Katherine Pancol La valse lente des tortues - BookFi

(b) Les situations comportent des exercices de mathématiques recouvrant une part très large du ... Pour le baccalauréat systèmes électroniques numériques ... E54 : Etablir le bilan des puissances en régime monophasé ou triphasé. formules? ...

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Katherine Pancol






La valse lente
des tortues




ROMAN


[pic]


Albin Michel

Éditions Albin Michel, 2008.
ISBN 978-2-253-12940-0







Pour Roman







« C'est horrible de vivre une époque où au mot sentiment, on vous
répond sentimentalisme. Il faudra bien pourtant qu'un jour vienne où
l'affectivité sera reconnue comme le plus grand des sentiments et
rejettera l'intellect dominateur. »


Romain GARY


Première partie







- Je viens chercher un paquet, déclara Joséphine Cortès en s'approchant
du guichet de la poste, rue de Longchamp, dans le seizième arrondissement
de Paris.
- France ou étranger ?
- Je ne sais pas.
- À quel nom ?
- Joséphine Cortès... C.O.R.T.È.S...
- Vous avez l'avis de passage ?
Joséphine Cortès tendit l'imprimé jaune « Vous avez reçu un colis ».
- Une pièce d'identité ? demanda, d'un ton las, l'employée, une fausse
blonde au teint brouillé qui clignait des yeux dans le vide.
Joséphine sortit sa carte d'identité et la posa sous les yeux de la
préposée qui avait entamé une conversation sur un nouveau régime chou
rouge, radis noir avec une collègue. L'employée s'empara de la carte,
souleva une fesse puis une autre et descendit du tabouret en se frottant
les reins.
Elle se dandina vers un couloir et disparut. L'aiguille noire des
minutes progressait sur le cadran blanc de l'horloge. Joséphine eut un
sourire embarrassé pour la file d'attente qui s'allongeait derrière elle.
C'est pas de ma faute si mon colis a été remisé dans un endroit où on ne
le trouve pas, semblait-elle s'excuser en courbant l'échine. Pas de ma
faute s'il est allé à Courbevoie avant d'être entreposé ici. Et puis
d'abord, d'où peut-il bien venir ? Peut-être Shirley, d'Angleterre ? Elle
connaît ma nouvelle adresse pourtant. Cela ressemblerait à Shirley
d'envoyer ce fameux thé qu'elle achète chez Fortnum & Mason, un pudding et
des chaussettes fourrées pour que je puisse travailler sans avoir froid aux
pieds. Shirley dit toujours qu'il n'y a pas d'amour mais des détails
d'amour. L'amour sans les détails, ajoute-t-elle, c'est la mer sans le sel,
le bulot sans la mayonnaise, le muguet sans les clochettes. Shirley lui
manquait. Elle était partie vivre à Londres avec son fils, Gary.
La préposée revint en tenant un paquet de la taille d'une boîte à
chaussures.
- Vous faites collection de timbres ? demanda-t-elle à Joséphine en se
hissant sur la chaise haute qu'elle fit couiner sous son poids.
- Non...
- Moi, oui. Et je peux vous dire qu'ils sont magnifiques !
Elle les contemplait en clignant des yeux, puis elle poussa le paquet
vers Joséphine qui déchiffra son nom et son ancienne adresse à Courbevoie
sur le papier grossier qui servait d'emballage. La ficelle, tout aussi
grossière, s'effilochait à chaque bout formant une guirlande de pompons
sales à force d'avoir traîné sur les étagères de la poste.
- C'est parce que vous avez déménagé que je le trouvais plus. Il vient
de loin. Du Kenya. Il en a fait du chemin ! Vous aussi...
Elle avait dit cela d'un ton sarcastique et Joséphine rougit. Elle
bafouilla une excuse inaudible. Si elle avait déménagé, ce n'était pas
qu'elle n'appréciait plus sa banlieue, oh ! la la ! non, elle aimait
Courbevoie, son ancien quartier, son appartement, le balcon à la balustrade
rouillée et, pour tout dire, elle n'aimait pas du tout sa nouvelle adresse,
elle s'y sentait étrangère, déplacée. Non, si elle avait déménagé, c'était
parce que sa fille aînée, Hortense, ne supportait plus de vivre en
banlieue. Et quand Hortense avait une idée en tête, il ne restait plus qu'à
l'exécuter sinon elle vous foudroyait de son mépris. Grâce à l'argent que
Joséphine avait gagné avec les droits d'auteur de son roman, Une si humble
reine, et à un important emprunt à la banque, elle avait pu acheter un bel
appartement dans un beau quartier. Avenue Raphaël, près de la Muette. Au
bout de la rue de Passy et de ses boutiques de luxe, sur le bord du bois de
Boulogne. Moitié ville, moitié campagne, avait souligné, avec emphase,
l'homme de l'agence immobilière. Hortense s'était jetée au cou de
Joséphine, « merci, ma petite maman, grâce à toi, je vais revivre, je vais
devenir une vraie Parisienne ! ».
- S'il n'avait tenu qu'à moi, je serais restée à Courbevoie, marmonna
Joséphine, confuse, sentant le bout de ses oreilles rougir et la brûler.
C'est nouveau ça, avant je ne rougissais pas pour un oui, pour un non.
Avant, j'étais à ma place, même si je ne m'y sentais pas toujours bien,
c'était ma place.
- Bon... Les timbres ? Vous les gardez ?
- C'est que j'ai peur d'abîmer l'emballage en les découpant...
- C'est pas grave, allez !
- Je vous les rapporterai si vous voulez...
- Puisque je vous dis que c'est pas grave ! Je disais ça comme ça, parce
que je les trouvais beaux sur le moment... mais je les ai déjà oubliés !
Son regard se porta sur la personne suivante dans la file d'attente et
elle ignora ostensiblement Joséphine qui remettait sa carte d'identité dans
son sac, avant de laisser la place et de quitter la poste.
Joséphine Cortès était timide, à la différence de sa mère ou de sa s?ur
qui se faisaient obéir ou aimer d'un regard, d'un sourire. Elle avait une
manière de s'effacer, de s'excuser d'être là qui allait jusqu'à la faire
bégayer ou rougir. Elle avait cru, un moment, que le succès allait l'aider
à prendre confiance en elle. Son roman Une si humble reine caracolait
toujours en tête des meilleures ventes plus d'un an après sa sortie.
L'argent ne lui avait donné aucune assurance. Elle finissait même par le
prendre en horreur. Il avait changé sa vie, ses relations avec les autres.
La seule chose qu'il n'a pas changée, ce sont les rapports avec moi-même,
soupira-t-elle en cherchant des yeux un café pour se poser et ouvrir ce
mystérieux paquet.
Il doit bien exister des moyens pour ignorer cet argent. L'argent
supprime l'angoisse des lendemains qui grimacent, mais dès qu'on en amasse,
on croule sous les embarras. Où le placer ? À quel taux ? Qui va s'en
occuper ? Certainement pas moi, protesta Joséphine en traversant dans un
passage piéton et en évitant une moto de justesse. Elle avait demandé à son
banquier, monsieur Faugeron, de le garder sur son compte, de lui en virer
une certaine somme chaque mois, une somme qu'elle jugeait suffisante pour
vivre, payer les impôts, l'achat d'une nouvelle voiture, les frais de
scolarité et le quotidien d'Hortense à Londres. Hortense savait comment
utiliser l'argent. Ce n'est pas elle qui aurait eu le tournis devant les
relevés de banque. Joséphine s'était fait une raison : sa fille aînée, à
dix-sept ans et demi, se débrouillait mieux qu'elle, à quarante-trois.
On était fin novembre et la nuit tombait sur la ville. Un vent vif
soufflait, dépouillant les arbres de leurs dernières feuilles qui
tournoyaient en valse rousse jusqu'au sol. Les passants avançaient en
regardant leurs pieds de peur de se faire gifler par une bourrasque.
Joséphine releva le col de son manteau et consulta sa montre. Elle avait
rendez-vous à sept heures avec Luca place du Trocadéro à la brasserie Le
Coq.
Elle regarda le paquet. Il n'y avait pas de nom d'expéditeur. Un envoi
de Mylène ? Ou de monsieur Wei ?
Elle remonta l'avenue Poincaré, atteignit la place du Trocadéro et
pénétra dans la brasserie. Elle avait une bonne heure à attendre avant que
Luca la rejoigne. Depuis qu'elle avait déménagé, ils se donnaient toujours
rendez-vous dans cette brasserie. C'était un v?u de Joséphine. Une façon
pour elle d'apprivoiser son nouveau quartier. Elle aimait créer des
habitudes. « Je trouve cet endroit trop bourgeois ou trop touristique,
disait Luca d'une voix sourde, il n'a pas d'âme, mais puisque vous y
tenez... » C'est toujours dans les yeux qu'on voit si les gens sont tristes
ou heureux. Le regard, on ne peut pas le maquiller. Luca avait les yeux
tristes. Même quand il souriait.
Elle poussa la porte en verre et chercha une table libre. Elle en vit
une et s'y installa. Personne ne la regardait et elle se sentit soulagée.
Peut-être était-elle en train de devenir une vraie Parisienne ? Elle porta
la main au chapeau en tricot vert amande qu'elle avait acheté la semaine
précédente, songea un instant à l'enlever puis choisit de le garder. Si
elle l'enlevait, elle serait décoiffée et n'oserait pas se repeigner. Cela
ne se faisait pas de se coiffer en public. C'était un principe de sa mère.
Elle sourit. Elle avait beau ne plus voir sa mère, elle la portait toujours
en elle. Le chapeau vert amande à soufflets en laine tricotée ressemblait à
trois pneus joufflus et se terminait par une galette plate en velours
côtelé, piquée d'une petite tige en flanelle rêche comme celle qui termine
le classique béret. Elle avait aperçu ce couvre-chef dans la vitrine d'une
boutique, rue des Francs-Bourgeois dans le Marais. Elle était entrée, avait
demandé le prix et l'avait essayé. Il lui donnait un air fripon de femme
désinvolte au nez retroussé. Il ombrait ses yeux marron d'une lueur dorée,
gommait ses joues rondes, allégeait sa silhouette. Avec ce