L'enracinement - Philosophie, Marseille
L'enracinement », ce « prélude à une déclaration des devoirs envers l'être
humain » a été écrit par Simone Weil en 1943, à Londres, peut de temps avant
sa mort. ..... Pour cela, il faut qu'on la lui fasse connaître, qu'on lui demande d'y
porter intérêt, qu'on lui en rende sensible la valeur, l'utilité, et s'il y a lieu la
grandeur, ...
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|Simone Weil (1909-1943) |
|Philosophe française |
|(1949) |
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|L'enracinement |
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|Prélude à une déclaration des devoirs |
|envers l'être humain |
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|Paris : Les Éditions Gallimard, 1949, 381 pp. Collection idées. |
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| | Table des matières
Présentation de l'?uvre (pochette verso du livre) PREMIÈRE PARTIE : LES BESOINS DE L'ÂME L'Ordre
Là Liberté
L'Obéissance
La Responsabilité
L'Égalité
La Hiérarchie
L'Honneur
Le Châtiment
La Liberté d'opinion
La Sécurité
Le Risque
La Propriété privée
La Propriété collective
La Vérité DEUXIÈME PARTIE : LE DÉRACINEMENT Le Déracinement ouvrier
Le Déracinement paysan
Déracinement et nation TROISIÈME PARTIE : L'ENRACINEMENT
Présentation de l'?uvre par l'éditeur
pochette verso du livre)
Simone Weil : L'Enracinement
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« Il me paraît impossible d'imaginer pour l'Europe une reconnaissance qui
ne tienne pas compte des exigences que Simone Weil a définies » a écrit
Albert Camus.
« L'enracinement », ce « prélude à une déclaration des devoirs envers
l'être humain » a été écrit par Simone Weil en 1943, à Londres, peut de
temps avant sa mort. Il a été considéré, à juste titre, comme son testament
spirituel.
Simone Weil examine les rapports entre l'individu et sa collectivité.
Elle montre les failles du monde moderne, la décomposition de la société
contemporaine et esquisse les conditions d'une intégration harmonieuse de
l'homme - et avant tout de l'ouvrier - dans un ensemble équilibré. Simone Weil, L'enracinement (1949)
Première partie
Les besoins de l'âme
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La notion d'obligation prime celle de droit, qui lui est subordonnée et
relative. Un droit n'est pas efficace par lui-même, mais seulement par
l'obligation à laquelle il correspond ; l'accomplissement effectif d'un
droit provient non pas de celui qui le possède, mais des autres hommes qui
se reconnaissent obligés à quelque chose envers lui. L'obligation est
efficace dès qu'elle est reconnue. Une obligation ne serait-elle reconnue
par personne, elle ne perd rien de la plénitude de son être. Un droit qui
n'est reconnu par personne n'est pas grand-chose.
Cela n'a pas de sens de dire que les hommes ont, d'une part des droits,
d'autre part des devoirs. Ces mots n'expriment que des différences de point
de vue. Leur relation est celle de l'objet et du sujet. Un homme, considéré
en lui-même, a seulement des devoirs, parmi lesquels se trouvent certains
devoirs envers lui-même. Les autres, considérés de son point de vue, ont
seulement des droits. Il a des droits à son tour quand il est considéré du
point de vue des autres, qui se reconnaissent des obligations envers lui.
Un homme qui serait seul dans l'univers n'aurait aucun droit, mais il
aurait des obligations.
La notion de droit, étant d'ordre objectif, n'est pas séparable de celles
d'existence et de réalité. Elle apparaît quand l'obligation descend dans le
domaine des faits ; par suite elle enferme toujours dans une certaine
mesure la considération des états de fait et des situations particulières.
Les droits apparaissent toujours comme liés à certaines conditions.
L'obligation seule peut être inconditionnée. Elle se place dans un domaine
qui est au-dessus de toutes conditions, parce qu'il est au-dessus de ce
monde.
Les hommes de 1789 ne reconnaissaient pas la réalité d'un tel domaine.
Ils ne reconnaissaient que celle des choses humaines. C'est pourquoi ils
ont commencé par la notion de droit. Mais en même temps ils ont voulu poser
des principes absolus. Cette contradiction les a fait tomber dans une
confusion de langage et d'idées qui est pour beaucoup dans la confusion
politique et sociale actuelle. Le domaine de ce qui est éternel, universel,
inconditionné, est autre que celui des conditions de fait, et il y habite
des notions différentes qui sont liées à la partie la plus secrète de l'âme
humaine.
L'obligation ne lie que les êtres humains. Il n'y a pas d'obligations
pour les collectivités comme telles. Mais il y en a pour tous les êtres
humains qui composent, servent, commandent ou représentent une
collectivité, dans la partie de leur vie liée à la collectivité comme dans
celle qui en est indépendante.
Des obligations identiques lient tous les êtres humains, bien qu'elles
correspondent à des actes différents selon les situations. Aucun être
humain, quel qu'il soit, en aucune circonstance, ne peut s'y soustraire
sans crime ; excepté dans les cas où, deux obligations réelles étant en
fait incompatibles, un homme est contraint d'abandonner l'une d'elles.
L'imperfection d'un ordre social se mesure à la quantité de situations de
ce genre qu'il enferme.
Mais même en ce cas il y a crime si l'obligation abandonnée n'est pas
seulement abandonnée en fait, mais est de plus niée.
L'objet de l'obligation, dans le domaine des choses humaines, est
toujours l'être humain comme tel. Il y obligation envers tout être humain,
du seul fait qu'il est un être humain, sans qu'aucune autre condition ait à
intervenir, et quand même lui n'en reconnaîtrait aucune.
Cette obligation ne repose sur aucune situation de fait, ni sur les
jurisprudences, ni sur les coutumes, ni sur la structure sociale, ni sur
les rapports de force, ni sur l'héritage du passé, ni sur l'orientation
supposée de l'histoire. Car aucune situation de fait ne peut susciter une
obligation.
Cette obligation ne repose sur aucune convention. Car toutes les
conventions sont modifiables selon la volonté des contractants, au lieu
qu'en elle aucun changement dans la volonté des hommes ne peut modifier
quoi que ce soit.
Cette obligation est éternelle. Elle répond à la destinée éternelle de
l'être humain. Seul l'être humain a une destinée éternelle. Les
collectivités humaines n'en ont pas. Aussi n'y a-t-il pas à leur égard
d'obligations directes qui soient éternelles. Seul est éternel le devoir
envers l'être humain comme tel.
Cette obligation est inconditionnée. Si elle est fondée sur quelque
chose, ce quelque chose n'appartient pas à notre monde. Dans notre monde,
elle n'est fondée sur rien. C'est l'unique obligation relative aux choses
humaines qui ne soit soumise à aucune condition.
Cette obligation a non pas un fondement, mais une vérification dans
l'accord de la conscience universelle. Elle est exprimée par certains des
plus anciens textes écrits qui nous aient été conservés. Elle est reconnue
par tous dans tous les cas particuliers où elle n'est pas combattue par les
intérêts ou les passions. C'est relativement à elle qu'on mesure le
progrès.
La reconnaissance de cette obligation est exprimée d'une manière confuse
et imparfaite, mais plus ou moins imparfaite selon les cas, par ce qu'on
nomme les droits positifs. Dans la mesure où les droits positifs sont en
contradiction avec elle, dans cette mesure exacte ils sont frappés
d'illégitimité.
Quoique cette obligation éternelle réponde à la destinée éternelle de
l'être humain, elle n'a pas cette destinée pour objet direct. La destinée
éternelle d'un être humain ne peut être l'objet d'aucune obligation, parce
qu'elle n'est pas subor