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LES SAVOIRS DU CORPS
OBJET CULTUREL, OBJET TECHNIQUE, OBJET DIDACTIQUE
Les RAPPORTS DE L'EP aux TECHNIQUES CORPORELLES
EP, SPORT et SANTÉ DANS LA SOCIETE FRANCAISE
LA REVUE EPS ET L'INNOVATION DIDACTIQUE
LES SAVOIRS DU CORPS
Pierre ARNAUD
L'éducation physique traverse une crise d'identité. Elle est déchirée entre
différentes conceptions, éparpillée en techniques variées, envahie par la
pratique sportive, voire confondue avec elle, et il paraît plus difficile
que jamais de savoir quelles sont ses finalités. Bref, elle est à la
recherche de sa spécificité. Est-il même possible d'attribuer des finalités
à une discipline dont la place est contestée dans le système scolaire ? Ce
sera notre préoccupation essentielle au cours de cette étude.
D'aucuns pourront s'étonner de ce pessimisme, l'éducation physique n'est-
elle pas une discipline dont la pratique est obligatoire à l'École ? Cette
obligation n'est-elle pas antérieure à l'obligation scolaire elle-même. Et
cette ancienneté ne prouve-t-elle pas qu'on avait une vision claire de ses
objectifs ? En fait, elle contribue au contraire à brouiller les idées.
Interviennent ici trois séries de facteurs
1 - des facteurs institutionnels les tribulations de l'éducation physique,
de ministère en ministère, montrent l'ambiguïté de sa situation. Elle est
en effet dans l'École et en dehors d'elle, marginale selon la formule
pittoresque de J. Dumazedier, "elle n'y est pas installée, elle y campe ".
Elle est dans l'École, puisqu'elle y a toujours été dispensée par un
personnel spécialisé. Elle est en dehors, puisque son ministère de tutelle
a été tantôt celui de la Guerre, tantôt celui de l'Éducation, tantôt celui
de la Jeunesse et des Sports, ou de la Qualité de la Vie (J. Thibault).
Cette instabilité s'explique évidemment par la diversité des objectifs qui
lui ont été assignés: préparation militaire, initiation aux sports de
compétition, préparation aux activités de loisir, équilibration et
compensation par rapport au travail intellectuel, développement et
perfectionnement de la personne, socialisation et accès à l'autonomie et à
la responsabilité, maîtrise et connaissance de soi, etc. La détermination
des finalités de l'éducation physique varie de la simplicité à la plus
grande confusion. (Ullman).
2 - des facteurs pédagogiques: les transformations du contexte social,
politique et scientifique ont naturellement influé sur les conceptions de
l'éducation physique Ainsi, à la fin du 19° siècle et au début du 20eme
siècle, des "méthodes " diverses d'éducation physique et de gymnastique ont-
elles revendiqué, chacune pour soi, un certain monopole de la formation
corporelle (J. Ullman). Et si, aucune n'a pu s'imposer, il faut reconnaître
que, toutes ensemble, elles ont contribué à l'édification de ce qu'il est
convenu d'appeler la "méthode française ". Celle-ci, marquée par la maladie
de l'éclectisme, la transmettra, comme une tare héréditaire, à ses
descendants directs que sont les textes officiels. La logique voudrait,
comme le souligne J. Ullman, que "La méthode d'éducation physique soit
conçue comme l'ensemble, aussi systématisé que possible, des moyens qui
permettent la réalisation d'une fin ". Mais la tradition française a
toujours été de vouloir concilier des méthodes inconciliables (G. Favre).
Quant à l'introduction massive du sport dans l'éducation physique, si elle
a pu faire croire au pouvoir unificateur des conceptions qui s'en
réclament, elle n'a réussi en fait qu'à précipiter l'éclatement de
l'éducation physique. Pour reprendre la formule de P. Parlebas, nous avons
affaire à une éducation physique en miettes.
De cet éclatement, on peut discerner les causes:
a) Le sport, considéré comme "un phénomène social aux dimensions
planétaires" (A. Touffait), a pu paraître susceptible de fournir une
méthode unique d'éducation. En fait, la sportivisation de l'éducation
physique a suscité une réaction et cristallisé deux positions, pour et
contre le sport.
b) En outre, le développement du sport a entraîné un cloisonnement des
secteurs de l'éducation physique secteur éducatif, celui de l'École,
secteur du sport de performance, du sport de loisirs, de la rééducation.
Quelle unité trouver aux finalités de l'éducation physique ?
c) Enfin la recherche de fondements scientifiques à l'éducation physique a
opposé entre elles des conceptions trop tributaires des disciplines
scientifiques hétérogènes, comme l'anatomie, la physiologie, la
psychologie, la sociologie, Psychomotricité, psycho-cinétique,
kinanthropologie, praxéologie, science de l'entraînement, ces termes
désignent tout à la fois des techniques pédagogiques et une volonté de
rendre à tout prix l'éducation physique scientifique "L'éducation physique
sera scientifique ou ne sera pas" (P. Parlebas)
3 - Pour contribuer à brouiller les idées sur les finalités de l'éducation
physique, on trouve, après les facteurs institutionnels et pédagogiques,
des facteurs corporatifs, qui concernent la défense des intérêts des
professeurs d'éducation physique, ainsi que celle de leur compétence.
Quand elle affirme la spécificité de l'éducation physique, la profession
place tacitement les finalités de cette dernière dans les perspectives
générales de l'École, et donc les sépare des fins visées par les organismes
extra-scolaires, comme les clubs, les institutions ou associations
sportives publiques ou privées. C'est alors poser à nouveau le problème de
la formation du professeur d'éducation physique, donc de sa compétence
professionnelle.
A l'origine, c'était un généraliste et, à ce titre, il se proposait de
développer dans l'enfant un certain nombre de qualités qui lui
permettraient de s'insérer dans la vie sociale, tout en améliorant sa
santé. La connaissance de l'enfant était aussi importante que celle de la
"méthode" utilisée. Le contenu de la "leçon de gymnastique" ou du programme
annuel était défini après une analyse scientifique, essentiellement anatomo-
physiologique, qui ne retenait de l'action que ses aspects dynamique (le
mouvement), énergétique (I'effort), utilitaire (la débrouillardise),
esthétique (forme du mouvement et position).
Puis, les activités physiques se socialisant en même temps que se
développait la pratique du sport de performance et du sport de loisirs, une
révision des contenus de l'éducation physique s'imposait. Devant la
multiplication et l'influence de nouveaux savoir faire sportifs, le
professeur généraliste se transforme en professeur polyvalent et devient un
pourvoyeur de techniques, un "poly-technicien" du sport, dont la tâche
prioritaire est de maîtriser la matière d'enseignement sous ses aspects
biomécanique et bio-énergétique. Les buts de l'éducation physique sont
oubliés au profit des procédures les plus efficaces pour faire acquérir des
habiletés gestuelles. Le sport, plus qu'un moyen d'éducation, devient une
fin et se confond avec l'objet technique de l'apprentissage.
Tant que les techniques ont été peu nombreuses, peu élaborées, le
professeur a pu faire face et assurer avec compétence sa tâche d'initiateur-
instructeur. Mais cela se faisait au détriment de sa connaissance des
sujets et de leurs besoins: en devenant technicien, il était de moins en
moins pédagogue. De nos jours, la prolifération des spécialités et la très
haute technologie des savoir faire rendue possible par l'accumulation des
travaux scientifiques sur la préparation des athlètes, font que les maîtres
ne peuvent plus être polyvalents de façon efficace. Mieux, leur compétence
est mise en doute par les véritables techniciens que sont les moniteurs,
instructeurs, éducateurs sportifs spécialisés du secteur fédératif. Il
s'ensuit qu'actuellement le professeur ne satisfait ni à sa vocation
première de généraliste (former des hommes aptes à s'insérer dans la vie
sociale), ni à celle de polyvalent (préparer des jeunes à la pratique
sportive en vue de contribuer à la formation de futurs champions.
Les tentatives plus récentes pour former des professeurs spécialistes ne
font qu'accentuer l'ambiguïté du rôle de l'éducation physique scolaire et
entretenir la confusion sur la question des secteurs professionnels de
compétence. Véritable abeille butinante dans le champ des techniques, le
professeur d'éducation physique polyvalent a souvent un statut plus proche
de l'animateur que de l'éducateur.
Cette confusion prive l'éducation physique de toute spécificité: le
professeur d'éducation physique, devenant éducateur sportif, voit son rôle
limité ou bien à une information-initiation polytechnique superficielle, ou
bien à une animation de type ludique et récréatif, ou encore à une
préparation à la vie de loisirs. Quant à sa mission éducative, elle est ou
écartée ou contestée, ou confondue avec les trois tâches indiquées ci-
dessus. Dès lors, le professeur d'éducation physique devient le pourvoyeur
des clubs et des fédérations, le V.R.P. (peu convaincant, faute de moyens)
de la société de loisirs et de consommation.
Il est donc clair que la revendication de spécificité pour l'éducation
physique se mène sur deux plans: l'un, pédagogique - il s'agit de trouver
un compromis entre la recherche de l'autonomie et l'insertion dans le cadre
plus large des disciplines d'enseignement -, l'autre, corporatif - il
faudrait imposer l'image de marque d'une profession qui risque de
disparaître de l'École.
Quant au plan institutionnel, il ne fait que refléter les deux autres,
puisqu'il exprime l'ambiguïté des compromis historiques.
En réalité, toutes les considérations qu'on peut développer sur l'ensemble
de ces trois plans ne permettent pas d'apporter une réponse précise quant
aux finalités de l'éducation physique. S'il est vrai, comme le souligne R.
Delaubert, que "I'on ne saurait tenir l'éducation physique pour une
éducation authentique tant que l'on en ignore les buts", nous sommes
ramenés au dilemme suivant: d'une part, la multiplicité des fins obscurcit
toute compréhension de ce qu'est l'éducation physique; d'a