Plaisians, le 02/09/2003 - Marc Halévy
Le décloisonnement entre les sous-champs était recommandé dans l'évaluation
comme un moyen d'assurer « un arrimage plus adéquat aux réalités du XXIe
siècle; de faire valoir plus adéquatement la vaste gamme d'approches, de
sphères géographiques et d'enjeux couverts par le programme; de corriger le ...
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Plaisians, le 02/09/2003
Marc Halévy-van Keymeulen
Quelle Université pour demain ? Il paraît clair que l'éducation (au sens large anglo-saxon qui englobe tous
les enseignements de tous niveaux et toutes les formations de tous types)
est la priorité majeure dès aujourd'hui.
Il y a urgence tant l'impasse est criante. L'école de Jules Ferry, républicaine, laïque, gratuite et égalitaire pour
tous, a été une bénédiction du début des années 1880 à la fin des années
1940.
Depuis, politisation, syndicalisation et inadéquation progressives,
assorties d'une kyrielle de réformes "expérimentales" catastrophiques et
d'une fonctionnarisation dramatique des corps enseignants, ont fait sortir
le système éducatif de ses rails pour aboutir, aujourd'hui, à une impasse
majeure.
L'école est devenue une usine à fabriquer des analphabètes, des voyous et
des chômeurs.
La finalité pédagogique de base : apprendre à lire, écrire et compter,
n'est même plus atteinte.
La plupart de mes étudiants de troisième cycle (bac plus 4 ou 5) sont
incapables d'écrire une seule page sans au moins une dizaine de fautes
orthographiques et syntaxiques majeures.
L'avènement de l'Euro a démontré combien peu étaient capables d'une simple
multiplication mentale de conversion et ce, au travers de toutes les
tranches d'âge.
Le niveau de beaucoup de concours d'entrée a dû être notoirement baissé si
l'on voulait atteindre la masse critique minimale d'étudiants.
Les branches scientifiques, réputées ardues du fait de l'aversion
grandissante pour les mathématiques, sont désertées alors que la société
réelle est face à une pénurie croissante et bientôt grave, d'ingénieurs, de
chimistes, de biologistes, de physiciens, etc ... : les sciences humaines
ont, elles, la cote, mais avec quels débouchés ?
Ces sciences humaines sont toutes focalisées sur la sociosphère, par
définition, et attire les jeunes au moment précis où la sociosphère sort du
centre des priorités. Bref, l'enseignement et l'éducation sont à réinventer.
Repenser l'enseignement - à tous les étages, à tous les niveaux - implique
d'affronter un dilemme ardu. D'une part, apprendre à savoir perd de plus en plus d'intérêt alors que les
mémoires électroniques sont infiniment plus massives et fiables que nos
mémoires neuronales : le cerveau humain est une fabuleuse usine pour créer
mais non pour mémoriser.
Plutôt que de le farcir, que de le gaver de faits, de données et de
formules qu'il devra ingurgiter et restituer par c?ur, mieux vaut lui
apprendre à chercher, à capter, à valider les informations : apprendre à
apprendre, donc.
Apprendre les langages, les méthodes et les moteurs de recherche
d'informations de qualité.
Apprendre qui sait. Apprendre où chercher. Apprendre à croiser et à
valider.
Savoir que cela existe sans nécessairement savoir ce qui existe.
Apprendre plus les typologies et l'organisation de la Connaissance que les
connaissances elles-mêmes. Mais d'autre part, en reprenant la métaphore culinaire, pour créer des
réponses ou des idées, pour chercher des solutions, il faut des ingrédients
de qualité, des "fonds de sauce", des ustensiles et des casseroles. Le
cerveau ne peut être efficient sans être truffés de savoirs basiques et
synthétiques, typologiques et méthodologiques sans lesquels aucune
recherche, aucune création authentiques ne sont possibles. Tout le dilemme est là : non plus apprendre des objets (des faits, des
données, des théories, des modèles), mais apprendre des processus (des
méthodes, des langages, des typologies).
La différence est cruciale.
"Waterloo 1815. Blücher ou Wellington.", tout cela importe très peu ; ce
qui importe, c'est le processus historique sous-jacent, la dégénérescence
de la Révolution française depuis Robespierre jusqu'à cet empire
totalitaire et guerrier contre lequel les aristocraties européennes se sont
liguées.
Waterloo est un épiphénomène inéluctable : Napoléon devait être éradiqué
parce qu'aucune structure n'est viable à terme dans et par la violence.
Voilà ce qu'il faut savoir. L'abjection napoléonienne n'en est que
l'illustration. L'effondrement des communismes en est une autre.
Toutes les disciplines doivent ainsi être revisitées et être reformulées en
termes de processus illustrés par des faits (que l'on s'empressera
d'oublier puisqu'ils jonchent les manuels et les encyclopédies). Il s'agit donc d'inventer une pédagogie dynamique (celle des processus) au-
delà des pédagogies statiques (celles de faits et des objets, celles des
épiphénomènes). Mais il s'agit aussi d'inventer d'autres lieux, d'autres méthodes
d'apprentissage.
A l'heure du télétravail et du Web, est-il encore concevable de pratiquer
l'Ecole classique ?
Cela a-t-il encore un sens de concentrer les écoliers et les étudiants dans
des classes ou des amphithéâtres selon des horaires fixes ?
Bien sûr, le contact des "maîtres" est indispensable. Bien sûr, le travail
en équipe doit aussi s'apprendre. Bien sûr, l'apprentissage est aussi
apprentissage de la socialité.
Il n'est nullement question du "tout, tout seul, chez moi, quand je veux".
Tout ? Non, bien sûr. Mais beaucoup ...
L'apprentissage de demain, à tous les âges, sera majoritairement de l'auto-
apprentissage.
L'école et l'université seront largement virtuelles : étudier, ce sera
surtout se mettre devant son ordinateur, et travailler sa matière dans un
bureau à l'heure la plus propice, et communiquer avec les maîtres par
courriel pour la correction des exercices ou pour les explications
complémentaires.
Mais elles ne seront pas que virtuelles : elles seront aussi des lieux
réels d'apprentissage pratique, des lieux d'expérimentation, des lieux de
démonstration, des lieux de confrontation avec le réel, précisément.
Bref, des lieux de pratique plutôt que des lieux de théorie, comme c'est le
cas aujourd'hui. Et cette pédagogie du pratique ne pourra faire l'économie de quitter la
voie des enseignements ex-cathedra devenus digitalisés : les mandarins
devront disparaître.
Elle devra réinventer des méthodes nouvelles dont les pistes sont offertes
par cette merveilleuse école de la pratique du plus haut niveau que sont
les Compagnonnages.
Le programme "Erasmus" n'est-il pas un sorte de Tour de France
compagnonnique redécouvert et rénové ?
N'est-ce pas la réponse au v?u de Montaigne de têtes bien faites plutôt que
de têtes bien pleines ?
N'est-ce pas la voie de l'excellence reconnue depuis des siècles ?
N'est-ce pas la voie de la resacralisation de la connaissance par
l'apprentissage initiatique plutôt qu'académique ?
Restera les questions de la logistique éducative : quels diplômes ? quelles
filières ? quelles méthodes d'évaluation des étudiants ?
Il paraît évident que l'actuelle structure cloisonnante (facultés,
spécialités, filières) ne peut qu'éclater, d'abord parce que ces
cloisonnement induisent une inefficience interne (double-emploi, redite) et
externe (inadéquation notoire par rapport au marché de l'emploi), ensuite
parce que la complexification ambiante impliquera toujours plus de
transdisciplinarité et de nomadisme, toujours plus de personnalisation des
programmes (études à la carte au sein de logiques de prérequis), toujours
plus d'interconnexion et d'interactions entre des connaissances
classiquement étrangères les unes aux autres.
La notion de diplôme global est appelée à disparaître au profit de celle de
certificats spécifiques. S'il est un avenir pour les universités, ce sera comme lieu de recherche
collective et de pratique partagée, et non comme lieux de mémoire et de
discours.
Le travail individuel ou dialogique, de recherche comme d'apprentissage, se
fera hors ses murs, par voie virtuelle.
L'université de demain sera d'abord un laboratoire, un athanor alchimique
où les idées rencontreront la matière (inerte, vivante ou humaine) pour
d'improbables transmutations. *
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