La géographie française face à la notion d'échelle. Une ... - HAL-SHS
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..... les écosystèmes et l'approche de précaution biogéographique dans le cadre
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La géographie française face à la notion d'échelle. Une approche par les
significations et les contenus épistémologiques
Olivier Orain La nouvelle question d'épistémologie figurant au programme de
l'agrégation de géographie diffère des précédentes. Elle met en effet
l'accent sur deux termes, « temporalités » et « échelles », qui pourraient
sembler secondaires dans le corpus réflexif et théorique de la discipline,
surtout si l'on s'inscrit dans la longue durée d'un « grand xxe siècle »,
des années 1890 (époque des premiers succès institutionnels de l'école
française de géographie) à nos jours. Entendons-nous bien sur la
signification de « secondaire » : de nombreux géographes ont inclus dans
leurs travaux des considérations sur le temps et/ou sur les échelles, et ce
à différents niveaux ; en revanche, elles ne revêtent pas le même caractère
crucial que les réflexion sur « région », « milieu », « paysage »,
« espace » ou « territoire », entre autres. Elles ne suggèrent pas une
identification immédiate à la géographie (dans le cas de « temporalité »)
ou un enjeu majeur de définition (dans le cas d'« échelles »). Pour autant,
cette position en arrière-plan n'invite pas à les tenir pour sans
importance. On assiste même, depuis une vingtaine d'années, à une montée en
puissance de la thématique des temporalité(s). On ne saurait (à mon avis)
en dire autant pour les échelles. En revanche, les géographes estiment dans
leur grande majorité que ces dernières font partie des « choses » (le terme
est délibérément vague pour l'instant) vis-à-vis desquelles ils doivent se
sentir à l'aise et dont la maîtrise fait partie du « métier ».
Dans presque toutes les initiations à la géographie, en classe de
sixième comme à l'entrée à l'université, nombre d'enseignants développent
des définitions et des exercices visant à affermir une juste manipulation
des échelles, en particulier cartographiques. Et ils ordonnent la
condamnation systématique des documents qui pourraient les escamoter, à
commencer par les travaux cartographiques des apprentis. Dans d'autres
types d'exercices comme le commentaire de cartes ou le dossier thématique,
nombreux sont les pédagogues qui recommandent, voire stipulent, un autre
type de recours aux échelles, assez souvent nommé « raisonnement multi-
scalaire ». Au travers de ces deux cas d'espèces je voudrais dégager une
caractéristique éminente des échelles pour la majorité des géographes :
leur évidence. Une fois la difficulté technique, arithmétique, surmontée,
l'apprenti-géographe est supposé jongler avec les échelles comme avec un
outil familier. Outil ? Le terme est-il encore admissible quand il s'agit
d'examiner un problème quelconque (l'urbanisation, la diffusion du SIDA, la
globalisation des échanges céréaliers, etc.) à plusieurs niveaux ? Ne faut-
il pas plutôt parler de démarche ? Et au nom de quoi ériger cette opération
en nécessité ? Et le terme « échelles » a-t-il seulement le même sens ?
Ce cours vous semblera certainement différent des livraisons
précédentes, par son abord moins « objectif ». Son ambition est de poser
des questions sur la façon dont les géographes ont, à partir d'une certaine
époque, développé un discours théorique sur ce sujet particulier. Plus
précisément, ce que je vous propose est une tentative pour interpréter et
discuter l'apparente évidence des échelles pour les géographes français.
Faute d'avoir suffisamment d'aperçus sur d'autres traditions nationales sur
cette question en particulier, je me suis abstenu d'examiner en détail les
formulations de géographes étrangers, sauf lorsqu'elles ont donné lieu à
des traductions ou à des citations significatives. Au demeurant, l'ensemble
des analyses que l'on trouvera ici n'a pas la prétention de fournir une
description exhaustive ni un récit achevé. La question des échelles en
géographie pourrait faire l'objet d'un travail de thèse, voire de
plusieurs. Ceux-ci n'existant pas, il s'agit davantage de défricher le
terrain, de vous inciter à faire quelques lectures indispensables, que de
vous fournir une vulgate ou un digest. Ce serait même à l'opposé de ce que
l'on doit attendre d'une réflexion épistémologique : telle que je le
conçois, elle est d'abord un examen des pratiques ordinaires de la science,
parfois les plus anodines, dont elle a à s'étonner pour les mettre en
perspective. Ce faisant, elle revêt un caractère spéculatif qui se prête
mal à la synthèse définitive.
Dans une première partie intitulée « Quand l'échelle devient visible »,
j'ai essayé de baliser un processus de réflexion, amorcé dans les années
1950 et arrivé à son apogée à la charnière des années 1960 et 1970, qui a
sorti les échelles de leur statut d'outil technique secondaire pour en
faire une composante de la réflexion théorique. À ce titre, il me semble
que pour bon nombre d'auteurs l'échelle est devenue bien plus qu'un
instrument « scopique » (comme le microscope ou le télescope), dont on peut
faire varier la focale pour scruter des ensembles plus ou moins vastes.
Elle renvoie à des niveaux de réalité différents, plus ou moins autonomes,
plus ou moins interdépendants. Il en découle une conception largement
intuitive de discontinuités dans le réel qui nécessite à tout le moins
d'être exposée.
La deuxième partie (Critique du réalisme scalaire) entend suggérer une
attitude précautionneuse vis-à-vis de la « démarche multiscalaire ».
J'insiste sur un effet assez gênant des réflexions sur les niveaux
d'observation : au lieu de nourrir des recherches et des interrogations,
elles ont laissé la place à une sorte d'impératif (« Il faut étudier les
phénomènes à plusieurs échelles ») qui n'est que très rarement argumenté.
Il en découle une vulgate dont les fondements philosophiques méritent
d'être réexaminés, et ce d'autant plus que l'intérêt du changement
d'échelle n'est pas à mon sens un absolu mais une opération (sinon une
man?uvre) de recherche. À travers un article de J.-B. Racine, C. Raffestin
et V. Ruffy, j'essaie de suggérer que son intérêt n'est justifiable que
d'un point de vue heuristique (il aide à penser), et ne saurait déboucher
sur une quelconque doctrine. I Quand l'échelle devient visible... Parmi les objets familiers aux géographes, les cartes tiennent une
place à part. Serait-ce dû au fait qu'ils en consomment et en produisent,
confortant la langue ordinaire qui « met dans le même panier » les cartes
topographiques de l'IGN et les cartes thématiques les plus abstraites ?
Nombreux sont ceux qui lient intimement la classe d'objets ainsi désignés
avec la discipline, au point parfois de déboucher sur des définitions
dangereuses, du type : « être géographe, c'est faire ou utiliser des
cartes ». Sans partager une conception aussi réductrice, on ne peut que
reconnaître l'importance particulière de ces types de représentation dans
une discipline qui d'une manière générale affectionne toutes les formes
d'image. Cette affinité permet d'aborder la relation spéciale des
géographes aux échelles : producteurs et consommateurs de cartes visant une
représentation du réel par réduction, il leur incombe de maîtriser le
concept arithmétique qui fonde cette dernière (grosso modo il s'agit d'une
règle de trois : connaissant le rapport 1/n qui est mon « échelle », je
peux déterminer la taille « réelle » d'un objet quelconque à partir de la
taille « réduite », et inversement). Même s'il peut poser problème à
certains, le concept de base est particulièrement simple et sans ambiguïté
majeure. Au demeurant, jusque dans les années 1950, le terme d'échelle
avait une fonction strictement instrumentale : il servait à préciser le
niveau de réduction opéré par une carte, et c'est tout - ce qui avait une
grande importance rationnelle, pour éviter de faire des confusions entre
des représentations peu ou pas du tout commensurables...
À partir des années 1950, notamment après l'article de Jean Tricart,
« La géomorphologie et la notion d'échelle »[1], s'est amorcé un mouvement
d'enrichissement du contenu du terme : l'échelle n'est plus seulement un
simple rapport, elle désigne un niveau d'observation pertinent. Pourtant,
cet enrichissement de sens n'a pas forcément été perçu comme tel : ce n'est
que durant les années 1970 que certains auteurs, contrariés par l'ambiguïté
de la signification du mot, ont appelé à une distinction serrée entre
« échelles » et « ordres de grandeur » ou « niveaux d'observations »[2].
Dans la pratique majoritaire, la distinction n'est presque jamais faite.
Par une sorte de raccourci pratique, la situation spécifique du rapport à
des cartes à échelles différentes a été généralisée et appliquée non plus à
des problèmes techniques de représentation mais au cadre d'observation (et
à ce qu'il contient). En ce sens, un outil technique modeste mais universel
a été tiré de sa banalité et chargé d'une signification moins anodine. Il a
acquis de la substance.
Cette première partie s'intéressera aux étapes de ce processus de mise
en avant des échelles comme niveaux d'observation, en montrant qu'elle
correspond à un contexte scientifique assez bien déterminé. Ceci posé, on
pourra faire observer que l'idée de s'intéresser à la différenciation des
niveaux d'observation n'était pas neuve : elle joue un rôle important chez
des géographes plus anciens, notamment Camille Vallaux ; et elle est le
support de toute description régionale « classique ». Enfin, je
m'interrogerai sur les problèmes que f