La pédagogie contre l'enseignement
Mais le propos le plus effarant est sans doute celui d'un ministre de l'Education
nationale, M. Claude Allègre, qui, dans un entretien accordé au Monde, a osé
...... pas . c'est à croire que M. Meirieu n'a jamais corrigé de copies ce qu'il
demande est infaisable sauf bien sûr pour des exercices comme la version ou le
thème ,.
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La pédagogie contre l'enseignement [1]
Tout le monde s'accorde pour dire que l'enseignement est malade et même
que, dans certaines disciplines et d'abord les lettres, il est carrément
moribond. Or, pour lutter contre cette maladie, beaucoup, notamment au
ministère de l'Education nationale, n'ont vu longtemps qu'un seul remède :
la pédagogie [2]. Si l'enseignement va mal, c'est, disaient-il, parce que
les futurs enseignants n'ont pas reçu une formation pédagogique suffisante.
Pour eux, la solution était donc d'abord de développer toujours davantage
la pédagogie, de lui faire une place toujours plus grande dans la formation
des enseignants.
Il y a pourtant de bonnes raisons de douter que ce soit bien là la
solution. En effet, il y a pas mal d'années déjà que l'on fait une part
toujours plus grande à la pédagogie dans la formation des enseignants. Or,
loin de s'améliorer, la situation n'a cessé d'empirer. Bien loin que le
remède parvienne à guérir le mal, bien loin qu'il parvienne du moins à le
faire régresser, bien loin qu'il parvienne seulement à le stabiliser, il ne
peut l'empêcher de progresser et de progresser à un rythme qui semble
toujours s'accélérer. Plus les enseignants sont censés apprendre à
enseigner et moins ils y parviennent. Le développement de la pédagogie n'a
cessé d'aller de pair avec le déclin de l'enseignement. On a célébré
l'année 1968 comme « l'an I de la pédagogie [3] » : elle a aussi sonné,
pour l'enseignement, le commencement de la fin. En même temps qu'au
triomphe de la pédagogie, on assiste aujourd'hui à la ruine de
l'enseignement. On peut donc, me semble-t-il, légitimement se demander si
la pédagogie dans laquelle beaucoup veulent voir le seul remède possible à
tous les maux dont souffre l'enseignement, n'est pas, au contraire, la
maladie qui le mine depuis longtemps et est en passe de le tuer [4].
Il y a un demi siècle les futurs professeurs de lycée ne recevaient
pratiquement aucune formation pédagogique. Les agrégés de ma génération
devaient seulement, l'année précédant l'agrégation, suivre un stage
pédagogique qui consistait à aller dans un lycée, pendant un mois, dans la
classe d'un professeur de leur discipline pour assister aux cours, avant de
faire eux-mêmes deux ou trois cours et de corriger quelques copies.
Beaucoup d'ailleurs, estimant à juste titre que ce stage ne leur apprenait
rien, attrapaient opportunément une grippe qui leur permettait de ne pas
venir pendant une semaine ou deux [5]. Or cette quasi absence de formation
pédagogique des professeurs ne les empêchait aucunement de faire
correctement leur métier, voire de le faire très bien. Certes il y avait,
et il y en a toujours eu, des professeurs qui ne faisaient jamais cours
parce qu'ils étaient régulièrement chahutés. Mais aucune formation
pédagogique n'aurait pu les empêcher de l'être. Ils n'étaient évidemment
pas faits pour un métier qui n'est pas facile et dans lequel il ne faut
surtout pas s'engager, si l'on est trop timide et si l'on n'a pas une
personnalité suffisamment affirmée. Aujourd'hui où ils reçoivent, comme
tous les futurs professeurs, une formation pédagogique, ils sont toujours
aussi incapables d'enseigner, mais, le plus souvent, cela ne se voit plus,
puisque leurs collègues sont maintenant dans la même situation qu'eux. Ce
sont donc sans doute les seuls enseignants dont la condition s'est
améliorée.
Si le stage pédagogique auxquels les futurs agrégés étaient soumis ne
servait pratiquement à rien, c'est tout simplement parce qu'il ne leur ne
leur apprenait que ce qu'ils savaient déjà. Les agités de la pédagogie
répètent à l'envi qu'on ne peut envoyer un enseignant débutant devant une
classe, sans lui avoir auparavant fait découvrir ce qu'est « le monde de la
classe », sans lui avoir montré dans la réalité ce qu'est « la vie de la
classe ». Cela leur semble aller de soi et ils n'arrivent pas à comprendre
qu'on puisse ne pas voir une chose aussi évidente. Ils haussent les
épaules, ils lèvent les bras au ciel, quand on ose dire qu'il ne sert pas à
grand-chose d'envoyer les futurs professeurs faire un stage dans un lycée.
Mais ce sont eux, pourtant, qui oublient une chose tout à fait évidente : à
l'inverse de ce qui se passe pour la plupart des autres professions, les
futurs enseignants connaissent déjà fort bien le monde dans lequel ils vont
exercer leur métier. S'il est fort utile que les futurs ingénieurs fassent
des stages en usine, que les futurs avocats et les futurs magistrats
fassent des stages dans les tribunaux, et, bien sûr, que les futurs
médecins fassent de très longs stages dans les hôpitaux, quel besoin de
montrer à des jeunes gens qui se préparent à être professeurs, ce qui se
passe dans une classe ? C'est assurément une des choses qu'ils savent le
mieux.
Certes les futurs enseignants se souviennent généralement fort mal de
leurs années d'école primaire et pas du tout de leurs années de maternelle.
Il n'est donc évidemment pas inutile de donner aux futurs « professeurs des
écoles » une formation appropriée et de les envoyer faire des stages dans
des écoles avant de leur confier une classe. Mais les futurs enseignants se
souviennent généralement assez bien de leurs années de collèges et encore
mieux de leurs années de lycées qui sont encore bien proches. Avant même de
commencer les études qui les mèneront au professorat, et qui d'ailleurs
leur permettront de retrouver encore le monde de la classe, même s'il n'est
plus tout à fait le même, ils bénéficient déjà d'une formation
professionnelle très longue, très riche et très complète. Ils ont connu des
classes, des professeurs, des camarades très nombreux et très divers. Ils
ont pu observer à loisir les qualités et les défauts des professeurs, leurs
méthodes ou leur absence de méthode, noter leurs propres réactions et
celles de leurs camarades. Ils ont vu ce qui marchait et ce qui ne marchait
pas, ce qu'il fallait faire et surtout ce qu'il ne fallait jamais faire.
Ils ont certainement plus appris de choses sur le métier d'enseignant
qu'ils ne pourront en apprendre plus tard dans les IUFM ou en suivant des
stages pédagogiques. Ou, s'ils n'ont rien appris, il y a gros à parier
qu'il ne sont pas faits pour ce métier.
De nos jours, il est vrai, les futurs enseignants peuvent de moins en
moins tirer profit de leurs années de collège et de lycée pour acquérir une
quelconque expérience pédagogique. Trop souvent, en effet, ils ne peuvent
plus comparer les classes qui marchent et celles qui ne marchent pas,
puisque plus aucune ne marche; ils ne peuvent plus comparer les professeurs
qui savent enseigner et ceux qui ne le savent pas, puisque plus aucun d'eux
n'est en situation de le faire, alors que tous maintenant, dans les IUFM,
sont saturés de cours de pédagogie donnés par des spécialistes des sciences
de l'éducation.
Il est donc grand temps, me semble-t-il, non seulement de stopper net
cette absurde fuite en avant dans une pédagogie galopante qui, depuis
longtemps, tient lieu de politique au ministère de l'Education nationale,
mais de faire carrément marche arrière, en remettant radicalement en cause
les dogmes et les pratiques infantiles imposés par la secte pédagogique et
en revenant résolument sur les prétendus acquis de mai 68 qui ont surtout
consisté à brader et à jeter par-dessus bord tous les principes et toutes
les règles qui faisaient la force et la valeur de notre enseignement.
Pour ce faire, il faut oser rappeler des choses qui n'auraient jamais dû
cesser d'être considérées comme des évidences, et que pourtant personne ne
peut plus dire sans passer pour un affreux obscurantiste et un horrible
réactionnaire. Et, en tout premier lieu, il faut oser dire bien haut que le
rôle des professeurs est d'abord de faire cours, et celui des élèves de les
écouter. Car un des articles essentiels, pour ne pas dire l'article
essentiel du credo pédagogique est la condamnation du cours dit magistral
et même du cours tout court. « Faire classe sans faire cours [6] », telle
doit être, selon le grand chef de file des allumés de la pédagogie, M.
Philippe Meirieu, la règle d'or de tous les enseignants. Au nom d'une
idéologie spontanéiste et égalitariste, on enseigne maintenant aux futurs
professeurs que leur rôle est d'abord, est essentiellement de donner la
parole à leurs élèves. Selon MM. Viala et Schmidt, il faut tâcher le plus
possible de déplacer « l'attention de l'élève de la parole unique du maître
à la parole plurielle des camarades », en ayant recours notamment au
travail en équipes [7]. « De transmetteur, le maître doit devenir
entraîneur [8] » dit, quant à lui, M. Meirieu. Pour lui, le rôle du maître
doit tendre de plus en plus à ressembler à celui des animateurs de débats
télévisés qui essaient de faire en sorte que tous les intervenants aient à
peu près le même temps de parole et qui ont souvent beaucoup de mal
à empêcher que tout le monde ne parle en même temps. Mais le propos le plus
effarant est sans doute celui d'un ministre de l'Education nationale, M.
Claude Allègre, qui, dans un entretien accordé au Monde, a osé déclarer :
« Il y a dans l'enseignement une tendance archaïque que l'on peut résumer
ainsi : « Ils n'ont qu'à m'écouter, c'est moi qui sais ». Sauf que c'est
fini. Les jeunes (et même les très jeunes) n'en veulent plus. Ce qu'ils
veulent c'est inter-réagir [9] ». Le plus extraordinaire est que cette
déclaration inouïe dans laquelle le ministre chargé d'assurer la bonne
marche de l'