30 ans de salaire, d'une crise à l'autre - Union Départementale FO 37
Ensuite, les salaires réels (c'est-à-dire corrigés de l'inflation) tendent à se rétablir,
de telle sorte que les gains de compétitivité sont progressivement effacés. .... On
ne retiendra ici qu'une seule idée : tous ces exercices oublient le rôle de levier
du chômage qui a permis de modifier durablement le mode de distribution des ...
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30 ans de salaire, d'une crise à l'autre
Revue de l'IRES n° 73 - 2012/2, numéro spécial
Qu'est que l'IRES:
L'Institut de Recherches Economiques et Sociales (Ires) est un organisme
« au service des organisations syndicales représentatives des
travailleurs » et a pour fonction de répondre aux besoins exprimés par les
organisations syndicales représentatives dans le domaine de la recherche
économique et sociale. Le site : http://www.ires-fr.org/publications/la-revue-de-lires Les salaires : aux racines de la crise de la zone euro Odile CHAGNY 1, Michel HUSSON, Frédéric LERAIS La question des rapports entre les salaires et la crise de la zone euro
est aujourd'hui posée de deux manières. D'une part, pour certains, les
évolutions divergentes des salaires en Europe, et particulièrement dans la
zone euro, seraient à l'origine des déficits commerciaux accumulés par
quelques pays et en fin de compte la cause de la crise des dettes
souveraines. D'autre part, de manière cohérente avec cette thèse, le
rétablissement des équilibres passerait par un ajustement salarial à la
baisse dans les pays concernés. Les excès de salaires seraient donc l'une
des causes de la crise, et les salaires seraient la variable d'ajustement
qui permettrait d'en sortir.
Cet article se propose de discuter cette problématique, en trois temps.
Il revient d'abord sur l'instauration de l'Union économique et monétaire
(UEM) et sur les débats concernant la zone monétaire optimale (I). Dans un
deuxième temps, il propose un récit alternatif des évolutions de la
compétitivité et des salaires sur longue période en s'interrogeant sur leur
impact dans le déclenchement de la crise que subit la zone euro (II).
Enfin, il porte un regard sur les conséquences récentes de la crise et des
politiques préconisées en matière de salaire et de compétitivité (III). 1. Centre Etudes et Prospective du groupe Alpha.
I. Zone euro, zone optimale ?
Avant la mise en place de l'euro, la problématique est de trouver un
système de change suffisamment contraignant pour éviter des évolutions trop
divergentes des salaires et des prix entre les pays membres de la
Communauté économique européenne (CEE) 2. Après l'échec du Serpent
monétaire européen (1972-1978), ce dernier est remplacé en 1979 par le
Système monétaire européen (SME). Celui-ci était conçu pour établir une «
discipline stricte » en matière de salaire et de prix. Les taux de change
pouvaient fluctuer autour d'un cours de référence, l'ECU, défini comme un «
panier » de monnaies. Mais en 1992, une vague d'attaques spéculatives
conduit aux dévaluations de la lire, de la peseta, de la livre sterling, et
finalement à l'éclatement de fait du SME à l'été 1993.
La décision de créer l'euro est prise au moment de la signature du traité
de Maastricht en 1992. L'instauration de l'UEM est une expérience inédite :
l'adoption d'une monnaie unique par plusieurs pays ne connaît pas de
précédent. L'UEM instaure une Banque centrale européenne (BCE) indépendante
qui aura pour l'essentiel un objectif d'inflation pour la zone euro prise
comme un tout en utilisant un taux d'intérêt unique qui s'impose, de fait,
à tous les pays quelle que soit leur situation économique. 2. L'Union européenne a été instituée en 1993.
|Encadré 1 |
|La compétitivité : définition et mesure |
|En toute généralité, la compétitivité est la capacité à maintenir ou |
|augmenter ses parts de marché face à la concurrence (Mathis et al., 1988) 1. |
|Cette notion peut s'appliquer à un pays (la compétitivité de la France), à |
|une branche (la compétitivité de l'industrie automobile française) ou à une |
|entreprise (la compétitivité de PSA). |
|L'usage du terme s'est élargi, de telle sorte qu'il faut distinguer d'un côté|
|la compétitivité comme résultat et, de l'autre, les facteurs de cette |
|compétitivité. |
|La compétitivité comme résultat peut être mesurée par une batterie |
|d'indicateurs : |
|- la part de marché rapporte le total des exportations d'un pays au total des|
|exportations vers un espace géographique (le monde, l'Europe, etc.) ou les |
|ventes d'une entreprise au marché considéré ; |
|- la performance à l'exportation : cet indicateur compare les exportations |
|d'un pays à la demande qui lui est adressée. Cette dernière calcule les |
|exportations potentielles du pays en pondérant les importations (par pays ou |
|par secteurs) en fonction de la structure de son commerce ; |
|- le solde commercial prend en compte de manière symétrique les exportations |
|et les importations et prend donc en compte la capacité d'un pays à conserver|
|ou à accroître la part de la production nationale en proportion de la demande|
|intérieure ; |
|- le taux de couverture mesure la capacité d'un pays à couvrir ses |
|importations par ses exportations. |
|Les indicateurs de compétitivité peuvent être classés en deux catégories |
|selon qu'ils cherchent à mesurer la compétitivité-prix (quantitative) ou la |
|compétitivité-hors-prix (qualitative). |
|- la compétitivité-prix mesure le rapport des prix à l'exportation d'un pays |
|à la moyenne des prix de ses concurrents. La compétitivité-prix s'améliore |
|quand cet indicateur baisse ; |
|- le taux de change effectif réel est un indicateur synthétique de |
|compétitivité-prix qui pondère le rapport des prix à l'exportation (ou des |
|coûts salariaux unitaires) du pays considéré avec ses pays concurrents selon |
|les parts de marché et le taux de change sur chacun des marchés. La |
|compétitivité s'améliore quand le taux de change effectif réel baisse ; |
|- la compétitivité-coût mesure le rapport du coût salarial unitaire (le coût |
|du travail divisé par la productivité du travail) du secteur exportateur d'un|
|pays au coût salarial unitaire moyen de ses concurrents. Le prix d'une unité |
|de bien proposé à l'exportation peut être décomposé en trois éléments : le |
|coût salarial unitaire, les autres coûts de production et les marges à |
|l'exportation. La compétitivité-coût ne s'intéresse en général (même si cela |
|est rarement précisé) qu'au seul coût salarial unitaire (par unité de bien |
|produit) ; |
|la compétitivité-hors-prix (plutôt que compétitivité-hors-coût) n'est pas |
|directement mesurable puisqu'elle correspond aux facteurs qualitatifs de |
|compétitivité : qualité des produits, degré d'innovation, adéquation à la |
|demande, etc. |
|Tous ces indicateurs devraient porter sur le seul secteur exposé, autrement |
|dit la partie de l'activité économique exposée à la concurrence |
|internationale. Ils devraient être pondérés pour prendre en compte la |
|structure des échanges (baisser ses prix par rapport à un pays avec qui on ne|
|commerce pas ou peu n'aura par définition que peu d'effet sur les parts de |
|marché). Mais la disponibilité des données statistiques fait que ces |
|exigences ne sont pas toujours respectées. |
|D'autres indicateurs sont supposés mesurer une compétitivité globale, aussi |
|bien qualitative que quantitative. Les plus fameux sont élaborés par le World|
|Economic Forum (Forum économique mondial) qui publie chaque année un |
|classement annuel de la compétitivité dans le monde (World Economic Forum, |
|2012). En 2012, la France occupe la 21e place, en recul par rapport à 2011 |
|(18e position) et 2010 (15e place). Mais la France était classée au 30e rang |
|en 2005 et en 2002 (Richer, 2012). La fiabilité de ce type d'indicateur et de|
|classement avait fait l'objet d'une critique détaillée (Grégoir, Maurel, |
|2003), notamment parce qu'il repose en grande partie sur l'opinion de |
|responsables d'entreprises. Martin Richer signale par exemple que la France |
|est très mal notée en matière de qualité des relations sociales (cooperation |
|in labour-employer relations) : elle occupe la 137e place (sur 144 pays), |
|juste devant la Mauritanie, la Serbie, le Népal, la Roumanie, le Venezuela, |
|l'Algérie et l'Afrique du Sud et est moins bien notée que Trinidad et Tobago,|
|le Tchad, la Russie ou l'Iran ! |
|1. Cette définition diffère de celle de l'ancien président de la Banque |
|centrale européenne, pour qui « la définition adéquate de la compétitivité |
|est la capacité d'un pays à améliorer de façon durable le niveau de vie, en |
|termes économiques, de ses citoyens et de favoriser les créations d'emplois |
|dans une économie ouverte » (Trichet, 2011). | Contrairement à d'autres banques centrales, comme la Fédéral Reserve Bank
des Etats-Unis, il ne lui est pas assigné d'objectif de croissance. Son
principal, et à peu près unique moyen d'intervention, est la politique
monétaire, autrement dit la fixation d'un taux d'intérêt unique.
Dès lors que les taux de change sont définitivement gelés, la mise en
place de l'UEM semblait mettre la question de la compétitivité-prix
(encadré 1) au centre du débat puisqu'il n'est désormais plus possible de
compenser les écarts d'inflation par des dévaluations. Ce