4. L'Université du Libre-Examen et ses Juifs

On s'est même demandé, à l'occasion du procès français, s'il n'y avait pas de
Papon ...... Le total ne corrige guère la physionomie que la "discrimination"
initiale a ...... Le texte allemand interdit aux Juifs l'exercice de fonctions et
activités publiques. ...... est servie le soir, mais ce jour-là, la ration de pain est
réduite à 1/8ème.

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Maxime Steinberg
Un pays occupé et ses juifs
La Belgique, entre France et Pays-Bas UN PAYS OCCUPÉ ET SES JUIFS 1
(LA BELGIQUE, ENTRE FRANCE ET PAYS-BAS) 1
1. ET "CES HEURES SOMBRES DE NOTRE HISTOIRE"? 3
2. LA SOLUTION FINALE À L'OUEST: D'UN PARADOXE FRANÇAIS À UN MI-CHEMIN
BELGE! 7
3. LA TÊTE SUR LE BILLOT OU LA QUESTION JUIVE EN 1940 28
4. L'UNIVERSITÉ DU LIBRE-EXAMEN ET SES JUIFS 41
5. LE SILENCE DE L'ÉGLISE ET LES ACTES DES CHRÉTIENS FACE A LA
SOLUTION FINALE 46
6. LE VERRE BRISÉ DES PÂQUES ANVERSOISES 59
7. LE PAS DE L'ÉTOILE 63
8. LE "JUDENREIN" DE LA SOLUTION FINALE À ANVERS 69
9. MALINES, ANTICHAMBRE DE LA MORT 73
10. LES JUIFS DE 1940 A 1944 TROIS STRATEGIES POUR UNE TRAGEDIE 80
11. LE GHETTO ET SES ENFANTS UN DÉFI À LA MÉMOIRE 91
12. JUIFS ET COMMUNISTES DANS LA GUERRE : DE LA MÉMOIRE À L'HISTOIRE
107
13. L'ECHO DE LA RÉVOLTE DU GHETTO EN VARSOVIE 133
14. LES DÉRIVES PLURIELLES DE LA MÉMOIRE D'AUSCHWITZ 133
15. 50 ANS APRÈS LA LIBÉRATION D'AUSCHWITZ: QUE SAIT-ON EXACTEMENT?
133
16. LE GÉNOCIDE AUX RENDEZ-VOUS DU PALAIS 133
17. LE GÉNOCIDE AU XXE SIÈCLE L'HISTOIRE OU L'IMBROGLIO JURIDIQUE*
133
18. LE CARDINAL ET LA SINGULARITÉ DE LA SHOAH 133
19. LA PISTE "JUDEO-BOLCHEVIQUE "? UNE BONNE QUESTION ... MAL POSEE
133
20. LE PARADOXE DE WANNSEE 133
21. LE RACISME AU PRÉSENT: UN FUTUR ANTÉRIEUR ? 133
AVANT-PROPOS : ET "CES HEURES SOMBRES DE NOTRE HISTOIRE"? En Allemagne, on parle d'un "passé qui ne veut pas passer" et on en parle
plutôt dans l'intention de relativiser, sinon de banaliser l'extermination
des Juifs perpétrée par les nazis pendant la Seconde Guerre mondiale[1]. En
France aussi, on parle d'un "passé qui ne passe", mais en un tout autre
sens pour marquer combien, à ce propos justement, le "syndrome de Vichy"
tourne à la "hantise du passé"' dans les années '90[2].
Dans la Belgique voisine, le "passé" est aussi "toujours présent", mais
pour un tout autre objet[3]. Dans ses tensions communautaires, ce pays
désormais fédéralisé se dispute autour de la collaboration du nationalisme
flamand avec l'Allemagne national-socialiste. La dispute se focalise sur
l'après-1945. Le débat porte sur la répression de l'incivisme présentée
comme une revanche d'un État alors unitaire sur une Flandre toujours
opprimée. Récurrente, cette fixation évacue, comme dans l'immédiat après-
guerre, la question même d'une responsabilité belge dans la persécution et
la déportation des Juifs. Ce syndrome de l'incivisme incite - par réaction
- à une mémoire plutôt apologétique qui met en exergue, dans ce chapitre de
l'occupation, les comportements de sauvetage.
Le cas belge s'y prête bien puisque, comme je l'ai démontré dans La Traque
des Juifs - les deux derniers volumes de L'Étoile et le Fusil - , plus de
la moitié des Juifs du pays échappent à la déportation, le plus souvent
grâce à la complicité dont ils ont bénéficié dans la population du pays et
même auprès de ses institutions. Mais j'avais aussi, dans les deux premiers
volumes - La Question juive et Les cent jours de la déportation - décrit
les multiples relais belges et même juifs grâce auxquels une vingtaine de
SS en charge des affaires juives parviennent à déporter l'autre moitié des
Juifs du pays.
Ce tableau à double entrée ne convenait pas, avec ses teintes en grisaille,
au temps où il était publié. La mémoire collective qui au demeurant n'aime
pas les demi-teintes ne construit jamais sa relation au passé en fonction
des acquis de la recherche historique. Elle se nourrit des enjeux de son
présent et les résultats du travail des historiens y trouvent place s'ils
servent son propos, en l'occurrence sa bonne conscience.
Dans ce pays, les autorités, ministres et parlementaires, qu'ils soient
francophones ou néerlandophones, font ainsi volontiers le pèlerinage
d'Auschwitz, accompagnés de dirigeants communautaires juifs et pour
entendre sur place les derniers témoins. C'est au retour de leur voyage de
mars 1995 que les parlementaires, adoptant une loi anti-négationniste,
décident d'instaurer la commémoration annuelle du génocide, le ... 8 mai!
Pourtant, le discours commémoratif du "plus jamais ça" prononcé dans ces
circonstances fait l'impasse sur "ces heures sombres de notre histoire".
Ce propos qui pose la question de la responsabilité reste une exclusivité
française. On a même pu penser en 1995 qu'il allait lever définitivement
l'hypothèque de Vichy sur la relation de la France à sa propre histoire.
C'est qu'évoquant "ces heures noires [qui] souillent à jamais notre
histoire et [qui] sont une injure à notre passé et à nos traditions", le
Président de la République rompait avec la fiction officielle d'un d'État
du Maréchal Pétain nul et non avenu[4]. Après l'année commémorative de la
fin de la Seconde Guerre mondiale en Europe et de la libération des camps
nazis, le chef de l'État français saisit l'occasion d'un événement mémoriel
français pour consacrer la rupture avec le mythe résistancialiste et
gaulliste. Le 16 juillet 1995, au cinquante troisième anniversaire de la
rafle du Vel'd'Hiv', le Président Chirac dénonce enfin dans la
responsabilité de Vichy celle de l'État français. "Chacun le sait",
convient-il, "la France, patrie des Lumières, patrie des droits de l'homme,
terre d'accueil, terre d'asile, la France, ce jour-là, accomplissait
l'irréparable". Pour Jacques Chirac, "il y a, c'est indiscutable, une faute
collective" et, au nom d'"une idée de l'homme, de sa liberté, de sa
dignité", le président français invite à "reconnaître les fautes commises
par l'Etat"
Cette déclaration, quels que soient les remous qu'elle provoque à
retardement au début du procès Papon deux ans après, est historique. C'est
la première fois - à l'exception de l'Allemagne - qu'un chef d'État
reconnaît une responsabilité de son pays dans la déportation et
l'extermination de ses Juifs. Le fait consacre, dans les années '90, une
mutation en cours dans la mémoire. Avec retard sur la recherche historique,
elle commence de s'interroger sur la responsabilité de ce que j'appellerais
le 'troisième homme', le troisième acteur de l'histoire, celui qui, ni
bourreau, ni victime, a permis qu'elle s'accomplisse. C'est le "bystander",
le témoin, le spectateur, pour reprendre les catégories de Raul Hilberg,
dans l'essai qu'il publie en guise de conclusion à son maître-ouvrage sur
La destruction des Juifs d'Europe[5].
A la différence de la mémoire, la recherche historique ne s'est pas bornée
à une relation linéaire du bourreau et de la victime. Elle s'est aussi
attachée à un troisième acteur, les sociétés d'où les nazis entendaient
extirper les Juifs et dont le comportement a aussi été déterminant.
Souvent, en particulier en Europe occidentale, le bourreau n'a pu atteindre
sa victime que grâce à ce relais. Comme l'écrit l'historien Ian Kershaw
dans une conclusion relative à l'Allemagne, mais qui, dans sa référence
symbolique, a valeur d'un aphorisme de portée même universelle, "si elle
fut le fruit de la haine, la route d'Auschwitz est pavée
d'indifférence"[6].
Cette question du troisième homme, nouveau paramètre de la mémoire, s'est
trouvée au centre de ses débats, avec le procès de l'ancien secrétaire
général de la préfecture de la Gironde. La Déclaration de repentance de
l'Église de France, publiée à la veille du procès Papon, lui a donné sa
dimension éthique. Mais ce "climat d'expiation collective et
d'autoflagellation permanente" qu'a dénoncé le leader du parti gaulliste,
peu après l'ouverture du procès, ne se confine toutefois plus à
l'hexagone[7]. Les débats sur l'or nazi en Suisse et sur la déshérence des
biens juifs indiquent bien la tendance générale.
*
On s'est même demandé, à l'occasion du procès français, s'il n'y avait pas
de Papon ailleurs. Un journal français, Libération, m'a posé la question,
en octobre 1997. A leur tour, l'un ou l'autre journaliste belge, les
journaux télévisés aussi ont voulu m'entendre sur le rôle méconnu de la
police belge dans l'arrestation et la déportation des Juifs. D'un point de
vue belge, le procès Papon ne manque pas d'être paradoxal. La justice
française implique sa responsabilité dans la livraison aux SS en charge des
affaires juives de moins de 2% des Juifs déportés de ce pays. La justice
belge a, quant à elle, laissé passer l'échéance de la prescription sans
instruire la mise "à la disposition de la Sicherheitspolizei" par les
policiers anversois - ce sont leurs termes d'époque - d'au moins 10% des
Juifs déportés de Belgique. Pour exceptionnelle qu'elle ait été, cette
razzia sur le quartier juif d'Anvers que j'ai appelée à dessein le 'Vel'
d'Hiver belge", a pesé, dans la balance des morts et des vivants, bien plus
lourd que les faits jugés dans le long procès devant d'assises de Bordeaux
en 1997-1998.
J'avais pensé, après la déclaration de Jacques Chirac en 1995, que la
Belgique était à son tour prête à intégrer dans sa mémoire officielle le
souvenir de ce 'Vel' d'Hiver belge". Le public connaissait la grande rafle
du Vel d'Hiver' à Paris. Le film de Joseph Losey a été maintes fois
projeté, où Mr. Klein - Alain Delon - Juif par erreur se retrouve dans le
stade du vélodrome d'Hiver parmi les milliers de victimes que la police
parisienne a arrêtées, les 15 et 16 juillet 1942. Le 'Vel' d'Hiver belge"
n'a pas cette notoriété. On ignore qu'à Anvers, un mois après, les 15/16 et
28/29 août, les policiers belges procèdent en deux nuits