A - Exercices corriges

Le service juridique nous avait expliqué qu'on ne pouvait pas, c'est ça? ..... L'
ambiance faussement détendue de la pub reproduit le cauchemar de la scolarité
à ...

Part of the document

Frédéric Beigbeder 99 francs
Bruno Le Moult est parti.
Ce livre était pour lui.
Puisque c'est ainsi,
Je le donne à Chloë,
Qui vient d'arriver.
«Il n'y a, bien entendu, aucune raison pour que les totalitarismes
nouveaux ressemblent aux anciens. Le gouvernement au moyen de triques et de
pelotons d'exécution, de famines artificielles, d'emprisonnements et de
déportations en masse, est non seulement inhumain (cela, personne ne s'en
soucie fort de nos jours); il est - on peut le démontrer - inefficace: et,
dans une ère de technologie avancée, l'inefficacité est le péché contre le
Saint-Esprit. Un État totalitaire vraiment "efficient" serait celui dans
lequel le tout-puissant comité exécutif des chefs politiques et leur armée
de directeurs auraient la haute main sur une population d'esclaves qu'il
serait inutile de contraindre, parce qu'ils auraient l'amour de leur
servitude. La leur faire aimer - telle est la tâche assignée dans les États
totalitaires d'aujourd'hui aux ministères de la propagande, aux rédacteurs
en chef de journaux et aux maîtres d'école.»
ALDOUS HUXLEY, nouvelle préface au Meilleur des mondes, 1946.
«On nous inflige
Des désirs qui nous affligent.»
ALAIN SOUCHON,
Foule sentimentale, 1993.
«Le capitalisme a survécu au communisme. Il ne lui reste plus qu'à se
dévorer lui-même.»
CHARLES BUKOWSKI,
Le capitaine est parti déjeuner et les marins
se sont emparés du bateau, 1998. THE NAMES HAVE BEEN CHANGED TO PROTECT THE GUILTY I
Je «Ce qu'on est incapable de changer,
il faut au moins le décrire.»
Reiner Werner Fassbinder
1.
Tout est provisoire: l'amour, l'art, la planète Terre, vous, moi. La mort
est tellement inéluctable qu'elle prend tout le monde par surprise. Comment
savoir si cette journée n'est pas la dernière? On croit qu'on a le temps.
Et puis, tout d'un coup, ça y est, on se noie, fin du temps réglementaire.
La mort est le seul rendez-vous qui ne soit pas noté dans votre organizer.
Tout s'achète: l'amour, l'art, la planète Terre, vous, moi. J'écris ce
livre pour me faire virer. Si je démissionnais, je ne toucherais pas
d'indemnités. Il me faut scier la branche sur laquelle mon confort est
assis. Ma liberté s'appelle assurance chômage. Je préfère être licencié par
une entreprise que par la vie. CAR J'AI PEUR. Autour de moi, les collègues
tombent comme des mouches: hydrocution dans la piscine, overdose de cocaïne
maquillée en infarctus du myocarde, crash de jet privé, cabrioles en
cabriolet. Or cette nuit, j'ai rêvé que je me noyais. Je me suis vu couler,
caresser les raies manta, les poumons remplis d'eau. Au loin, sur la plage,
une jolie dame m'appelait. Je ne pouvais lui répondre car j'avais la bouche
pleine d'eau salée. Je me noyais mais ne criais pas au secours. Et tout le
monde faisait pareil dans la mer. Tous les nageurs coulaient sans appeler à
l'aide. Je crois qu'il est temps que je quitte tout parce que je ne sais
plus flotter.
Tout est provisoire et tout s'achète. L'homme est un produit comme les
autres, avec une date limite de vente. Voilà pourquoi j'ai décidé de
prendre ma retraite à 33 ans. C'est, paraît-il, l'âge idéal pour
ressusciter.
2.
Je me prénomme Octave et m'habille chez APC. Je suis publicitaire: eh
oui, je pollue l'univers. Je suis le type qui vous vend de la merde. Qui
vous fait rêver de ces choses que vous n'aurez jamais. Ciel toujours bleu,
nanas jamais moches, un bonheur parfait, retouché sur PhotoShop. Images
léchées, musiques dans le vent. Quand, à force d'économies, vous réussirez
à vous payer la bagnole de vos rêves, celle que j'ai shootée dans ma
dernière campagne, je l'aurai déjà démodée. J'ai trois vogues d'avance, et
m'arrange toujours pour que vous soyez frustré. Le Glamour, c'est le pays
où l'on n'arrive jamais. Je vous drogue à la nouveauté, et l'avantage avec
la nouveauté, c'est qu'elle ne reste jamais neuve. Il y a toujours une
nouvelle nouveauté pour faire vieillir la précédente. Vous faire baver, tel
est mon sacerdoce. Dans ma profession, personne ne souhaite votre bonheur,
parce que les gens heureux ne consomment pas.
Votre souffrance dope le commerce. Dans notre jargon, on l'a baptisée «la
déception post-achat». Il vous faut d'urgence un produit, mais dès que vous
le possédez, il vous en faut un autre. L'hédonisme n'est pas un humanisme:
c'est du cash-flow. Sa devise? «Je dépense donc je suis.» Mais pour créer
des besoins, il faut attiser la jalousie, la douleur, l'inassouvissement:
telles sont mes munitions. Et ma cible, c'est vous.
Je passe ma vie à vous mentir et on me récompense grassement. Je gagne 13
000 euros (sans compter les notes de frais, la bagnole de fonction, les
stock-options et le golden parachute). L'euro a été inventé pour rendre les
salaires des riches six fois moins indécents. Connaissez-vous beaucoup de
mecs qui gagnent 13 K-euros à mon âge? Je vous manipule et on me file la
nouvelle Mercedes SLK (avec son toit qui rentre automatiquement dans le
coffre) ou la BMW Z3 ou la Porsche Boxter ou la Mazda MX5.
(Personnellement, j'ai un faible pour le roadster BMW Z3 qui allie
esthétisme aérodynamique de la carrosserie et puissance grâce à son 6
cylindres en ligne qui développe 321 chevaux, lui permettant de passer de 0
à 100 kilomètres/heure en 5,4 secondes. En outre, cette voiture ressemble à
un suppositoire géant, ce qui s'avère pratique pour enculer la Terre.)
J'interromps vos films à la télé pour imposer mes logos et on me paye des
vacances à Saint Barth' ou à Lamu ou à Phuket ou à Lascabanes (Quercy). Je
rabâche mes slogans dans vos magazines favoris et on m'offre un mas
provençal ou un château périgourdin ou une villa corse ou une ferme
ardéchoise ou un palais marocain ou un catamaran antillais ou un yacht
tropézien. Je Suis Partout. Vous ne m'échapperez pas. Où que vous posiez
les yeux, trône ma publicité. Je vous interdis de vous ennuyer. Je vous
empêche de penser. Le terrorisme de la nouveauté me sert à vendre du vide.
Demandez à n'importe quel surfeur: pour tenir à la surface, il est
indispensable d'avoir un creux en dessous. Surfer, c'est glisser sur un
trou béant (les adeptes d'Internet le savent aussi bien que les champions
de Lacanau). Je décrète ce qui est Vrai, ce qui est Beau, ce qui est Bien.
Je caste les mannequins qui vous feront bander dans six mois. A force de
les placarder, vous les baptisez top-models; mes jeunes filles
traumatiseront toute femme qui a plus de 14 ans. Vous idolâtrez mes choix.
Cet hiver, il faudra avoir les seins plus hauts que les épaules et la
foufoune dépeuplée. Plus je joue avec votre subconscient, plus vous
m'obéissez. Si je vante un yaourt sur les murs de votre ville, je vous
garantis que vous allez l'acheter. Vous croyez que vous avez votre libre
arbitre, mais un jour ou l'autre, vous allez reconnaître mon produit dans
le rayonnage d'un supermarché, et vous l'achèterez, comme ça, juste pour
goûter, croyez-moi, je connais mon boulot.
Mmm, c'est si bon de pénétrer votre cerveau.. Je jouis dans votre
hémisphère droit. Votre désir ne vous appartient plus: je vous impose le
mien. Je vous défends de désirer au hasard. Votre désir est le résultat
d'un investissement qui se chiffre en milliards d'euros. C'est moi qui
décide aujourd'hui ce que vous allez vouloir demain.
Tout cela ne me rend probablement pas très sympathique à vos yeux. En
général, quand on commence un livre, il faut tâcher d'être attachant et
tout, mais je ne veux pas trayestir la vérité: je ne suis pas un gentil
narrateur. En fait je serais plutôt du genre grosse crapule qui pourrit
tout ce qu'il touche. L'idéal serait que vous commenciez par me détester,
avant de détester aussi l'époque qui m'a créé.
N'est-il pas effarant de voir à quel point tout le monde semble trouver
normale cette situation? Vous me dégoûtez, minables esclaves soumis à mes
moindres caprices. Pourquoi m'avez-vous laissé devenir le Roi du Monde? Je
voudrais percer ce mystère: comment, au sommet d'une époque cynique, la
publicité fut couronnée Impératrice. Jamais crétin irresponsable n'a été
aussi puissant que moi depuis deux mille ans.
Je voudrais tout quitter, partir d'ici avec le magot, en emmenant de la
drogue et des putes sur une connerie d'île déserte. (A longueur de journée,
je regarderais Soraya et Tamara se doigter en m'astiquant le jonc.) Mais je
n'ai pas les couilles de démissionner. C'est pourquoi j'écris ce livre. Mon
licenciement me permettra de fuir cette prison dorée. Je suis nuisible,
arrêtez-moi avant qu'il ne soit trop tard, par pitié! Filez-moi cent
plaques et je déguerpis, promis-juré. Qu'y puis-je si l'humanité a choisi
de remplacer Dieu par des produits de grande consommation?
Je souris parce que, si ça se trouve, dès que ce livre sortira, au lieu
d'être foutu à la porte, je serai augmenté. Dans le monde que je vais vous
décrire, la c