Quelques souvenirs de la Taupe B - Souvenirs de la taupe de Louis ...
Avant la taupe, on fait une classe d' « hypotaupe » (alias « maths-sup ») puis on
.... L'École Polytechnique était en effet l'objectif essentiel des élèves de taupe et
... en discussions sur des sujets que j'ai oubliés et en exercices de résumés de
textes. .... Les concours à l'écrit comportaient naturellement plusieurs épreuves
de ...
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Quelques souvenirs de la Taupe B à Louis-le-Grand
par Daniel Hoffsaes Chic à la Taupe (et aux taupins !) Avant de décrire ma nouvelle vie, il n'est peut-être pas inutile d'apporter
quelques précisions sur le jargon utilisé dans ce monde particulier et sur
les coutumes ethnologiques des peuplades qui y survivent.
La taupe est un animal qui vit sous la terre et ne voit jamais le jour,
sinon il en meurt. Sous le sol, il gratte, fait des tunnels et avance dans
le noir, sans se préoccuper du monde extérieur. Pour des raisons qui me
sont très vite apparues évidentes, les classes de mathématiques spéciales
ont pris cet animal comme totem et les élèves s'appellent tout
naturellement des taupins.
Avant la taupe, on fait une classe d' « hypotaupe » (alias « maths-sup »)
puis on entre en taupe (alias « maths-spé ») comme trois-demi. L'hypotaupe
est en effet considérée comme une demi-classe et la taupe comme une classe
entière. En bonne logique de taupin, on est donc trois-demi en première
année de taupe puis, si l'on redouble ou triple, on devient cinq-demi ou
sept-demi. Au-delà c'est l'asile psychiatrique, bien que j'aie connu un
neuf-demi qui gardait encore l'aspect humain.
Seuls quelques petits génies intègrent dans une grande école en trois-demi
et, de ce fait, l'effectif d'une taupe se partage à peu près à égalité
entre trois et cinq-demis, avec seulement quelques sept-demis ou « bicas ».
La classe de taupe est une tribu fortement hiérarchisée. Les cinq-demis en
constituent la classe supérieure et, parmi eux, les pensionnaires forment
la sous-classe dominante. Ce sont ces pensionnaires qui choisissent le
président, appelé le « Z », un vice-président, le « VZ » et un trésorier.
Le Z s'occupe des relations avec les professeurs et les autorités du Lycée,
organise le passage des élèves dans les « colles », examens oraux
périodiques de maths et de physique, et la vie dans la salle d'études. Le
VZ donne des coups de main aux uns et aux autres et le trésorier s'occupe
de gérer la caisse noire de la classe.
Cette caisse est alimentée par le bizutage qui ponctue chaque rentrée
scolaire. Les victimes en sont les élèves d'hypotaupe et je bénis le ciel
d'y avoir échappé en passant cette étape bien au calme dans mon lycée de
province. Les pauvres bizuths se voyaient rançonnés plus ou moins
volontairement, tout d'abord par un appel au peuple général, puis par des
prises en otage de victimes à qui l'on faisait résoudre des problèmes plus
ou moins stupides. S'ils répondaient mal, ils étaient invités à payer et
s'ils répondaient bien, ils étaient considérés comme trop malins et invités
à payer plus encore. En tant que trois-demi, j'assistais en spectateur à
ces scènes, un peu dégoûté de l'aspect humiliant qu'elles présentaient pour
certaines victimes.
Cela ne durait que quelques jours, puis la vie prenait son cours normal et
tout le monde se mettait à « chiader » dans son coin. Seule parfois une
randonnée nocturne dans le dortoir des bizuths rappelait à ceux-ci que le
calme dans lequel ils croyaient se trouver était précaire.
Le danger pouvait cependant venir de l'extérieur car les X, passant par les
égouts, sont parvenus une fois à rentrer en pleine nuit dans le Lycée et à
mettre anciens et bizuths à égalité en relevant tous les lits à « pi-sur-
2 » c'est-à-dire à la verticale sur leur tête. La vie matérielle s'organisait de la façon suivante. Le matin, avant le
réveil, on entendait le bruit des tuyaux de chauffage qui se dilataient
sous l'arrivée de l'eau chaude. À sept heures, la sonnerie retentissait
pour signaler l'heure du réveil. Le surveillant, qui dormait dans une
cabine isolée par des rideaux, allait secouer les paresseux et tout le
monde se rendait au lavabo collectif, où l'on pouvait seulement se
débarbouiller et se laver les dents. Tout lavage plus intime était
impossible et réservé à la douche bi-hebdomadaire.
Ensuite, nous descendions au réfectoire pour le petit-déjeuner. Parfois
l'odeur du repas de midi nous annonçait déjà, par une tenace odeur, que
nous aurions du chou-fleur ou du poisson frit au déjeuner. Après le petit-
déjeuner, nous nous rendions en salle d'étude pour préparer notre journée,
en attendant les premiers cours de huit heures. Si on avait du travail en
retard, on pouvait se faire réveiller à cinq heures du matin. Il suffisait
de mettre une serviette au pied du lit la veille au soir et le veilleur de
nuit nous secouait les pieds en faisant sa tournée. On s'habillait
discrètement et on descendait dans l'obscurité pour rejoindre la salle
d'étude déserte. Je n'ai que rarement utilisé cette possibilité la première
année, y renonçant totalement pendant la deuxième.
À midi, le repas se tenait dans le grand réfectoire, où nous nous tenions
assis par tables de douze, alignées perpendiculairement aux murs. Au
centre, une allée permettait l'accès aux chariots apportant la nourriture
et la circulation du surveillant chargé d'assurer la discipline. Les
manifestations collectives et les chahuts étaient, bien entendu, interdits.
La qualité de la nourriture était médiocre, ce qui donnait lieu à de
fréquentes protestations de notre part. Plusieurs fois, nous eûmes recours
à une grève de la faim symbolique, en refusant toute nourriture pendant un
repas. Les autorités, alertées au préalable, sortaient alors leur arme
secrète en nous servant des frites, qui étaient notre plat préféré.
Quelques traîtres ou « jaunes » rompaient parfois la solidarité avec les
grévistes, à la réprobation générale de ceux-ci. La politique se mêla une
fois à l'affaire et la cellule communiste du Lycée annonça à grand renfort
de publicité que le journal « L'Humanité » nous envoyait des sandwichs pour
que nous puissions tenir le coup. Après ces manifestations, les menus
s'amélioraient quelque temps avant de retomber dans la routine ancienne.
Les provisions fournies par ma mère étaient donc les bienvenues pour me
permettre d'améliorer la subsistance.
Après le déjeuner et la récréation, nous retournions dans la salle d'étude,
en attendant le retour des externes et les cours de l'après-midi, qui
duraient depuis deux heures jusque parfois six heures. Le soir, il y avait
encore étude, puis le dîner. La soirée se terminait en salle d'étude avant
que nous rejoignions le dortoir à vingt-deux heures. La salle d'étude était
quasiment en permanence surveillée par un « pion », dont le travail était
peu chargé, car nous étions tous occupés à revoir nos cours ou faire nos
devoirs et le surveillant pouvait se consacrer tranquillement à ses propres
travaux. De temps en temps, nous sortions dans le couloir qui faisait le
tour de la cour de récréation, au niveau du premier étage. Certains jours,
cette cour était animée par des défilés de « khâgneux » (élèves de lettres
préparant Normale Sup) qui faisaient le tour de la cour en chantant un
hymne sur l'air des trompettes d'Aida. Ils avaient parfois droit aux
quolibets et sifflements des taupins qui les regardaient avec des airs
goguenards.
La salle d'étude était entourée de tableaux noirs, sur lesquels nous
pouvions nous exercer à faire nos travaux, réviser nos cours ou étudier en
commun nos problèmes. À l'entrée, un de ces tableaux était réservé à
l'affichage d'un grand X en rouge (ou en jaune suivant l'année car à
Polytechnique, les promotions sont alternativement de ces deux couleurs), à
côté duquel était inscrite la liste des élèves qui avaient été reçus à l'X
l'année précédente, classés dans leur ordre d'admission. L'École
Polytechnique était en effet l'objectif essentiel des élèves de taupe et
seuls ceux qui « intégraient » cette école méritaient cette publicité. En
début d'année, nous avions parfois la visite de ces anciens, revêtus de
leur uniforme en tissu gabardine, qui venaient à la fois se faire voir et
retrouver des camarades moins chanceux, condamnés à faire une année
supplémentaire avant d'accéder au paradis ! L'arrivée de ces anciens était
toujours ponctuée du « pschutage » qui était la manière utilisée par les
taupins pour signaler leur enthousiasme pour quelque chose ou quelqu'un
(l'inverse était le bzz qui marquait la désapprobation ou la honte !).
Grâce à ce tableau racoleur et à cet X gigantesque, nous avions tout le
temps devant les yeux ce qui serait notre ligne bleue des Vosges jusqu'à la
victoire. Les premiers instants d'acclimatation passés, des relations agréables
s'établirent entre tous les internes, qui se reconnaissaient à la blouse
grise portée par la plupart d'entre eux. Le Z était un grand rouquin très
sympathique, qui avait de bonnes relations avec tous et qui présida sans
outrance aux rituels du bizutage. Je liai amitié avec quelques trois-demis,
et notamment avec l'un d'entre eux, Guy D, qui fut pendant la première
année mon voisin dans la salle d'étude et au dortoir. Mon autre voisin de
lit était dans une autre prépa, pour HEC je crois. Le soir, il me racontait
longuement ses soirées dans les milieux huppés qu'il fréquentait, notamment
ses rencontres avec des membres de la famille du comte de Paris, car
c'était un fervent royaliste. Les relations avec les externes étaient plus
distendues, car on ne les voyait que pendant les cours. Bien que
n'appréciant pas trop l'internat, je ne les enviais pas car ils devaient
subir tous les aléas du transport et ajouter ce temps perdu à leur temps de
travail, tandis que nous, nous avions tout sur place. Le Lycée comportait trois taupes. La taupe A avait comme professeur
principal (en mathématiques nat