Les soirées à la maison - La Bibliothèque électronique du Québec

Nouvelle édition corrigée de plusieurs fautes qui se sont glissées dans les
précédentes, .... .-Le maître italien dans sa dernière perfection. revu, corrigé &
augmenté de nouveau où l'on ...... LAMOTHE-LANGON (Baron Étienne Léon de)]
. ...... L'orientaliste Claude-Étienne Savary (Vitré 1750 - mort en 1788) est un
pionnier de ...

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Comtesse de Sannois

Les soirées à la maison


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Comtesse de Sannois









Les soirées à la maison









La Bibliothèque électronique du Québec
Collection À tous les vents
Volume 1340 : version 1.0















Les soirées à la maison




Édition de référence :

Paris, Librairie Hachette et Cie, 1873.








Fidèle




Pierre et Marie étaient les enfants d'un pauvre bûcheron qui habitait,
avec sa femme, une chaumière située sur la lisière d'une grande forêt.

Ces enfants étaient très heureux et s'amusaient beaucoup, quoiqu'ils
n'eussent ni joujoux ni beaux vêtements, car la forêt leur procurait toutes
sortes de distractions. L'été, ils allaient cueillir des fraises et des
noisettes, et Marie faisait de gros bouquets avec ces belles fleurs
sauvages qui croissent à l'ombre des bois ; et puis, dans une mare du
voisinage, ils coupaient des joncs dont leur papa leur avait appris à
tresser de jolies corbeilles. Pierre savait aussi fabriquer des sifflets
avec des roseaux, et il se divertissait à attirer les oiseaux en imitant
leur chant ; comme il ne leur faisait jamais de mal, il les avait si bien
apprivoisés, qu'ils venaient jusqu'à ses pieds manger les miettes de son
pain bis.

L'hiver leur imposait des occupations plus sérieuses : ils allaient sous
les hautes futaies ramasser du bois mort, dont ils faisaient de gros
fagots, qu'ils apportaient sur leur dos à la maison, ou qu'ils traînaient
avec une corde, lorsque la charge était trop lourde ; cela n'était pas
aussi agréable que de ramasser des fleurs et des fruits, d'autant plus que
le vent du nord, qui faisait alors entrechoquer les branches dépouillées
des arbres, soufflait sur leurs doigts bleuis, et rougissait leurs petits
nez. Néanmoins, ils s'acquittaient avec plaisir de cette pénible besogne ;
car ils savaient que leur travail aidait leurs pauvres parents accablés
d'ouvrage, et procurait à tous une soirée agréable sous le manteau de la
vaste cheminée où l'on était si bien quand il y avait bon feu. Mais le
bûcheron et la bûcheronne avaient bien recommandé à leurs enfants de ne
jamais s'enfoncer dans la forêt, de crainte de s'égarer ou de rencontrer
des loups ; car il y en avait dans cette forêt-là, à ce que l'on disait, et
même de très méchants ; heureusement ils se tenaient dans le fond des bois,
et ne s'approchaient guère des habitations.

Par un beau jour de printemps, comme Pierre et Marie se promenaient à
quelque distance de leur chaumière, ils crurent entendre un petit cri
plaintif qui semblait sortir d'un buisson ; ils écartèrent les herbes qui
étaient fort élevées en cet endroit, et aperçurent un petit chien blanc,
avec des taches couleur de feu, qui les regardait en gémissant comme un
pauvre chien perdu qu'il était : il n'avait que quelques mois, et son âge
ne lui permettait pas encore de chercher sa vie comme le font les chiens
errants.

Les enfants, enchantés de cette découverte, lui prodiguèrent mille
caresses auxquelles le pauvre animal répondait à sa manière en remuant la
queue et en leur léchant les mains, expressions évidentes de sa joie et de
sa reconnaissance. Il se ranima tout à fait quand Marie lui eut donné un
morceau de pain qu'elle avait oublié dans la poche de son tablier, et se
mit à sauter autour de ses bienfaiteurs en poussant de joyeux aboiements.

Le temps avait marché pendant qu'ils jouaient ainsi, car le temps passe
très vite lorsqu'on s'amuse, et la petite Marie s'aperçut la première que
le soleil était bien bas, et qu'il était l'heure de rentrer à la maison.
Ils embrassèrent cent fois leur nouvel ami, ne pouvant se décider à le
quitter, puis enfin ils s'en allèrent pour de bon, en courant bien fort, et
sans se retourner.

À peine avaient-ils fait quelques pas, qu'ils entendirent la malheureuse
bête qui les poursuivait en jetant des petits cris qui semblaient leur
reprocher cet abandon. Ils s'arrêtèrent alors, à la fois contents et
fâchés. Ils auraient bien voulu garder le pauvret, mais ils craignaient de
mécontenter leur mère. Mme Grégoire, qui n'aimait pas les animaux, « parce
que, disait-elle, ils mangent comme des chrétiens, et donnent plus
d'embarras ».

« Si nous le cachions, dit Marie, dans le petit hangar derrière la
maison ? Nous pourrions lui porter en cachette un morceau de soupe et un
chiffon de pain. »

Mais Pierre lui fit observer que le chien n'ayant pas de raison, d'abord
parce qu'il était un chien, et ensuite parce qu'il était tout jeune encore,
ne manquerait pas de sortir de son réduit et de se montrer au plus mauvais
moment. Bref, il valait mieux tout risquer d'un coup : on serait grondé,
mais peut-être le chien passerait-il comme cela.

« Ah ! si papa pouvait être revenu de l'ouvrage », soupira Pierre.

Grégoire gâtait les « petiots », comme il disait en parlant des
enfants ; aussi les « petiots » s'adressaient-ils volontiers à lui quand il
y avait quelque chose de difficile à obtenir.

Le petit chien avait l'air très fatigué : Marie le prit dans ses bras et
l'enveloppa de son tablier, puis elle se mit derrière son frère.

Comme ils débouchaient par le sentier juste en face de la chaumière,
leurs c?urs battirent bien fort, tant ils étaient émus de l'accueil
qu'allait recevoir leur protégé.

Mme Grégoire, assise devant sa porte, mettait une pièce à un pantalon de
son mari, tandis que celui-ci repassait ses outils sur la meule.

Malgré Pierre, qui tenait la tête de la caravane, malgré le tablier qui
cachait presque entièrement le chien, Mme Grégoire le découvrit au premier
coup d'?il.

« Qu'est-ce que vous m'apportez là ? » s'écria-t-elle d'un ton
courroucé.

Le père se retourna.

« Tiens, un chien ! et justement que nous en avions besoin pour garder
la maison.

- Ah ! ben oui, besoin ! Besoin d'une bouche de plus quand le pain est
si cher ? » (Il n'y avait pas d'année que Mme Grégoire ne trouvât le pain
extraordinairement cher.)

Les enfants baissaient la tête, et ne disaient mot.

« Où avez-vous ramassé cet animal-là ? » reprit la mère.

Pierre se décida enfin à répondre.

« Nous l'avons trouvé près du chemin neuf, qui plaignait la faim.

- Il y a bien des enfants baptisés qui la plaignent aussi », répliqua
Mme Grégoire.

Marie s'essuyait les yeux.

« Allons, petiote, ne pleure pas, dit le bon bûcheron ; la mère gronde,
mais faut voir si c'est pour de vrai. »

Marie éclata en sanglots.

« C'est-y bête, les enfants, murmura Mme Grégoire, un peu ébranlée.

- Voyons, la mère, laisse-leur le chien pour avoir la paix.

- Ah ! tu es toujours comme ça, mon homme.

- Et puis il n'est pas ben gros ! Avec ça qu'il ne grandira pas, peut-
être !

- Gardez-le donc, puisque votre père me commande ; mais, ma foi, faut
ben que ce soit sa volonté, pour que je vous passe toutes vos idées. »

Elle n'était pas très fâchée, au fond, que son mari lui fournît une
occasion de céder.

Les enfants, enchantés, lui sautèrent au cou, puis, se sauvant avec leur
chien, ils allèrent s'asseoir derrière la maison, sur un tas de foin, et se
mirent à chercher le nom qu'il fallait lui donner.

« Si nous l'appelions Waverley, comme le chien de M. le comte, qui vient
quelquefois chasser dans la forêt ? »

Pierre se récria. Ce nom était trop difficile à prononcer, et Marie se
rendit à son avis.

« Que dirais-tu de Sac à puces ? proposa Pierre.

- Fi ! Que c'est vilain », répondit Marie.

Enfin on se décida pour Fidèle, et ce nom fut définitivement adopté.

Comme Mme Grégoire l'avait prévu, Fidèle grandit et devint un fort beau
chien ; mais elle s'habitua si bien à sa présence, qu'elle ne s'en
plaignait plus, quoiqu'il eût un appétit vorace. Il est vrai qu'il avait su
se rendre agréable à tous : il étrangla un renard qui faisait de grands
ravages dans le poulailler de la ménagère, et il apprit à faire l'exercice
comme un vieux troupier, avec un manche à balai entre les pattes et une
pipe dans la gueule. Grégoire, qui avait été soldat, se plaisait beaucoup,
le dimanche, à cultiver ses talents. Quant aux enfants, il faisait leur
joie, et il les suivait avec une fidélité qui justifiait son nom.

L'été, l'automne, avaient succédé au printemps ; puis, l'hiver était
venu, et avec le froid la nécessité de ramasser du bois mort pour se
chauffer.

Un jour de forte gelée, les enfants partirent pour aller faire des
fagots, et par le plus grand des hasards, ils oublièrent d'appeler Fidèle,
qu'ils avaient laissé dans le petit hangar, fort occupé à déterrer une
taupe.

Ils étaient trop loin pour revenir sur leurs pas, quand ils s'aperçurent
que leur chien ne les avait pas suivis.

Après avoir traversé un épais taillis, ils arrivèrent sous de hautes
futaies, et se mirent à travailler comme d'habitude. Beaucoup de ramées
gisaient par terre, car le vent du nord, qui la veille soufflait avec
violence, avait fait tomber tout le bois mort : on voyait de place en place
de grands branchages grisâtres se détacher sur la mousse encore verte et
s'enchevêtrer parmi les houx.

Pierre et Marie ramassaient les bons morceaux, puis couraient un peu
plus loin pour en choisir d'autres, allant toujours devant eux en disputant
gaiement à qui ferait le plus gros fagot ; à la fin, la charge devint si
lourde, qu'ils s'