Nos travers - La Bibliothèque électronique du Québec

Bonnes ou mauvaises, le plus souvent mauvaises, l'ensemble de ces ?uvres ......
et il ne se compromettait jamais dans l'application de ses théories. ...... Il disait
que ces exercices de mécanique étaient du ressort du Conservatoire des Arts ...
Ils eussent trouvé de la pensée dans un chausson de laine, aussi bien ? pas plus
, ...

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Joséphine Marchand

Nos travers


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Joséphine Marchand

(J. M. Dandurand)








Nos travers








La Bibliothèque électronique du Québec
Collection Littérature québécoise
Volume 831 : version 1.0






De la même auteure, à la Bibliothèque :



Contes de Noël

Rancune

















Nos travers




Édition de référence :

Montréal, C. O. Beauchemin & Fils, 1901.



Numérisation : Wikisource.

Relecture : Jean-Yves Dupuis.








Préface




À mes amies et fidèles lectrices je dédie ce volume d'entretiens
familiers et anciens.

Qu'ils restent entre nous, les femmes, ces entretiens confidentiels où
l'on médit un peu de l'autre sexe et où l'on s'avoue aussi tout bas
quelques-unes de nos petites faiblesses.

Si j'ai réuni ces articles épars et publiés au cours de mes premières
années de journalisme, ce n'est pas que je prétendisse composer un bouquet
rare. J'ai conscience au contraire, que certaines fleurs en sont plus que
modestes, telles les premières écloses dans mon petit jardin campagnard.

Mon intention en publiant Nos travers a été de faire hommage à mes
concitoyennes d'un humble ouvrage composé pour elles.

Un seul mobile a toujours guidé ma plume : l'intérêt et le bien de mes
s?urs canadiennes. La dignité, l'élévation morale, la culture
intellectuelle de ma compatriote, tels sont les sujets sur lesquels je lui
ai offert quelques conseils. Qu'elle me pardonne si la préoccupation
littéraire en est trop manifestement absente et si je me suis trop
étroitement renfermée en les rédigeant dans le sens de ma devise : « Être
utile ».

Qu'elle accepte avec indulgence cette gerbe épineuse, sous le titre
rébarbatif de Nos travers, comme le témoignage de mon constant dévouement
et comme le résumé de mon effort persévérant dans l'?uvre de son bonheur.

J. M. Dandurand.






À quoi bon




On a bientôt jugé ceux qui philosophent sur les travers de leur temps.
Il est entendu que ces bonnes gens ont leurs raisons à eux pour en être
dégoûtés :

C'est le pessimiste survivant à sa vogue et faisant la moue du dépit à
ses contemporains qui le délaissent ;

Ce sont les incompris, et peut-être aussi les gens qui vieillissent.

Ceux-ci découvrent petit à petit qu'ils deviennent moins
indispensables ; que de nouveaux venus distraient l'attention de leurs
personnalités. Ils font alors d'amères réflexions sur l'inconséquence du
prochain qui se lasse si prématurément de ceux qu'il a estimés.

Ainsi, c'est admis, on ne grogne qu'en autant qu'on n'est pas apprécié
ou qu'on vieillit.

L'alternative n'est pas gaie pour moi qui voulais médire un brin de mon
siècle...

Eh bien, soit : mes enfants, je radote.

Cet aveu me met à l'aise et m'acquiert le droit de vous dire des
vérités.

Je dois vous avouer tout d'abord que je ne vous trouve pas aussi
dégénérés que certains Jérémies l'affirment. Vous êtes surtout francs et
vous ne dissimulez pas plus vos défauts que vous ne niez vos vertus.

De mon temps on aurait pu presque s'y tromper à première vue.

Le dernier des sots parvenait à cacher son infirmité morale sous un tas
de formules courtoises qui le sauvaient des écueils de la conversation.

L'étiquette servait de cuirasse à son insignifiance.

Vous autres, vous avez supprimé la cuirasse et quand vous êtes sots,
vous l'êtes simplement et sans détours.

De même, quand vous valez quelque chose, il y a dans votre attitude un
air conscient et satisfait de votre mérite, que vous avouez du reste sans
vanité avec une candeur très originale.

Cette rondeur et cette bonhomie à la « Yankee » n'est pas votre plus
grand tort à mes yeux.

Un de mes confrères, en grognerie, avec lequel j'épanche parfois mes
regrets des chères coutumes envolées, me disait un jour :

- Nous sommes dans le siècle de l'« À quoi bon ! »

J'ai vu de petites gens, longs comme mon pouce sourire d'incrédulité à
travers les larmes de leur colère enfantine, à l'évocation de
Croquemitaine !

Songez donc, nier Croquemitaine !... À cet âge ! Croquemitaine auquel
nos pères ont cru, qui a été la terreur de notre enfance ! Croquemitaine
que les poètes ont immortalisé !...

Passe encore pour abolir les rois, mais abattre Croquemitaine !... Là,
j'ai jugé de la mesure de votre cynisme.

Vous avez une expérience intuitive qui vous inspire une lassitude
précoce des accessoires de la vie, de tout ce qui n'est pas la vie elle-
même.

« Vous êtes nés usés dans un siècle trop vieux », aurait dit un poète.

À l'âge où, de mon temps, les jeunes filles s'habillaient de blanc et se
coiffaient de fleurs avec une fine et naïve coquetterie, à l'âge où elles
allaient errer mystérieusement sous quelque poétique bosquet, on les voit
aujourd'hui vêtues comme des impératrices, ayant du métal jusque dans leur
chevelure systématiquement disposée, s'asseoir auprès d'une « five o'clock
tea table », et ne parler qu'avec une expression languissante, légèrement
sarcastique où se lit, clairement, l'« À quoi bon » de mon vieil ami.

J'ai causé avec les jeunes hommes du siècle. Ils sont d'un positivisme à
pulvériser du regard tous les châteaux en Espagne imaginables.

Quand ils en viennent à converser avec les femmes de choses secondaires,
telles que la musique, la littérature, etc., ils conservent, pour les
juger, les expressions réalistes et conventionnelles des affaires ; ils
gardent sur leur figure le pli de l'insouciance, au coin de leur bouche le
sourire ironique qui raille l'enthousiasme. L'éternel « À quoi bon ».

Allons, mes enfants, relevez-vous de cet affaissement où s'émousse toute
la poésie de votre âme ! Vous ne ferez pas un peuple grand si vous ne
répudiez ce positivisme inerte, si vous ne regagnez un peu de
l'enfantillage des illusions.

Ne faites pas si large la part de la raison calculatrice et si mesquine
celle de l'imagination généreuse ou vous serez d'égoïstes citoyens.






Patriotisme




Champlain n'avait pas mauvais goût. Je suis bien aise de lui faire ce
compliment rétrospectif au moment où l'on inaugure sa statue dans cet
adorable Québec qu'il a fondé. On comprend qu'une telle nature à laquelle
s'associe le souvenir du vaillant saintongeois ait inspiré les plus belles
pages du chef d'?uvre de l'un de nos meilleurs écrivains : « À l'?uvre et à
l'Épreuve », par Laure Conan.

Il est très beau le noble gentilhomme français qui salue fièrement et
d'un geste chevaleresque, le sol dont il se rend maître. Du haut de son
socle de pierre il regarde sa ville et tourne le dos à la route de l'océan,
à la patrie, au passé. Il y a dans sa pose hardie de l'enthousiasme, et de
la tendresse déjà, pour le pays nouveau auquel il se voue corps et âme. Sa
silhouette de bronze, cambrée sous l'élégant habit du 17e siècle, se
détache avec majesté, avec une exquise harmonie aussi, sur l'azur intense
et sur l'immense horizon des montagnes lointaines qu'étoilent aujourd'hui
les pointes de vingt clochers.

On est heureux de le voir là, ce père de la colonie, comme si les
progrès de son ?uvre pouvaient le récompenser encore des dures épreuves du
début. On tressaille d'orgueil en entendant à ses pieds, en un jour de fête
française, nos hommes d'État le louer dans la belle langue qui fut la
sienne et qu'un siècle et demi de domination étrangère n'a ni détruite, ni
altérée.

On est fier aussi de voir sur cette Terrasse où passe incessamment le
flot cosmopolite des voyageurs, les étrangers apprendre le nom de Champlain
et acquérir l'admiration de notre histoire avec le respect de notre
nationalité.

Je voudrais maintenant qu'on inscrivît sur la pierre du piédestal la
maxime que l'un de nos jeunes et excellents écrivains a mise au frontispice
du livre intitulé « L'avenir du peuple canadien-français » : « Soyons
fiers, nous serons forts ».

Faut-il dire que nous n'usons pas assez de notre prérogative d'être
fiers.

Oublions-nous donc la gloire de notre origine et que nous sommes issus
de la première nation du monde ? Ne savons-nous pas que du moment où nos
ancêtres descendirent sur ce continent, habité déjà par d'autres Européens,
l'Amérique ne retentit plus que du bruit de leurs exploits ; et que les
Champlain, les Marquette, les la Salle, les d'Iberville éclipsèrent,
abattirent, et domptèrent tout ce qu'il y avait d'Anglais, de Hollandais,
d'Espagnols et de Portugais de la baie d'Hudson au golfe du Mexique, de
l'Atlantique au Pacifique ?

Ignorons-nous que rien ne fit jamais pâlir la gloire du nom français à
travers tous les malheurs de cette colonie, pas même la défaite qui nous
donna un nouveau maître. Quand l'armée du chevalier de Lévis, oubliée de la
France, écrasée par le nombre, capitula, l'ennemi lui présenta les armes
comme à un vainqueur.

Et cette liberté parfaite dont, colons anglais ou français nous
jouissons tous dans une autonomie complète, qui donc eut le courage de la
revendiquer d'un tyran tout-puissant ? qui l'acheta enfin