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Nous n'eûmes de carte de crédit ni l'un ni l'autre pendant les deux années
suivantes. .... Il leva les yeux et secoua la tête avant même que David ait eu le
temps de poser la ...... pour entendre ses cris, dans cette hideuse forteresse, ce
sinistre cube de béton. ...... Emily reprit sa course, augmentant progressivement
sa vitesse.

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STEPHEN KING
JUSTE AVANT LE CREPUSCULE
NOUVELLES
Traduit de l'anglais (Etats-Unis) par William Olivier Desmond
[pic]
Albin Michel © Éditions Albin Michel, 2010
pour la traduction française
ISBN : 978-2-226-21255-9 À Heidi Pitlor
« Je peux imaginer ce que tu as vu. Oui ; c'est bien assez horrible ;
mais après tout, c'est une vieille histoire, un vieux mystère déjà joué...
On ne peut nommer de telles forces, on ne peut en parler, on ne peut les
imaginer que sous un voile ou comme un symbole, un symbole paraissant
fantaisiste, bizarre et poétique aux yeux de la plupart d'entre nous, et
une histoire démente à quelques autres. Toujours est-il que toi et moi
avons appris quelque chose de la terreur qui peut hanter les lieux secrets
de la vie, se manifester dans la chair humaine ; ce qui est sans forme
prenant une forme. Oh, Austin, comment est-ce possible ? Comment se fait-il
que la lumière du soleil ne devienne pas noire devant une telle chose ; que
la terre, aussi dure qu'elle soit, ne fonde pas et ne se mette pas à
bouillir sous le poids d'un tel fardeau ? »
Arthur Machen
Le Grand Dieu Pan
Introduction Un beau jour de 1972, rentrant à la maison après le travail, je
trouvai ma femme assise à la table de la cuisine devant un sécateur. Elle
souriait, ce qui me laissa supposer que les ennuis qui m'attendaient
n'étaient pas trop graves ; par ailleurs, elle me demanda mon portefeuille.
Ce qui me plaisait moins.
Je le lui tendis tout de même. Elle en sortit ma carte de crédit
Texaco - à l'époque, les jeunes mariés en recevaient une sans même l'avoir
demandée - et entreprit de la couper en trois morceaux. Comme je
protestais, lui faisant remarquer que la carte était bien pratique, et que
nous arrivions même à boucler nos fins de mois (avec des fois quelques sous
en plus), elle secoua la tête et me déclara que les intérêts représentaient
plus que ce que pouvait supporter notre budget dont l'équilibre était
précaire.
« Autant ne pas nous soumettre à la tentation, dit-elle. J'ai déjà
coupé la mienne. »
Et la question fut réglée. Nous n'eûmes de carte de crédit ni l'un ni
l'autre pendant les deux années suivantes.
Elle avait eu raison de le faire et le geste avait été intelligent
car, à l'époque, nous avions à peine plus de vingt ans et deux enfants en
bas âge ; financièrement, nous arrivions tout juste à nous tenir la tête
hors de l'eau. J'enseignais l'anglais au lycée et travaillais, pendant les
congés d'été, dans une blanchisserie industrielle ; je lavais les draps des
motels et livrais de temps en temps le linge, en camion, dans ces mêmes
motels. Tabby s'occupait des enfants dans la journée, profitant de leur
sieste pour écrire des poèmes, et partait bosser huit heures au Dunkin'
Donuts lorsque je revenais du lycée. Nos revenus combinés permettaient de
payer le loyer, d'acheter l'épicerie et les couches de notre petit dernier,
mais pas d'avoir le téléphone ; le téléphone avait subi le même sort que la
carte Texaco. La tentation était trop forte d'appeler quelqu'un habitant à
l'autre bout du pays. Il nous restait cependant assez d'argent pour acheter
un livre de temps en temps - ni elle ni moi ne pouvions vivre sans livres -
et assouvir mes mauvaises habitudes (cigarettes et bière) mais sinon, pas
grand-chose. En tout cas, pas assez pour se payer le luxe d'avoir sur soi
ce rectangle de plastique si pratique et en fin de compte si dangereux.
Ce qui restait allait en général en frais de réparation de la voiture,
en honoraires de médecin, ou servait à acheter ce que Tabby appelait « les
conneries pour les gosses » : des jouets, un parc pour bébé d'occasion et
quelques-uns des livres terrifiants de Richard Scarry. Ce petit plus
provenait en général des nouvelles que j'arrivais à placer dans des revues
masculines comme Cavalier, Dude et Adam. À cette époque, il n'était pas
question de littérature et toute discussion sur la pérennité de mes ?uvres
aurait été un luxe aussi superflu que la carte Texaco. Mes histoires, quand
je les vendais (c'est-à-dire pas toujours), étaient un petit apport
d'argent frais bienvenu, c'est tout. Des piñatas que je réussissais à
atteindre avec mon imagination et non avec un bâton, comme le font les
enfants mexicains. Quand j'arrivais à en caser une, au lieu de friandises,
c'était quelques centaines de dollars qui pleuvaient sur nous. D'autres
fois, rien.
Heureusement pour moi - et croyez-moi si je vous dis que j'ai eu une
vie extrêmement heureuse, à plus d'un titre -, mon travail était aussi mon
plaisir. Je m'éclatais comme un fou à écrire ces histoires, je prenais mon
pied. Elles débarquaient les unes après les autres, comme les morceaux de
la station radio de rock toujours branchée dans le bureau-lingerie où je
les écrivais.
Je les rédigeais à toute allure, y revenant rarement après les avoir
relues, et il ne m'est jamais venu à l'esprit de me demander d'où je les
sortais, ni en quoi la structure d'une nouvelle diffère de celle d'un
roman, ni comment on gère la question du développement d'un personnage, du
contexte, du cadre temporel. Je fonçais dans l'air, assis sur le seul fond
de mon pantalon, carburant à l'intuition et à la confiance en soi - une
confiance en soi de gosse. Seul m'intéressait le fait qu'elles venaient. Et
c'était tout ce qui importait. Il ne m'est en tout cas jamais venu à
l'esprit qu'écrire des nouvelles était un art délicat, un art que l'on
risque d'oublier si on ne le pratique pas en permanence ou presque. Il ne
me paraissait pas délicat. La plupart des histoires me faisaient l'effet de
bulldozers.
Rares sont les auteurs américains de best-sellers qui s'adonnent à la
nouvelle. Je doute que ce soit une question d'argent ; les écrivains qui
réussissent financièrement n'ont pas à s'en soucier. Il est possible que
lorsque l'univers du romancier à plein temps tombe en dessous d'une
centaine de pages, s'installe une sorte de claustrophobie créative. Ou peut-
être est-ce simplement le coup de main pour la miniaturisation qui se perd
en route. Bien des choses, dans la vie, sont comme rouler à bicyclette,
mais l'écriture de nouvelles n'en fait pas partie. On peut oublier comment
il faut s'y prendre.
Au cours de la fin des années quatre-vingt et de la décennie suivante,
j'ai produit de moins en moins d'histoires ; mais celles que j'écrivais
étaient de plus en plus longues (deux ou trois le sont plus que ce
recueil). Pas de problème. Mais j'avais des idées de nouvelles qui
restaient en plan parce que j'étais plongé dans un roman à terminer et ça,
c'était un problème. J'entendais ces idées me trottant au fond la tête,
gémissant qu'elles voulaient être écrites. Certaines le furent, en fin de
compte ; d'autres, j'ai la tristesse de le dire, moururent et se
dispersèrent comme poussière dans le vent.
Le pire est qu'il y avait des histoires que je ne savais pas comment
écrire. Déprimant. Certes, j'aurais pu les écrire dans l'ambiance de mon
bureau-lingerie, sur la petite Olivetti portable de Tabby ; mais maintenant
que j'étais beaucoup plus âgé, avec un savoir-faire bien supérieur et des
outils - le McIntosh sur lequel j'écris ceci, par exemple - bien plus
perfectionnés, ces histoires m'échappaient. Je me rappelle en avoir ainsi
gâché une et avoir pensé à un fabricant d'épées vieillissant devant une
fine lame de Tolède se disant : « J'ai su autrefois comment fabriquer ces
trucs-là. »
Puis un jour, il y a trois ou quatre ans, j'ai reçu une lettre de
Katrina Kenison, éditrice de la série annuelle Best American Short
Stories[1]. Ms Kenison me demandait si je n'aimerais pas assurer la
direction littéraire du volume de l'année 2006. Je n'ai pas eu besoin de
dormir sur sa proposition, ni même d'y réfléchir pendant une petite marche.
J'ai répondu oui sur-le-champ. Pour toutes sortes de raisons, dont quelques-
unes altruistes, mais ce serait un mensonge éhonté d'affirmer que mon
intérêt personnel n'était pas en jeu. Je me disais qu'en lisant beaucoup de
nouvelles, en m'immergeant dans ce qu'avaient à offrir, dans ce domaine,
les meilleures revues littéraires américaines, je retrouverais peut-être la
facilité qui m'avait fui. Non pas que j'eusse besoin des chèques -
modestes, mais fort appréciés des débutants - pour acheter un nouveau pot
d'échappement à ma voiture d'occase ou un cadeau d'anniversaire à ma femme,
mais parce qu'échanger ma capacité d'écrire des nouvelles contre un plein
portefeuille de cartes de crédit me paraissait un marché de dupes.
J'ai lu des centaines de nouvelles pendant mon année d'éditeur invité,
mais je ne parlerai pas de cela. Si la chose vous intéresse, offrez-vous le
bouquin et lisez l'introduction - et vous aurez droit en plus à vingt
histoires aux petits oignons, ce qui n'est pas un supplice trop pénible.
L'important, relativement aux nouvelles de ce recueil-ci, est que j'avais
retrouvé mon excitation d'antan et que je me suis remis à écrire des
histoires dans mon ancienne manière. C'était ce que j'avais espéré, n'osant
cependa