EQUOY HUTIN Séverine - Hal-SHS

La proposition qui est faite à l'entreprise encadre un constat négatif dont .... à l'
exercice du débat au sein de la société au même titre que les témoignages, voire
même ... Types, modes et genres : entre langue et discours, Langage et société
87, p. .... Des actes que l'on pourrait trouver contingents sont par là transformés
en ...

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Les écrits vers le travail :
Témoignages d'une réalité sociale française Séverine EQUOY HUTIN
Université de Franche Comté, LASELDI
Les « écrits vers le travail » appartiennent à la catégorie des écrits
du quotidien[1] que D. Fabre définit comme « des écritures que nos sociétés
demandent, exigent, suscitent » (1993 : 26). Cette définition instaure
d'ores et déjà un lien étroit entre ces pratiques discursives et la société
au sein de laquelle elles ont cours et dont elles participent. Qu'il
s'agisse de lettres de clients, d'allocataires d'aides sociales ou
d'usagers du service public[2], cette étude envisage d'en extraire des
représentations sociales collectives mettant en jeu des savoirs de
connaissance et de croyance (Charaudeau) sur la société et la place du
citoyen-scripteur en son sein[3]. Il s'agit de repérer des « croyances, des
connaissances et des opinions qui sont produites et partagées par les
individus d'un même groupe, à l'égard d'un objet social donné » (Guimelli,
1999 : 64). Après avoir fourni quelques repères théoriques en analyse
argumentative du discours ainsi qu'une définition des écrits vers le
travail plus spécifiquement orientée vers leur potentiel d'accès à la
société, on dressera un panorama non exhaustif de quelques lieux d'écriture
de la société dans ce genre de discours par le biais de l'analyse d'un
corpus de courriers authentiques. Enfin, c'est l'hypothèse globalisante
selon laquelle ces documents peuvent être considérés comme des témoignages
indirects mais non moins pertinents d'une réalité schématisée de la société
qui sera réexaminée en conclusion.
I. Repères théoriques pour lire les écrits vers le travail I.1 Analyse du discours et Analyse argumentative L'analyse du discours pense « l'intrication d'un mode d'énonciation et
d'un lieu social déterminé » (Maingueneau, 1995 : 7). Elle met en avant un
certain nombre de principes dont trois seront retenus ici :
Tout discours se construit sur la base d'autres discours. Il dispose
d'une mémoire, s'échafaude et n'existe que dans son rapport à
l'interdiscours c'est-à-dire à l'ensemble des discours avec lesquels il
entre explicitement ou implicitement en relation. Le discours est entendu
comme pratique discursive : les énoncés sont rattachés aux spécificités de
la situation de communication qui les suscitent et les maintient. Enfin,
tout discours relève d'un ou plusieurs genres de discours qu'il côtoie dans
l'espace interdiscursif. L'analyse du discours prend nécessairement en
compte les genres de discours qui ne sont pas exclusivement vus comme des
cadres permettant de donner forme à un contenu (Maingueneau). Dans une
perspective communicationnelle c'est en tant qu'activité sociale
ritualisée, soumise à des conditions de réussite qui intègrent un ensemble
diversifié de paramètres et leur incidence sur l'interprétation des énoncés
(Bakhtine) qu'ils sont appréhendés et redéfinis en fonction des contraintes
imposées par le du statut respectifs des énonciateurs et co-énonciateurs,
les circonstances temporelles et locales de l'énonciation, le support, les
modes de diffusion, les thématiques et l'organisation textuelle.
L'entreprise argumentative qui motive et conditionne la production
d'une très large majorité[4] d'écrits vers le travail conduit tout
naturellement à adopter le cadre plus spécifique de l'analyse argumentative
(Amossy, 2000). Celle-ci accorde une place de choix à la problématique des
genres et des représentations collectives. Cette approche se veut notamment - communicationnelle en tant qu'elle considère l'activité
argumentative comme indissociable « de la situation de communication dans
laquelle elle doit produire son effet » (Amossy, 2000 : 23) ;
- dialogique car le discours argumentatif se construit dans un espace
d'opinions et de croyances collectives sur lequel s'appuie l'orateur pour
tenter de faire adhérer ses interlocuteurs aux thèses qu'il défend
(Perelman). Toute entreprise argumentative repose sur des représentations
en circulation, plus ou moins marquées dans les énoncés, qui alimentent le
lien entre discours et société ;
- générique : les genres, qu'elle que soit l'utilisation qui en est
faite par les locuteurs, sont « en prise sur la société qui les
institutionnalise » (Ibid. : 24) et déterminent « des buts, des cadres
d'énonciation et une distribution préalable des rôles » (Ibid.) I.2. Quels potentiels représentatifs pour les écrits vers le travail ? Les écrits vers le travail mettent en scène un contact intersphérique
singulier, en ce sens qu'ils circulent de la sphère du privé - l'espace
domestique dont ils émanent - vers la sphère professionnelle en tant qu'ils
vont générer une situation de travail. Ils se rattachent à la communication
institutionnelle ou correspondance d'affaire qui s'exerce dans le cadre d'
« une relation hiérarchique ou marchande » (Adam, 1998 : 50) et est
déterminée « par une forme de commande (commerciale ou institutionnelle) »
(Ibid.). De plus, les écrits vers le travail se présentent comme des
fragments de communication épistolaire : l'écriture d'une lettre suppose
une séparation spatio-temporelle des deux partenaires qui doit être
palliée, l'adoption d'un format spécifique répondant aux exigences du genre
(plan de texte, dispositif énonciatif, investissement de l'espace de la
page, l'explicitation d'une cible identifiée et unique de par un adressage
explicite). En outre, ces écrits se donnent comme des discours à visée
argumentative et sont attendus comme tels par le(s) professionnel(s) : ils
répondent chacun à un projet argumentatif singulier et affirmé[5] de la
part du scripteur et vise une cible identifiée et a priori unique, le
professionnel et l'entreprise ou l'Institution dont il est le médiateur.
Enfin, ce sont enfin des situations de communication conflictuelle ou à
dominante pour le moins réactive et tendue : le discours conflictuel est
« l'une des dimensions constitutive de toute société » (Winsdich, 1987 :
23). Les écrits vers le travail font le plus souvent suite à un
dysfonctionnement constaté (facturation de frais de retard, facture
contestée, aide amputée...) et génèrent une réaction plus ou moins
offensive ou suppliante de la part du client, de l'allocataire ou de
l'usager. L'argumentation conflictuelle nécessite « la prise en compte
[...] des représentations sociales que l'émetteur a de son adversaire »
(Ibid. : 68).
De là, on postule que les caractéristiques situationnelles modulent et
prédéterminent un paradigme spécifique d'images de la société plus ou moins
récurrentes et partagées qui vont prendre différentes formes dans les
énoncés.
II. De quelques lieux d'écriture de la société dans les écrits vers le
travail Avant de s'intéresser plus spécifiquement à des marques linguistiques
de ces représentations, on peut d'ores et déjà insister sur la question du
support, en l'occurrence l'écrit, qui alimente une idée communément admise
selon laquelle verba volent, scripta manent. Par l'écrit, on laisse une
trace physique, palpable et juridique de soi et de ses représentations.
Le rapport à la norme épistolaire[6] dans le cadre de cette
communication institutionnelle conflictuelle peut quant à lui traduire des
représentations sociales qui vont de la reconduction à la mise en cause de
la distance initiale et qui sont donc en lien avec les images de soi et de
l'autre qui vont être véhiculées. Ainsi, les lettres couchées à même la
facture contestée ou sur un mini feuillet déchiré - par opposition à
l'utilisation d'une feuille de papier à lettre de format A4 - peuvent
témoigner du peu de considération accordée à l'autre et à la distance
institutionnelle préexistante. Il en est de même pour les lettres
tapuscrites par opposition aux lettres manuscrites qui alimentent l'ethos
d'un client outillé - au sens littéral comme au figuré -. Les modalités
d'appropriation du plan de texte normatif de la lettre peuvent également
présenter de grandes variations : corps de lettres très développés ou au
contraire très succincts, absence de séquences « phatiques », précautions
oratoires (formules dites de politesses) omises ou très réduites... peuvent
être interprétées sur ce plan. Les lettres adressées à la Caisse d'Allocations Familiales mettent en
scène des familles dans leur majorité socialement fragiles puisque la
plupart des aides sociales sont octroyées par l'État après examen de la
situation de l'allocataire (composition de la famille, déclaration des
revenus...). Dans le courrier suivant, se déploie un important catalogue
des maux de la société :
1.- L21 (CAF) « Voici une semaine j'avais rédigé un courrier à
votre intention vous informant de la situation dans laquelle je me
trouve suite au retour à un emploi à mi-temps. Je ne vous ai pas
fait parvenir ce courrier car je suis allée à la permanence de la
CAF ce mardi 1 juin, afin d'exposer de vive voix mon problème.
Malgré tout, je joins cette lettre datée du 25.05 vu que tous les
éléments de ma situation y sont notifiés clairement.
L'entretien avec votre collègue de permanence, qui a fait preuve
d'une grande compréhension, n'a fait que confirmer ce que je
pensais, à savoir :
1) l'impuissance totale des services administratifs