HUGO, ''Les châtiments''

Les grandes ?uvres, du moins en poésie, ne sont-elles pas filles de la solitude
intérieure? ..... On peut relever des expressions appartenant encore à la langue «
poétique» des classiques : ...... doit être expié par l'échec qu'il rencontre dans l'
exercice de son immense ambition. ...... Ils te forcent à boire avec eux, et Carlier.

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''Les châtiments''
(1853)

recueil de 98 poèmes de Victor HUGO

pour lequel on trouve ici :

- La genèse de l'?uvre


- La suite des poèmes, dont, pour certains, sont donnés le texte, des
notes, un commentaire ou même, pour les suivants, une analyse :


- ''Souvenir de la nuit du 4'' (pages 10-16),


-''Fable ou histoire'' (pages 28-30),


-''L'expiation'' (pages 46-51),


-''Hymne des transportés'' (pages 61-63),


-''Stella'' (pages 64-67),

- ''Sonnez, sonnez toujours, clairons de la pensée'' (pages 68-
70).

- Une synthèse







Bonne lecture !
Genèse

Député de Paris à la Constituante en 1848, à la Législative en 1849, Hugo
avait donné au prince Louis-Napoléon tout l'appui de son enthousiasme et de
son prestige, jusqu'au jour où, déçu dans ses espérances libérales, il
dénonça à la tribune l'ambition du prince-président : «Après Auguste,
Augustule ; après Napoléon-Ie-Grand, Napoléon-le-Petit.»
Après le coup d'État du 2 décembre 1851 (anniversaire de la victoire
d'Austerlitz), la vaine tentative de résistance du 3 décembre, tandis que
Baudin se faisait tuer sur les barricades, le 11 décembre, il quitta Paris,
partit pour I'exil. Bruxelles en fut la première étape douloureuse de
l'exil ; la fureur et l'amertume lui inspirèrent alors ''Napoléon-le-
Petit'' (publié le 5 août 1852) et ''Histoire d'un crime'' (paru en 1877).
Le 1er août 1852, il quitta Bruxelles pour Londres, puis pour Jersey, terre
de liberté. Le 12 août, au cottage de Marine-Terrace, il trouva la
«blancheur glaciale, l'hospitalité de la neige». «Cette maison, lourd cube
à angles droits, choisie par ceux qui l'habitaient sur la désignation du
hasard, parfois intentionnelle, avait la forme d'un tombeau [...] L'hiver
y fut lugubre.» (''William Shakespeare''). À lire ses confidences, on se
rend compte de sa souffrance, et, devant son désarroi, on est saisi de la
plus douloureuse pitié : «Et maintenant, je suis le proscrit, l'exilé, le
banni, le chassé, celui qui est à tuer, celui qui s'est entêté dans cette
sottise du devoir [...] Je vis seul parmi les grèves au bord de la mer,
n'ayant plus guère que mon chien [...] Je vais, je viens, je marche le
long des flots au hasard ou dans les bois, ou dans la plaine, républicain,
démagogue, jacques, partageux, buveur de sang, vaincu, espèce de paria,
espèce de loup. Des paysans voient une figure française et m'insultent.»
Bientôt, cependant, il s'évada de la douleur et de la haine mesquine.
Bientôt, aux cris égoistes de sa passion, le spectacle des horizons infinis
de la mer lui fournit l'apaisement en même temps que l'allégresse lyrique.
Les mugissements de l'océan s'harmonisaient avec ses colères et ses
grondements, avec le délire prophétique qui, chez lui, s'exaspérait. Sur le
''Rocher des proscrits'', il prit la figure d'un Titan qui, de sa solitude,
lance l'anathème ou la bénédiction. Devant le spectacle de l'océan, ses
facultés d'observateur et de peintre firent place à l'hallucination
verbale, au délire imaginatif, qui allaient devenir les procédés habituels
de sa pensée.
Leconte de Lisle constata : « Entre toutes les passions qui sont autant de
foyers intérieurs d'où jaillit la satire, la passion politique est une des
plus âpres et des plus fécondes. Haine de la tyrannie, amour de la liberté,
goût de la lutte, ambition de la victoire ou du martyre, tout s'y donne
rendez-vous et s'y rencontre.» Il parlait d'Augustin Barbier, mais ce qu'il
dit s'applique aussi bien à d'Aubigné, à Ronsard, à Chénier et à Hugo chez
qui l'indignation de Hugo fit renaître la veine poétique qui avait été
tarie depuis 1843, en la revêtant de profondeur, en lui prêtant un vaste
écho.
Il composa donc des poèmes où il retrouva tous les thèmes de la satire
politique, passant de l'ironie à l'anathème, de la brutalité à la
délicatesse et à la rêverie, de la sensibilité frémissante à la
contemplation sereine des spectacles de l'océan, atteignant la grandeur et
la majesté de l'épopée, créant un nouveau genre littéraire, la satire
lyrique (définition du recueil que donna Brunetière). Mais, à côté de
l'inspiration satirique se trouvent des thèmes apaisés ou de puissantes
visions épiques.
Aussi convient-il de les situer exactement dans sa vie et son évolution
poétique.
Lorsqu'il dut s'exiler en 1851, il n'avait rien publié depuis ''Les
burgraves'' (1843). Son dernier recueil lyrique était ''Les rayons et les
ombres'' (1840). Ce long silence peut surprendre de Ia part d'un homme en
pleine maturité et d'un écrivain qui avait multiplié les preuves de sa
vitalité et de sa virtuosité. Quelles influences agirent alors sur lui,
quel travail se fit sourdement dans son âme, pour aboutir à la naissance
d'un poète nouveau?
En 1843, il avait connu coup sur coup une déception et un déchirement : en
mars, l'échec des ''Burgraves'' ; en septembre, la mort de sa fille aînée.
De ces deux épreuves, la première marquait la fin de son rôle de chef
d'école, et semblait sonner le glas du romantisme. La pièce était tombée
sous les sarcasmes; pis que cela, elle avait sombré dans l'indifférence.
Victor Hugo, qui venait de franchir le cap des quarante ans, et sur qui
s'accumulaient les honneurs les plus officiels (académicien depuis 1841,
bientôt vicomte et pair de France, dut sentir qu'il n'était plus le poète
de la jeunesse. Déception cruelle, mais bienfaisante : il allait, sous le
coup de cette leçon, renoncer au théâtre, ou plutôt au mélodrame poétique
et pseudo-historique, à tout ce pittoresque facile où l'on avait vu,
longtemps l'essentiel du romantisme, et qui n'en était que l'aspect le plus
superficiel et le plus prompt à se démoder ; ou, s'il devait plus tard
faire encore une large place à l'inspiration historique et légendaire, ce
serait dans l'épopée, qui s'accommode plus aisément d'une certaine
puérilité. En revanche, il ne renonçait pas à ce qui était la substance
même du romantisme : expression passionnée des sentiments, Iiberté de la
forme, mission philosophique et sociale du poète. Il y renonçait moins que
jamais : ayant vu se disperser l'école romantique, étant dégagé des
entraves de I'esprit collectif, cessant d'être un chef de groupe pour
devenir un libre individu, il allait pouvoir délivrer le meilleur de son
message. Les grandes ?uvres, du moins en poésie, ne sont-elles pas filles
de la solitude intérieure?
Quant à la mort de Léopoldine, elle influa sur le ton des ''Châtiments'',
car, jusqu'alors, les vers de Hugo avaient eu un accent souvent grave, mais
jamais très douloureux. Les tristesses inévitables qu'il avait connues
n'avaient jamais été assez tragiques pour altérer profondément sa sérénité.
En septembre 1843, il eut la révélation de la souffrance. Aussi sa poésie,
même quand elle ne s'inspire pas directement de la mort de Léopoldine, prit-
elle un accent passionné, une sombre violence qu'elle n'avait jamais eus.
Ou si parfois il avait prêté cette passion à certains de ses héros, un
Hernani, un Ruy Blas, c'était à des créations bien différentes de lui,
assez artificielles et où il était fort peu engagé.
Ce qui fera le prix du pathétique des ''Châtiments'', c'en est la sincérité
absolue. Pour Paul Berret (dans l'introduction de l'édition en 1932), «Le
refoulement de la douleur et de l'abattement, l'évasion hors des
mesquineries, la recherche de la majesté, le désir de la posture
victorieuse et prophétique, l'exaltation de la fierté du moi, voilà les
sources profondes de l'inspiration des ''Châtiments'', et, non moins,
l'explication de leur grandeur. »
Les deux épreuves de 1843 ont donc préparé une transformation profonde de
son lyrisme. Pendant huit ans, tout en travaillant aux ''Misérables'' et à
quelques-uns des poèmes des ''Contemplations'', il trouva surtout une
diversion dans Ia politique. L'an 1851 marqua une nouvelle étape de son
évolution.
D'abord à cause du coup d'État. Ici encore, iI faut jeter un coup d'?il en
arrière. En politique, il s'était laissé porter par l'opinion plutôt qu'il
ne l'avait diriger. Légitimiste sous la Restauration, il s'était rallié
assez vite, après 1830, à Louis-Philippe. Son culte pour Napoléon n'était
pas une opinion politique, au moins depuis la mort du duc de Reichstadt
(1832) ; célèbre, en 1840, le retour des cendres de l'Empereur n'avait rien
d'une bravade, puisque le propre fils du roi des Français les ramenait de
Sainte-Hélène. Il ne songeait pas davantage à la République. Tandis que
Lamartine fut le principal artisan de la révolution de 1848, Hugo, lorsque
l'orage éclata, tenta e faire admettre le maintien de la monarchie, avec la
belle-fille du roi pour régente. Ayant échoué, il se rallia à contre-coeur
à la république. Il fut élu à la Constituante sur un programme
conservateur. Dans son journal, ''L'événement'', après quelques
hésitations, il soutint la candidature de Louis-Napoléon aux élections
présidentielles. S'il refusa ensuite l'ambassade de Naples et celle de
Madrid, est-ce parce qu'il voulait être ministre? Il semble surtout avoir
rêver de jouer un rôle moral de conseiller du prince-président. Il fut élu
député de Paris en mai 1849 grâce à l'appui du comité de la rue de
Poitiers, qui unissait légitimistes,