Mauprat - La Bibliothèque électronique du Québec

Me trouvant près de chez lui, avec un de mes amis qui le connaît, j'exprimai le .....
ce que fit le greffier désireux de montrer beaucoup d'indulgence dans l'exercice
...... et courant sur les bois de charpente avec un aplomb et une agilité surprenant
s ..... serez corrigée comme j'ai corrigé ce matin Flore, ma chienne mouchetée.

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George Sand

Mauprat

























BeQ




Mauprat

par

George Sand
(Aurore Dupin)










La Bibliothèque électronique du Québec
Collection À tous les vents
Volume 561 : version 1.0















Le roman Mauprat a paru pour la première fois d'avril à juin 1837, en
quatre épisodes, dans la Revue des Deux Mondes.













Mauprat




Édition de référence :

Romans 1830, Presses de la Cité, 1991.







Sur les confins de la Marche et du Berry, dans le pays qu'on appelle la
Varenne, et qui n'est qu'une vaste lande coupée de bois de chênes et de
châtaigniers, on trouve, au plus fourré et au plus désert de la contrée, un
petit château en ruine, tapi dans un ravin, et dont on ne découvre les
tourelles ébréchées qu'à environ cent pas de la herse principale. Les
arbres séculaires qui l'entourent et les roches éparses qui le dominent
l'ensevelissent dans une perpétuelle obscurité, et c'est tout au plus si,
en plein midi, on peut franchir le sentier abandonné qui y mène, sans se
heurter contre les troncs noueux et les décombres qui l'obstruent à chaque
pas. Ce sombre ravin et ce triste castel, c'est la Roche-Mauprat.

Il n'y a pas longtemps que le dernier des Mauprat, à qui cette propriété
tomba en héritage, en fit enlever la toiture et vendre tous les bois de
charpente ; puis, comme s'il eût voulu donner un soufflet à la mémoire de
ses ancêtres, il fit jeter à terre le portail, éventrer la tour du nord,
fendre du haut en bas le mur d'enceinte, et partit avec ses ouvriers,
secouant la poussière de ses pieds, et abandonnant son domaine aux renards,
aux orfraies et aux vipères. Depuis ce temps, quand les bûcherons et les
charbonniers qui habitent les huttes éparses aux environs passent dans la
journée sur le haut du ravin de la Roche-Mauprat, ils sifflent d'un air
arrogant ou envoient à ces ruines quelque énergique malédiction ; mais,
quand le jour baisse et que l'engoulevent commence à glapir du haut des
meurtrières, bûcherons et charbonniers passent en silence, pressant le pas,
et, de temps en temps, font un signe de croix pour conjurer les mauvais
esprits qui règnent sur ces ruines.

J'avoue que, moi-même, je n'ai jamais côtoyé ce ravin, la nuit, sans
éprouver un certain malaise ; et je n'oserais pas affirmer par serment que,
dans certaines nuits orageuses, je n'aie pas fait sentir l'éperon à mon
cheval pour en finir plus vite avec l'impression désagréable que me causait
ce voisinage.

C'est que, dans mon enfance, j'ai placé le nom de Mauprat entre ceux de
Cartouche et de la Barbe-Bleue, et qu'il m'est souvent arrivé alors de
confondre, dans des rêves effrayants, les légendes surannées de l'Ogre et
de Croquemitaine avec les faits tout récents qui ont donné une sinistre
illustration, dans notre province, à cette famille des Mauprat.

Souvent, à la chasse, lorsque, mes camarades et moi, nous quittions
l'affût pour aller nous réchauffer au tas de charbons allumés que les
ouvriers surveillent toute la nuit, j'ai entendu ce nom fatal expirer sur
leurs lèvres à notre approche. Mais, lorsqu'ils nous avaient reconnus et
qu'ils s'étaient bien assurés que le spectre d'aucun de ces brigands
n'était caché parmi nous, ils nous racontaient, à demi-voix, des histoires
à faire dresser les cheveux sur la tête, et que je me garderai bien de vous
communiquer, désolé que je suis d'en avoir noirci et endolori ma mémoire.

Ce n'est pas que le récit que j'ai à vous faire soit précisément
agréable et riant. Je vous demande pardon, au contraire, de vous envoyer
aujourd'hui une narration si noire ; mais, dans l'impression qu'elle m'a
faite, il se mêle quelque chose de si consolant et, si j'ose m'exprimer
ainsi, de si sain à l'âme, que vous m'excuserez, j'espère, en faveur des
conclusions. D'ailleurs, cette histoire vient de m'être racontée ; vous en
demandez une : l'occasion est trop belle pour ma paresse ou pour ma
stérilité.

C'est la semaine dernière que j'ai enfin rencontré Bernard Mauprat, ce
dernier de la famille, qui, ayant depuis longtemps fait divorce avec son
infâme parenté, a voulu constater, par la démolition de son manoir,
l'horreur que lui causaient les souvenirs de son enfance. Ce Bernard est un
des hommes les plus estimés du pays ; il habite une jolie maison de
campagne vers Châteauroux, en pays de plaine. Me trouvant près de chez lui,
avec un de mes amis qui le connaît, j'exprimai le désir de le voir ; et mon
ami, me promettant une bonne réception, m'y conduisit sur-le-champ.

Je savais en gros l'histoire remarquable de ce vieillard ; mais j'avais
toujours vivement souhaité d'en connaître les détails, et surtout de les
tenir de lui-même. C'était pour moi tout un problème philosophique à
résoudre que cette étrange destinée. J'observai donc ses traits, ses
manières et son intérieur avec un intérêt particulier.

Bernard Mauprat n'a pas moins de quatre-vingts ans, quoique sa santé
robuste, sa taille droite, sa démarche ferme et l'absence de toute
infirmité annoncent quinze ou vingt ans de moins. Sa figure m'eût semblé
extrêmement belle sans une expression de dureté qui faisait passer, malgré
moi, les ombres de ses pères devant mes yeux. Je crains fort qu'il ne leur
ressemble physiquement. C'est ce que lui seul eût pu nous dire, car ni mon
ami ni moi n'avons connu aucun des Mauprat ; mais c'est ce que nous nous
gardâmes bien de lui demander.

Il nous sembla que ses domestiques le servaient avec une promptitude et
une ponctualité fabuleuses pour des valets berrichons. Néanmoins, à la
moindre apparence de retard, il élevait la voix, fronçait un sourcil encore
très noir sous ses cheveux blancs, et murmurait quelques paroles
d'impatience qui donnaient des ailes aux plus lourds. J'en fus presque
choqué d'abord ; je trouvais que cette manière d'être sentait un peu trop
le Mauprat. Mais, à la manière douce et quasi paternelle dont il leur
parlait un instant après, et à leur zèle, qui me sembla bien différent de
la crainte, je me réconciliai bientôt avec lui. Il avait, d'ailleurs, pour
nous une exquise politesse et s'exprimait dans les termes les plus choisis.
Malheureusement, à la fin du dîner, une porte qu'on négligeait de fermer,
et qui amenait un vent froid sur son vieux crâne, lui arracha un jurement
si terrible que, mon ami et moi, nous échangeâmes un regard de surprise. Il
s'en aperçut. « Pardon, messieurs, nous dit-il ; je vois bien que vous me
trouvez un peu inégal ; vous voyez peu de chose ; je suis un vieux rameau
heureusement détaché d'un méchant trône et transplanté dans la bonne terre,
mais toujours noueux et rude, comme le houx sauvage de sa couche. J'ai eu
encore bien de la peine avant d'en venir à l'état de douceur et de calme où
vous me trouvez. Hélas ! je ferais, si je l'osais, un grand reproche à la
Providence ; c'est de m'avoir mesuré la vie aussi courte qu'aux autres
humains. Quand, pour se transformer de loup en homme, il faut une lutte de
quarante ou cinquante ans, il faudrait vivre cent ans par-delà pour jouir
de sa victoire. Mais à quoi cela pourrait-il me servir ? ajouta-t-il avec
un accent de tristesse. La fée qui m'a transformé n'est plus là pour jouir
de son ouvrage. Bah ! il est bien temps d'en finir ! » Puis il se tourna
vers moi, et me regardant avec ses grands yeux noirs étrangement animés :
« Allons, petit jeune homme, me dit-il, je sais ce qui vous amène : vous
êtes curieux de mon histoire. Venez près du feu, et soyez tranquille. Tout
Mauprat que je suis, je ne vous mettrai pas en guise de bûche. Vous ne
pouvez me faire un plus grand plaisir que de m'écouter. Votre ami vous dira
pourtant que je ne parle pas facilement de moi ; je crains trop souvent
d'avoir affaire à des sots ; mais j'ai entendu parler de vous, je sais
votre caractère et votre profession : vous êtes observateur et narrateur,
c'est-à-dire, excusez-moi, curieux et bavard. » Il se prit à rire, et je
m'efforçai de rire aussi, tout en commençant à craindre qu'il ne se moquât
de nous ; et, malgré moi, je pensai aux mauvais tours que son grand-père
s'amusait à jouer aux curieux imprudents qui allaient le voir. Mais il mit
amicalement son bras sous le mien, et, me faisant asseoir devant un bon
feu, auprès d'une table chargée de tasses : « Ne vous fâchez pas, me dit-
il ; je ne peux pas, à mon âge, guérir de l'ironie héréditaire ; la mienne
n'a rien de féroce. À parler sérieusement, je suis charmé de vous recevoir
et de vous confier l'histoire de ma vie. Un homme aussi infortuné que je
l'ai été mérite de trouver un historiographe fidèle, qui lave sa mémoire de
tout reproche. Écoutez-moi donc et buvez du café. »

Je lui en offris une tasse en silence ; il la refusa d'un geste et avec
un sourire qui semblait dire : « Cela est bon pour votre génération
efféminée. » Puis il commença son récit en ces termes.








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Vous ne demeurez pas très loin de la Roche-Mauprat, vous avez dû passer
souvent le long de ces ruines ; je n'ai donc pas besoin de vous en faire la
description. Tout ce que je puis vous apprendre, c'est que jamais ce séjour
n'a été aussi agréable qu'il l'est maintenant. Le jour où j'en fis enlever
le toit, le soleil éclaira pour la première fois