. Il n'était pas question de demander une explication ou d'exprimer un doute.
Une fois, j'ai demandé à Mme T. ce que signifiait le passage du « Je vous
salue, Marie » où il est question de « Jésus, le fruit de vos entrailles
est béni ». Mme T. a rougi et bafouillé et j'ai vite compris qu'on ne
badine pas avec la prière ! Je me suis demandé quel secret honteux pouvait
se cacher sous la formule. Après le catéchisme et la prière venait le cours de français. Une des
méthodes consistait à nous mettre en rang devant la tribune de
l'institutrice. Là, elle donnait un mot à épeler au premier de la rangée.
S'il répondait correctement, l'élève gardait sa place dans le rang ; sinon,
il devait se mettre « à la queue » c'est-à-dire à la dernière place de la
rangée. On pouvait ensuite tenter de remonter dans le rang et dans l'estime
de soi en levant la main pour donner la bonne réponse chaque fois qu'un
malheureux tombait sur un mot qu'il n'avait pas retenu. J'avais une amie qui s'appelait Réjane. C'était une petite blonde aux yeux
bleus qui sentait le savon et dont les crayons étaient toujours bien
taillés alors que je cassais régulièrement les miens à force d'appuyer et
de me concentrer pour former de belles lettres et des chiffres lisibles et
de la même hauteur. Une fois, alors que nous étions alignés pour le test
d'épellation, Réjane m'a pincé le bras pour s'amuser. Bien plus que la
douleur, la surprise m'a fait échapper un petit cri qui a fait sursauter la
maîtresse. Sans poser de questions, elle m'a ordonné de quitter le rang et
de venir m'asseoir par terre, sur la tribune, face à la classe. Je n'ai pas
protesté ; personne n'osait résister à Mme T. À ce moment, j'ai éprouvé la
honte et aussi, le sentiment d'être traitée de façon injuste. Je savais que
je n'aurais pas dû être punie. Les autres élèves de la classe n'ont pas ri,
ils ne se sont pas moqués de moi. Je suppose qu'ils savaient que tôt ou
tard, ils seraient eux aussi exposés à quelque brimade pour un devoir mal
fait ou un fou rire... Pendant les premiers mois, les petits de la première année faisaient
l'apprentissage de l'écriture avec des crayons à mine de plomb sur les
cahiers de brouillon à feuilles poreuses. Au bout de quelques mois, il
fallait apprendre à utiliser le porte-plume. Il était de bois rouge, bleu,
noir ou vert avec une large lisière de caoutchouc à la base pour une
meilleure préhension. Une plume métallique était fixée au bout et il
fallait la tremper dans l'encrier presque à toutes les lignes. C'était
l'horreur ! Le petit réservoir d'encre se vidait sur le papier au moindre
faux mouvement. L'encrier était enfoncé dans une cavité découpée à même le
pupitre. Les cahiers de devoirs au papier glacé étaient couverts de pâtés
et de traces de doigts ou parsemés de trous creusés à force de frotter avec
les gommes à effacer. Le pire arrivait quand la plume ébréchée accrochait
les fibres du papier et crachait son jus bleuâtre. Tous ces efforts
anéantis ! Sans compter la perspective des réprimandes assorties de
mauvaises notes. Les petits doigts agrippaient l'instrument de torture et
la tension était si grande que les accidents se multipliaient, accompagnés
de torrents de larmes, telle était grande la sensation de découragement
devant la difficulté de la tâche. C'est pendant ma première année, en novembre, que mon père est décédé d'une
crise cardiaque alors qu'il chassait le chevreuil dans la montagne avec mon
grand frère. Ce soir-là, nous, les enfants, avions été oubliés dans la
cuisine où nous nous tenions assis tranquillement. Même si les adultes ne
nous disaient rien, nous savions qu'il se passait quelque chose de très
grave. Ma mère attendait, silencieuse, qu'on lui ramène son mari. Mon père fut exposé dans le salon. La famille, les amis, les gens du
village défilaient devant la tombe ouverte. Je me rappelle que quelqu'un
m'a soulevée et portée près du cercueil en disant :
« Embrasse ton père... » Je me débattais ; je refusais d'approcher ce père que je ne reconnaissais
pas et dont l'immobilité et la pâleur m'effrayaient. Ma mère est intervenue
pour qu'on me laisse tranquille. J'ai assisté aux funérailles dans une petite robe noire à manches longues,
avec une jupe plissée et un col matelot bordé d'un liséré blanc. J'ai le
souvenir de la rugosité du lainage qui me grattait la peau. Mme T. avait annoncé aux élèves de notre classe qu'ils devaient être
gentils avec mon frère et moi. Le lendemain des funérailles, nous étions de
retour en classe. Mon frère était en deuxième année. À un moment donné, il
s'est mis à pleurer et Mme T. a décidé de nous renvoyer tous les deux à la
maison pour le reste de la journée. Elle ne pouvait rien faire de plus et
je suppose qu'elle n'avait pas le temps de s'occuper de notre tristesse, de
ce sentiment confus qu'il nous était arrivé quelque chose de terrible. À la maison, rien n'avait apparemment changé. Le curé du village conseilla
à ma mère de fêter Noël comme d'habitude même si le c?ur n'y était pas.
Pour nous, les enfants, la vie continuait comme avant. J'ai revu, sur des photos, la petite robe de deuil que je portais à la Noël
de cette même année à l'occasion de ma première communion. Ma grande s?ur
Rolande, qui était aussi ma marraine, m'accompagnait étant donné que ma
mère était dans le jubé et qu'elle accompagnait la chorale à l'harmonium.
Même si je n'avais que cinq ans, je réalisais la solennité de l'événement.
C'était pendant la Messe de Minuit et pour une petite fille de mon âge, peu
habituée à veiller si tard, l'épreuve était de taille. J'étais épuisée,
j'avais mal à la tête, je tremblais de tous mes membres à l'idée de ne pas
tirer la langue dès que le curé s'avancerait vers moi pour y déposer
l'hostie. Il va sans dire que je n'ai éprouvé à ce moment aucune exaltation
mystique. Bien sûr, il avait fallu confesser mes péchés avant la cérémonie de la
communion. Pendant toute mon enfance, ma liste de péchés se résumait ainsi,
avec la formule consacrée : « Mon Père, je m'accuse d'avoir désobéi cinq fois (plus ou moins). Je
m'accuse d'avoir menti quatre fois...Je m'accuse d'avoir été paresseuse
trois fois... d'avoir volé de la gomme aux fruits cinq fois... et une
Cherry Blossom... » Là, j'étais sûre d'être démasquée puisque ma mère vend