premiere partie. - Nepal Sherpa Sig

Un graphisme d'adolescent malhabile encore, les tiges des lettres en ...... Et ils
étaient maintenant assis l'un près de l'autre sur le canapé. ...... de fois leur
exercice ou qui ont l'habitude de faire du beaucoup plus difficile. ...... La voiture,
après ces milliers de pas lourds, de milliers de déséquilibres corrigés, semblait
glisser.

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Nepal Sherpa Sig
Henri Sigayret, Kathmandu Golfutar Mahenkal, Gabissa Oda No 6
Copyright 2008 - 2009 © Nepal Sherpa Sig - All rights reserved.
Les présents textes traitent principalement du Népal, de l'alpinisme, de
l'himalayisme. Juillet 2009
LE PILIER 17.
Roman de montagne
A Pierre, mon fils.
PREMIERE PARTIE.
Il y a des jours lisses qui ne laissent aucune trace dans les mémoires,
ils sont comme une gangue aux souvenirs forts, la nuit survient qui les
jette dans l'oubli. Ce vendredi qui se terminait aurait pu en être un pour
Claude. Toute la journée il s'était absorbé dans une étude, de celles dont
la grande intensité semble ne mobiliser que l'intellect mais qui,
curieusement, fatigue le corps. Quand il ferma la porte de son bureau il
s'aperçut que la nuit était presque là et que tous les autres étaient
partis. Dehors, il avait interrogé le ciel, il s'intéressait aux nuages et
aux vents. Il avait, d'un geste réflexe dont se moquaient ses amis, mouillé
son index dans sa bouche et l'avait dressé au-dessus de sa tête, quêtant
sur lui une fraîcheur qui eût indiqué la direction de l'air. Mais qu'était-
il besoin ce soir-là de chercher la direction du vent au fond des tranchées
bitumées qui couraient entre les immeubles de la ville ? Elle était
parfaitement visible. L'arrivée de la pluie s'inscrivait en nimbo-stratus,
larges tissus aux bords déchiquetés, glissant vers l'est sous la toile d'un
ciel lugubre. Les montagnes étaient masquées. Ce mauvais temps jetait dans
les rues une clarté mourante et faisait se hâter la nuit. Claude médita sur
ce crépuscule sans espoir qui lui interdisait un week-end actif. Il pensa
que de telles conditions météorologiques écrasaient tout optimisme et qu'il
pourrait sans regret rester au port.
- Pas plus mal, pour une fois, je pourrai...
Que de choses à faire l'attendaient dans son logement, éparpillées,
projetées, et tant de fois remises qu'elles en étaient comme cristallisées,
et se présentaient comme de lourdes tâches.
Entre le bureau et son domicile la distance était courte de quelques
traversées de rues, de quelques sauts de trottoirs. Le trajet qui le
ramenait chez lui, lorsqu'il le faisait à pied -dans la ville il utilisait
rarement sa voiture- était, quand venait l'automne, une marche dans le
crépuscule, puis au fur et à mesure que l'hiver imposait ses droits, une
marche de nuit. Après une journée de travail, cette marche était une
transition entre le monde des abstractions scientifiques dans lequel
l'immergeait son travail et le quotidien concret. Elle participait au repos
de son intellect et chaque spectacle de la rue concourait à son
intégration. Il redevenait peu à peu un être social. Parfois il croisait un
piéton, silhouette, visage reconnus, presque connus, mais respectant le
comportement de tous, il jouait l'indifférence et son regard effleurait
cette complicité refusée. Au printemps, l'été, il prenait parfois son
vieux vélo, souvenir d'une adolescence sportive avant qu'il ne découvre
l'alpinisme qui, maintenant, constituait, avec son travail, la base de son
sentiment d'exister pleinement. Alors, sur cette mécanique supprimant la
pesanteur, des vagues de jeunesse venaient à lui, il se grisait de
translations et il se faufilait entre les véhicules avec l'intrépidité
nerveuse et adroite d'un enfant insouciant.
Il habitait depuis quelques temps un immeuble aux portes de la ville,
une bâtisse à alvéoles à peine prétentieuse dans laquelle il louait un
appartement minuscule. Que lui importait maintenant la qualité de son
habitat, il vivait seul. Arrivé dans le hall d'entrée de l'immeuble il
avait ouvert d'un geste machinal la porte de sa boîte aux lettres. La
feuille était à peine visible. Il l'a retira en la faisant glisser de sa
main à plat, et tant était insignifiant son aspect, qu'il faillit la jeter
sans la lire. Qu'est-ce qui avait retenu son geste? La nature du papier?
Une simple page arrachée à un cahier d'écolier ! Les caractéristiques de
l'écriture aperçue? Un graphisme d'adolescent malhabile encore, les tiges
des lettres en pousses d'herbe mal fauchée.
Il avait lu le texte et soudain s'évanouirent les réalités
environnantes. Sa sensibilité vibrait, son affectif s'embrasait et il
restait là, immobile, un feu soudain en lui. Les mots avaient éveillé sa
lucidité, détruit sa passivité, bouleversé sa quiétude, rompu son équilibre
bâti durement sur des mois d'indifférence. C'étaient pourtant des mots
simples, dérisoires mêmes pour quiconque. Ils étaient merveilleux pour lui.
Sa réflexion pétrifiée, une énorme allégresse l'imprégna tout à coup.
Alors, la boîte aux lettres refermée, il avança de quelques pas, s arrêta
pour régénérer son bonheur par une nouvelle lecture.
- Il est là.
Sa nouvelle voisine l'observait et son regard -il doutait en général de
la justesse de son jugement sur lui- était, cette fois, chargé d'une
franche moquerie. La cabine était là en effet, éclairage éteint. Il ouvrit
la porte, confus, s'effaça pour la laisse rentrer :
- Excusez-moi.
- De bonnes nouvelles ? Je l'espère.
Le ton était de simple politesse mais la moquerie était encore
perceptible. Elle désignait la feuille d'écolier. Tant était grande sa
préoccupation qu'il répondit par un sourire aux lèvres fermées et un
hochement de tête grave. La cabine, porte refermée, s'élançait dans un
gémissement de moteur électrique, cahotait au passage du deuxième étage. Ce
léger hoquet de la mécanique leur imposait un tressautement du corps qui
les faisait habituellement sourire, mais ce soir là il resta tête baissée,
fermé en lui. Absorbé, silencieux, il serrait ridiculement la feuille
contre lui, oublieux de sa voisine, du plaisir qu'il avait eu jusqu'alors à
s'intéresser à elle. Il ne lui fit même pas l'hommage du coup d'?il
indiscret à la dépression entre les deux rondeurs d'une peau
merveilleusement lisse qui s'offrait à son regard entre les cornettes d'un
corsage élégamment entrebâillé. Au dernier étage, alors qu'ils se
dirigeaient vers les portes de leur appartement, elle avait articulé:
- Bonsoir monsieur,
et ces mots, dits à la place de l'habituel : >, prononcés d'un ton amusé, sonnèrent comme une nouvelle
raillerie. Mais lui ne réalisa pas et il répondit benoîtement :
- Oui bien sûr.
Elle rit franchement et lui, conscient de son trouble, chercha sa clef
et d'une main fébrile et maladroite fouilla la serrure de sa porte. Celle-
ci refermée, il resta quelques secondes immobile puis il posa le mot sur la
table de sa cuisinette, le lissa du plat de la main. Enfin il se décida à
préparer son repas. Passant et repassant devant le mot, il l'observait en
souriant, ou, le prenant entre ses doigts, le relisait. Alors, à chaque
fois, de nouveaux tumultes de bonheur retentissaient en lui.
Cinq mots, une phrase, une écriture d'enfant, une signature naïve :
>.
La barre du A d'Alain couvrait les autres lettres de son prénom et cette
marque d'orgueil léger le faisait sourire et le ravissait.
Ce soir là il resta longtemps à lire, interrompant sa lecture pour, le
regard sur un texte invisible, rêvassé. Il imagina des scènes, intenses ou
simples ou fragiles, tour à tour vibrant d'optimisme ou d'inquiétude comme
le sont les amoureux. Il vagabonda dans son passé.
Souvenirs en strates mélangées, l'un se détache des autres, il date des
débuts de son mariage. Il vit alors un quotidien chargé d'une telle
intensité que même son besoin d'alpinisme est atténué. Harmonie d'un jeune
couple, l'individualisme se fond dans le collectif familial, l'intolérance
dans la compréhension, l'égoïsme dans la générosité. Puis survient
l'événement logique, bientôt naîtra une vie nouvelle. Elle sera notre,
copropriété indestructible. >. Des mois ont passé, Alain est couché, il tousse. Prise de
conscience que la paternité est une forme de propriété et de ce fait
porteuse de responsabilité, de contraintes, d'inquiétudes. Cette vie est de
moi, de nous, et nous en sommes responsables, c'est pourquoi nous ne
pouvons admettre qu'elle soit victime de toute forme de souffrance. Le
médecin accourt, obéissant à un appel désespéré.
- Docteur, faites quelque chose !
Le médecin montre le thermomètre :
- Trente sept !
Il lève deux bras en signe d'impuissance et questionne d'un ton
critique :
- Vous voulez peut-être que je lui donne des antibiotiques ? Si petit !
Pour si peu !
- Que faire ?
Le médecin les regarde tendrement :
- Notre fin d'automne est splendide, l'air merveilleusement sec. Prenez un
téléphérique, montez à deux mille mètres. Qu'il respire là-haut, il suffit
de peu parfois. Couvrez-le, bien sûr.
La mère occupée, ils sont partis tous les deux. La gare du téléphérique
est vide. Seul le murmure de la machinerie donne vie à la gare déserte. Un
homme sort d'un recoin. Boudiné dans un bleu de travail gonflé de pull-
over, grosses chaussures qui imposent la lenteur et accentuent sa démarche
de bête puissante, casquette à visière sur un visage rouge de froid, nez à
peau de lune, bourgeonnant, à cratères. Il sourit en les voyants :
- Ce matin, ça pince. La bise, elle donne là-haut.
Une moue assurée confirme son affirmation. Il a une voix adaptée à son
physique, lente et épaisse. Et un ton de spécialiste quand il dresse un
constat :
- Mauvais ! Trop froid, trop sec ! Trop tard pour les balades, trop tôt
pour l