Les mauvais déchiffreurs (partie I et II)

Significatif se révèle également le titre d'un livre fort lu, en son temps, ... Et de
préciser : en trente années d'exercice, mon cabinet a reçu, parmi des centaines
... Au départ, dans l'acception même de Berlin et Bruns qui l'introduisirent voilà ...
nous obtenons une théorie physique [scientifique au sens fort] (Ruelle, 1991, p.
21).

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Les mauvais déchiffreurs Pistes d'aide aux apprentis lecteurs en difficulté - 4. par Ewald VELZ Directeur du Centre PMS d'Andenne Comme celle de bons déchiffreurs (Velz 2002c), la notion de mauvais
déchiffreurs se veut surtout descriptive. Il s'agit d'élèves qui accordent
une importance exagérée voire exclusive au déchiffrage, et cela au
détriment du sens. En outre, contrairement aux bons déchiffreurs, ils
éprouvent des difficultés, parfois énormes, de décodage. Enfin, ils ont
très souvent - du moins d'après les données de ma pratique - des problèmes
en calcul. Ce qui complique considérablement la guidance psychopédagogique
qui se donne pour but d'amener l'enfant à la réussite la plus complète
possible permettant une intégration optimale dans notre société où, ne
l'oublions pas, le langage écrit joue un rôle primordial.
Malgré les nombreuses réserves et critiques formulées par les experts, le
milieu scolaire et parascolaire continue encore trop souvent à étiqueter
les mauvais déchiffreurs comme dyslexiques ou comme autre dys. Il convient
donc de clarifier brièvement notre position par rapport à cet étiquetage
avant de passer à l'analyse proprement dite des cas. 1. Mauvais déchiffreurs et dyslexiques L'âge d'or de la dyslexie s'étend, selon Piérart (1997, p.20-21), des
années 1950 à environ 1970, alors que depuis 1980, le terme de
« dyslexique » a fait place à celui de mauvais lecteur. Parler d'âge d'or
n'est pas exagéré. En effet, à cette époque, la dyslexie se répandait comme
la peste : On voit se développer des affections pédagogènes. Dyslexie,
dysorthographie, dyscalculie marquent les étapes du progrès pédagogique.
Ces maux (...) ont pris ces derniers temps une allure d'épidémie (Stal et
Thom, 1985, p.54) ; le mot Dyslexie fait fortune et s'étend comme une
épidémie qui frappe les plus vaillants (Tomatis, 1983, p.14). Significatif
se révèle également le titre d'un livre fort lu, en son temps, de
Mucchielli et Bourcier (1963) : La dyslexie, maladie du siècle. Cependant,
affirmer que cet âge d'or est révolu, c'est témoigner d'un optimisme
exagéré puisque à ce jour le personnel scolaire et parascolaire ne cesse de
qualifier couramment de dyslexiques ou d'autres dys ceux qui éprouvent des
problèmes de décodage. Aussi, sous le titre Dyslexie, une vraie-fausse
épidémie, Ouzilou (2001) trouve-t-elle nécessaire de s'opposer, aujourd'hui
encore, aux abus, tout en notant que dans la masse si considérable des mal-
lisants, cette pathologie représente un pourcentage infime (p.151). Et de
préciser : en trente années d'exercice, mon cabinet a reçu, parmi des
centaines de mal-lisants, une quinzaine de dyslexiques (p.15).
Au départ, dans l'acception même de Berlin et Bruns qui l'introduisirent
voilà plus d'un siècle, le terme dyslexie visait à particulariser les
troubles de lecture chez des sujets munis auparavant d'un langage normal.
Plus tard on a qualifié de dyslexies acquises (dyslexie visuelle, dyslexie
de négligence, etc.) ces troubles causés par des lésions cérébrales suite à
des accidents ou à des traumatismes, afin de les distinguer des dyslexies
de développement. C'est avec ces dernières qu'ont proliféré les déviations
et les errances qu'il serait aussi inutile que fastidieux d'analyser ici.
Si les distinctions à l'intérieur des dyslexies acquises, notamment celle
entre dyslexie profonde ou phonologique et dyslexie de surface, contribuent
à une meilleure compréhension du langage (Gazzaniga et al., 2001, p.292),
le concept de dyslexie de développement se révèle inutile et nocif.
Inutile : il se réduit à une étiquette couvrant des troubles extrêmement
divers et vagues - une avalanche de symptômes (Sauto, 1994, p.70) - déjà
constatés par l'enseignant, et il ne fournit guère d'indices pertinents
pour la remédiation. Certains étendent cette critique à tous les tests de
lecture traditionnels : ils ne répondent [...] pas aux attentes des
praticiens [...]. L'apport des tests normatifs est très réduit : ils
permettent tout au plus de confirmer la présence des difficultés en lecture
déjà constatées au préalable par les enseignants (Braibant, 1997, p.174).
Aussi, coller, sans plus, l'étiquette de « dyslexique » sur un enfant à
l'issue d'un examen diagnostique n'est plus aujourd'hui admissible
(Grégoire, 1997, p.251). Inadmissible, parce que nocif, agissant trop
souvent comme ensorcellement ou comme prophétie auto-réalisante (Velz,
1994, 2003).
Il serait cependant absurde de rejeter tout étiquetage.
[pic] Après avoir rappelé combien Wheeler a stimulé la recherche scientifique en
désignant par le terme trou noir un objet précis qui n'avait jusqu'alors
pas reçu de titre satisfaisant, Hawking (1994, p.151) conclut qu'il faut se
garder de sous-estimer l'importance d'une bonne appellation dans les
sciences. L'étiquette se révèle d'autant plus pertinente et plus fructueuse
qu'elle couvre des données précises formulables en langage mathématique :
en collant une théorie mathématique sur un morceau de réalité, nous
obtenons une théorie physique [scientifique au sens fort] (Ruelle, 1991,
p.21).
Cette dernière doit alors être soumise à la vérification ou à la
falsification. Ne pouvant se passer d'étiquettes (diagnostics) et de
théories, incapable, par ailleurs, de les formuler dans le langage
rigoureux des mathématiques, le psychopédagogue doit redoubler sa prudence
quant aux prédictions à propos de systèmes hautement complexes dont, de
surplus, il fait lui-même partie. Il sait en effet qu'il peut user de sa
liberté et de sa responsabilité pour contredire, en faveur de ses
consultants, ses propres prédictions, tant les systèmes qu'il traite se
montrent impropres à une évolution déterministe.
Moralement obligé de viser le meilleur pour ses consultants, le praticien
se doit d'envisager un avenir positif pour eux et d'?uvrer à la réalisation
de sa « prédiction » positive. Son action de remédiation peut s'interpréter
comme une procédure de vérification même si, malgré toutes les précautions,
d'autres facteurs que ceux impliqués dans sa théorie peuvent intervenir à
son insu. En des matières hautement complexes où chaque individu constitue
un cas d'espèce, mieux vaut, selon Reeves (1995, p.19), accorder plus de
poids à la description détaillée des expériences personnelles vérifiables
par d'autres expériences personnelles, qu'aux statistiques ou autres
expressions mathématiques qui ne permettent aucune vérification lorsqu'on
ne sait pas de quoi elles parlent exactement.
Dès le début des années 1970, Stassart (1973, p.46) abordait la
démystification de la dyslexie. Il signalait deux dangers qui me semblent
complémentaires. D'abord, l'enseignant se résigne : c'est du fatalisme, de
la mystification en ce sens que l'enseignant est en présence de techniques
d'investigation et de notions scientifiques qu'il ne connaît pas. Ensuite,
il se voit dévalorisé : les démons qu'il a évoqués en grande partie lui-
même finissent par le priver de son savoir et de son pouvoir. Les
rééducations sont confiées à des spécialistes extérieurs, elles ne relèvent
plus de la compétence des pédagogues ou des enseignants. Pour ceux-ci la
valorisation de la « psychologie » et de l' « éducation » s'accompagne
paradoxalement de l'aveu de leur incompétence dans ce domaine et excuse
ainsi facilement les échecs (Meirieu, 1995, p.98). Rares sont ceux qui,
comme Baruk (1977, p.196), spécialiste en calcul, osent braver, sans
concession, ce qu'on peut considérer comme de véritables envoûtements :
fort heureusement, les dyscalculiques [elle en aurait dit autant des
dyslexiques, si la lecture avait été son domaine d'action] n'étaient - et
ne sont - qu'une invention de psychologue. Comble du paradoxe : ne sachant,
ne voulant ou ne pouvant pas aider lui-même les « dyslexiques », le
psychologue les aiguille vers le para-médical, tout en s'opposant, parfois
avec virulence, à la médicalisation des difficultés scolaires.
J'ai souvent critiqué ce que de La Garanderie (1982, p.160-162) qualifie de
voies de recherche hétéronomiques. Les explications extérieures à la
pédagogie, même si elles sont valables dans leur domaine, créent d'autant
plus de tort qu'elles dépouillent les pédagogues de tout pouvoir
d'intervention ainsi que de toute responsabilité pour finir par servir de
justification à l'échec. Je suis loin de nier que certains enfants
présentent des troubles tellement graves qu'il s'avère prudent sinon
nécessaire de leur faire subir un examen neuro-pédiatrique approfondi.
Cependant si, à défaut de troubles physiques (neurologiques ou autres), le
spécialiste se rabat sur les dys, l'on peut conclure que la remédiation
relève de la (psycho)pédagogie : les dys ne forment qu'une étiquette
formelle pour signifier, de manière pompeuse mais inutile et dangereuse,
les problèmes que tout le monde constate sans pouvoir dégager une étiologie
cohérente ainsi que des pistes avérées de remédiation. Les spéculations sur les causes de la dyslexie ont proliféré plus encore
que les experts penchés sur ce problème. Certains ont changé une ou
plusieurs fois leurs modèles explicatifs. De nombreux auteurs se sont
engagés dans des explications de nature visuelle, on parlait même de
« dyslexie oculo-motrice » : les créateurs de ce syndrome imaginaire, note
Morais (1999, p.225), ont même prétendu, dans une revue médicale des