L'étude des langues étrangères - ORBi

La connaissance du latin permet une ascension sociale plus rapide[36].
Stratégius Musonianus, qui ..... Les exercices se présentent comme des drills.
Dans une première .... Inv. 10582 (Kramer, 1983, n° 15, recto, col. 2, 42-60). HMp
(CGL, III ...

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L'enseignement du latin comme L² dans la Pars Orientis de l'Empire romain :
les Hermeneumata Pseudodositheana Bruno Rochette
(Université de Liège) Dans le système éducatif de la Grèce et de Rome, l'enseignement des
langues étrangères occupe une place très réduite. Bien qu'ils soient entrés
en contact avec de nombreux peuples étrangers, les Grecs et les Romains,
forts de leur supériorité culturelle, n'accordent guère d'importance à la
langue des autres, qu'ils considèrent généralement comme un idiome barbare
incompréhensible et indigne d'intérêt. La curiosité linguistique dans le
monde gréco-romain se limite aux mots exotiques, elle ne s'étend nullement
au système grammatical d'une langue étrangère. Voilà pourquoi les
grammairiens grecs ne s'intéressent guère au latin, considéré, encore à
l'époque de la conquête romaine du monde grec, comme une langue barbare.
Certains érudits s'efforceront toutefois, à partir de l'époque de Sylla, de
démontrer que la langue de Rome est issue du grec et qu'elle a donc droit à
un traitement différent de celui que les Grecs réservent généralement aux
langues étrangères. Néanmoins, quoiqu'il fût actif sous le règne des
Antonins, qui marque l'apogée de la collaboration entre les deux cultures
et les deux langues, le grammairien grec Apollonios Dyscole semble toujours
ignorer la langue latine. Dans un monde grec monoglotte, replié sur lui-même, on comprend
pourquoi les polyglottes sont si peu nombreux et sont présentés comme de
véritables prodiges. Dans l'esprit des Grecs, c'est aux étrangers qu'il
revient d'apprendre le grec, non aux Grecs d'aller vers les autres. Cette
situation explique pourquoi nous disposons de fort peu d'informations sur
la façon dont les Grecs pouvaient apprendre une langue étrangère ou les
étrangers le grec. Il semble que l'apprentissage se faisait de façon
empirique, par full immersion. L'exemple le plus ancien est mentionné par
Hérodote (1.154). Le pharaon Psammétique I confia de jeunes Égyptiens à des
colons ioniens et cariens, afin qu'ils leur apprissent le grec. Une fois
formés, ces jeunes gens devinrent des interprètes en Égypte. Le cas de
Thémistocle est du même ordre. L'homme d'État athénien aurait appris le
perse, en moins d'un an (en 465 av. J.-C.), en se trouvant à la cour du roi
Artaxerxes, sans doute dans le but d'y accroître son influence[1]. Les
quelques ????????? mentionnés par Hérodote et Xénophon qui ont joué le rôle
d'interprètes lors d'expéditions militaires n'ont, semble-t-il, pas eu
besoin d'une méthode d'apprentissage particulière. Ce ne sont pas des
interprètes de profession, mais des gens bilingues parce qu'ils ont eu des
parents parlant une langue étrangère. Le Scythe Skylès, fils du roi
Ariapeithès, devait son bilinguisme à sa mère, une femme d'Istria, qui lui
avait appris elle-même la langue et les lettres grecques (Her., 4.78)[2]. La situation n'est guère différente à Rome. Même si la ville était
devenue, sous l'Empire, une cité babélique[3], on n'y étudiait guère les
langues étrangères, sauf peut-être l'étrusque qui, selon le témoignage de
Tite-Live[4], était enseigné aux enfants de Rome, dans les premiers temps
de la République, au même titre que le sera le grec au Ier s. av. J.-C. À
Rome, les Étrusque sont pour ainsi dire les Grecs d'avant les Grecs. Bref,
l'étude des langues étrangères dans l'Antiquité ne se conçoit guère qu'à
l'intérieur du domaine gréco-latin lui-même, désigné par la formule utraque
lingua, qui souligne le caractère indissociable des deux langues dans un
ensemble qui n'en admet pas une troisième[5]. 1. Les latinophones et le grec
L'étude du grec à Rome ne peut guère être considérée comme
l'apprentissage d'une langue étrangère, puisque les Romains l'étudiaient
dès le plus jeune âge, avant même le latin[6]. Le latin a grandi à l'ombre
du grec, considéré par Cicéron comme une langue universelle[7]. En
exagérant à peine, on pourrait dire que c'est le latin qui est une langue
étrangère à Rome, tout au moins à l'époque classique. Tandis que nous avons
de nombreux renseignements sur l'étude, privée ou publique, de la langue
maternelle, sur les différentes étapes du parcours de formation à partir du
ludus primi magistri jusqu'au stade final, celui du rhéteur ainsi que sur
les méthodes et le contenu de la formation[8], les donnés concernant
l'étude du grec à Rome viennent presque exclusivement de Quintilien[9]. Le
programme pédagogique exposé par le rhéteur prévoit l'étude du grec avant
même le latin[10] :
1.1.12-14 : a sermone Graeco puerum incipere malo [...]. Non tamen hoc
adeo superstitiose fieri uelim, ut diu tantum Graece loquatur aut
discat, sicut plerisque moris est. [...] Non longe itaque Latina
subsequi debent et cito pariter ire. Ita fiet ut, cum aequali cura
utramque linguam tueri coeperimus, neutra alteri officiat.
« C'est par le grec que, selon mes préférences, l'enfant doit commencer
[...]. Toutefois, je ne voudrais pas que l'on ait la superstition
d'imposer longtemps à l'enfant de parler et d'apprendre seulement le
grec, comme c'est la mode aujourd'hui [...]. L'étude du latin doit donc
suivre peu après et aller bientôt de pair avec celle du grec ; ainsi,
quand nous aurons apporté aux deux langues un soin égal, aucune des
deux ne gênera l'autre. »
(Trad. J. Cousin) Comme on le voit, Quintilien ne souhaite pas étendre l'usage du grec.
Il se montre préoccupé par la grécophonie excessive qui risque d'affecter
la prononciation correcte du latin. Selon lui, les enfants, surtout ceux
issus des classes aisées, apprennent la langue étrangère cum lacte nutricis
(1.1.4-5 et 8-11). Voilà pourquoi les nourrisses doivent avoir des
compétences linguistiques importantes : leur sermo ne devait pas être
uitiosus pour ne pas engendrer des erreurs qu'il serait difficile
d'éliminer par la suite. Les enfants devaient étudier d'abord le grec, puis
continuer, à courte distance, par l'apprentissage du latin. De cette façon,
les deux langues étaient assimilées en parallèle avec un soin égal (utraque
lingua cum aequali cura), sans toutefois qu'il y ait d'interférence entre
elles. On veillait à un équilibre entre les deux langues sans que l'une
puisse jamais l'emporter sur l'autre. Une telle étude devait développer un
bilinguisme plus ou moins parfait, entretenu par la fréquentation de
l'enfant avec des pédagogues hellénophones. Dans la suite des études, le
grec et le latin continuaient d'être étudiés en parallèle, mais toujours
sans interférence entre les deux langue : nec refert de Graeco an de Latino
loquar, quamquam Graecum esse priorem placet : utrique eadem uia est
(1.4.1). La pratique de la confrontation des deux langues venait seulement
à un stade plus avancé. La traduction du grec en latin est présentée par
Cicéron (de orat., 1.155) comme un exercice élaboré de rhétorique.
Quintilien (10.5.2-3) le recommande particulièrement à un élève avancé, qui
sera ainsi obligé, en traduisant, de respecter les différentes figures
selon les structures des deux langues. Ainsi instruits, les enfants, une fois adultes, pouvaient parler le
grec avec une grande facilité et de façon tout à fait naturelle[11].
Cicéron dit de Crassus et Graece sic loqui, nullam ut nosse aliam linguam
uideretur (de orat., 2.1.2). Cornelius Nepos (Att., 4.1) s'exprime à peu
près de la même façon à propos de Pomponius Atticus : sic enim Graece
loquebatur, ut Athenis natus uideretur. On assiste ainsi à la constitution
d'une classe aristocratique parfaitement bilingue. Le grec n'était pas
utilisé seulement par les Romains pour faire montre de leur culture[12]. Il
était profondément enraciné à Rome. Les lettres de Cicéron, surtout celles
à Atticus, montrent la facilité avec laquelle l'Arpinate passe d'une langue
à l'autre avec une spontanéité telle que le grec y apparaît véritablement
comme une seconde langue maternelle. L'éducation reçue à Rome se
poursuivait généralement par un séjour d'étude plus ou moins long en Grèce,
durant lequel les jeunes Romains pouvaient étudier la rhétorique et la
philosophie dans le berceau même de ces disciplines.
Si, déjà au temps de Cicéron, le bilinguisme à Rome connaissait des
exceptions, durant les premiers siècles de l'Empire on perçoit une
modification dans la façon dont étaient maîtrisées les deux langues. Pline
le Jeune était un parfait bilingue, au point d'avoir pu rédiger une
tragédie en grec, mais ses lettres témoignent d'une certaine affectation
dans l'utilisation de cette langue. Ce qui était spontané et naturel chez
Cicéron, signe d'un usage quotidien, est devenu exercice littéraire chez
Pline. La connaissance du grec en Occident ira décroissant. Au IVe s., les
latinophones connaissant le grec sont cités comme des exceptions[13]. Saint
Jérôme n'avait pas très bien appris le grec[14], pas plus que Symmaque, qui
avoue (epist., 4.20.2) être en train de le réétudier avec son fils pour
pouvoir l'aider dans l'étude de Ménandre. Une constitution impériale de 376
(Cod. Theos., 13.3.11) exprime des doutes sur la possibilité de trouver un
grammaticus Graecus préparé pour la chaire de la résidence impériale de
Trèves. Saint Augustin, qui était pourtant originaire d'une famille
bourgeoise, rapporte les difficultés qu'il a éprouvées, sans doute durant
les années soixante-dix du IVe s., à étudier, à contrecoeur, Homère. Il les
compare à celle