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Je considère donc que mes travaux se situent dans la lignée durkheimienne
mais d'un durkheimisme revu et corrigé par l'actionnalisme. ...... Derrière la
pesanteur du discours statistique et informatique présenté en guise de
légitimation scientifique, à côté de ces cartes du ciel socioculturel, le matériau
réel n'est au fond ...

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Université de Paris Nanterre
Actionnalisme institutionnaliste
Texte pour l'habilitation à diriger des recherches
en Lettres et Sciences Humaines
( section « Sociologie et Démographie »)
Salvador JUAN Avec les conseils et orientations de Monsieur le Professeur Alain
Caillé
Une personne, ce n'est pas seulement un sujet singulier, qui se
distingue de tous les autres. C'est, en outre et surtout, un être
auquel est attribuée une autonomie relative par rapport au milieu avec
lequel il est le plus immédiatement en contact.
E. Durkheim
(Les formes élémentaires de la vie religieuse, p. 388) Qu'est-ce en effet qu'une institution sinon un ensemble d'actes ou
d'idées tout institué que les individus trouvent devant eux et qui
s'impose plus ou moins à eux ? (...) Les institutions véritables
vivent, c'est-à-dire changent sans cesse : les règles de l'action ne
sont ni comprises ni appliquées de la même façon à des moments
successifs...
P. Fauconnet et M. Mauss
(La sociologie, objet et méthodes, in Mauss, Oeuvres, T. 3, p. 151-52).
PROLEGOMENES Le regard rétrospectif, que la rédaction d'une demande d'habilitation
incite à porter, sur un ensemble de textes (livres, rapports et articles
écrits, pour certains, depuis une quinzaine d'années) peut s'attacher à
discerner des thèmes ou problèmes, des champs, des approches, des
perspectives théoriques, des méthodes ou procédés d'investigation. Je n'ai
pu renoncer à aucun de ces différents modes d'intelligibilité, ni me
résoudre à privilégier l'un ou l'autre, pour caractériser un parcours
intellectuel et professionnel fait de voies empruntées puis abandonnées, de
détours et de constantes. Pour introduire à la description de ce parcours,
je distinguerai l'identité et le contenu. La première relève du contexte,
que le parcours professionnel et le rapport à la connaissance induisent. Le
second décrit le texte, le vif du propos, la substance proprement dite du
travail effectué.
L'identité A relire et relier mes travaux passés, je constate qu'ils manifestent
une tension entre une modèle théorique qui n'a jamais été renié,
l'actionnalisme, et une approche institutionnaliste qui ne nie pas la force
de certains phénomènes sociaux comme facteurs explicatifs sans, pour
autant, vouer les approches compréhensives aux feux de l'enfer. Peut-être
est-il utile d'éclairer le lecteur sur cette tension. Alors que
l'actionnalisme privilégie l'approche compréhensive, j'ai toujours
privilégié l'explication dans mes travaux tout en soulignant les apories
des sociologies niant l'action et les mouvements du social. En effet, le
sociologue actionnaliste, tel que je le conçois, marche sur un difficile
chemin de crête. Il est sans cesse menacé de glisser du côté de
l'idéalisme, voire de l'individualisme méthodologique qui est une de ses
variantes, ou d'un matérialisme devenu désuet au regard de l'histoire et
dont la sociologie systémiste - celle qui n'attribue aucune épaisseur à
l'acteur - est la forme composite la plus affirmée. Contre le premier
risque, le paradigme durkheimien (celui qui concerne aussi bien Marcel
Mauss que Maurice Halbwachs) est une solide garde-fou. Contre le second, le
même paradigme - qui se prolonge chez Roger Bastide, Jean Duvignaud ou
Georges Balandier - est tout aussi utile. Je considère donc que mes travaux
se situent dans la lignée durkheimienne mais d'un durkheimisme revu et
corrigé par l'actionnalisme. On verra qu'ils sont aussi l'inverse : un
actionnalisme corrigé par une relecture de Durkheim, ou, si l'on préfère,
un regard non parsonsien sur le Maître. De l'actionnalisme à l'actionnalisme en passant par les contraintes du
système L'irréductibilité de l'acteur au système institutionnel a toujours
été au fondement de l'actionnalisme ; j'en ai tiré aussi la définition de
la notion revisitée de genre de vie. C'est sur elle que s'appuiera le
passage d'une définition théorique, tourainienne, de la capacité d'action à
une définition empirique et attributive, susceptible de mesure : l'écart à
la situation. Cette dimension abstraite a même débouché sur un indice de
capacité d'action que je ne renie d'aucune manière, même si, aujourd'hui,
d'autres aspects plus symboliques de la capacité d'action retiendraient
plutôt mon attention...
Néanmoins, les derniers mots de Sociologie des genres de vie
annonçaient, parallèlement à l'expression de cet optimisme actionnaliste,
la suite de la recherche : étudier le poids, sur les usages, de la
spatialisation du social et observer des populations plus éloignées, en
apparence, de toute possibilité de participation sociale. Le cadre de vie
avait été présumé constituer le troisième grand facteur de détermination
des genres de vie avec la classe et le statut familial-vital.
A l'issue de deux années d'enquête (1993-95) dans vingt trois
quartiers de la banlieue parisienne, pour la plupart d'habitat populaire
et, pour moitié, « enclavés », s'est imposée à moi une redéfinition de la
capacité d'action, du moins de son degré présumé de généralisation... En
revanche, j'ai constaté que les facteurs spatiaux sont, de manière
autonome, plus structurants des modalités de réalisation des usages de la
vie quotidienne que de leur orientation ou de leur contenu. A donc été
confirmée la nécessité parallèle de renforcer le concept de classe sociale,
non sans l'articuler aux processus de fluidification : mobilité,
hétérogamie, désenclavement socio-spatial. Voilà pourquoi rigidité et
fluidité sont devenus deux concepts importants dans mes travaux et pourquoi
les réflexions sur la structure et la morphologie sociale prennent une
place centrale dans le texte qui suit.
Le principal fil conducteur de cette trajectoire arborescente où les
greffes, les produits hybrides et les différentes formes de métissage se
multiplient, est donc un actionnalisme revisité auquel je reste fidèle. Les
autres termes de stabilité sont : l'accent mis sur l'empirie, qui devance
et annonce les excursions théoriques, la prédilection pour la construction
typologique comme outil de connaissance (investie dès 1982) et la
résistance vis-à-vis de la division du travail, social et sociologique, à
tous les sens du terme. Ce dernier refus, très difficile à assumer dans un
milieu professionnel, détermine tant une affection pour la définition
artisanale de l'enquête, que l'organisation de mes divers travaux en équipe
en tant que membre ou comme directeur de recherche.
Enfin, on ne peut parler d'identité sans évoquer l'altérité des
voisinages. Deux murs m'ont, très utilement, servi de repoussoir et
d'appui. Le premier mur est celui de la sociographie purement empirique,
sans théorisation, que je nomme, à l'instar de certains auteurs,
empiricisme. Elle est incarnée par Paul Lazarsfeld. Pour simplifier
outrageusement (le recouvrement n'est pas total) on dira que cette
sociographie présente une vision plutôt éthérée, contingente et évanescente
- souvent appuyée par la référence aux préférences individuelles - de la
socioculture et du social en général. Elle tend aussi à agréger des actions
ou des individus de manière univoque, sans fonder théoriquement les
critères de regroupement. De l'autre côté, se trouve le mur d'une
sociologie de la reproduction, et plus généralement d'un systémisme, qui
nie l'acteur et les mouvements travaillant la société et la culture vécue.
Ce bloc, plutôt déterministe, incarné en France par Pierre Bourdieu,
présente une image figée, ou rigidement dépendante des évolutions
économiques, tant de la structure sociale que du quotidien ou des styles de
vie.
De l'explication à l'explication en passant par la compréhension Si le premier[1] travail de recherche se concrétise dans un rapport
intitulé Mythe, symbolique, idéologies de la maison solaire et si les
derniers textes écrits accordent une place importante au symbolique, ce
n'est pas un hasard ou un fait de circonstance circulaire. Finalement, le
symbolique, qui tient une place si importante dans l'Ecole durkheimienne,
s'oppose aussi bien à l'individualisme empiriciste - qui le dégrade en
opinions saisies par sondage - qu'au systémisme des sociologies de la
reproduction, lesquelles en font une pauvre superstructure (de
dispositions) complètement déterminée par le bas.
En quoi mes travaux sur la vie quotidienne (que l'on peut aussi
baptiser, après d'autres, le champ de la socioculture), et la méthode
hybride de l'explication compréhensive qui leur est indissociable,
prétendent-ils dépasser l'opposition de ces deux regards ? C'est une des
questions auxquelles le texte qui suit tente de répondre. Le renvoi, dos à
dos, de ces deux tendances, à la fois opposées et en collusion par certains
côtés, est pour un sociologue, me semble-t-il, la seule manière raisonnable
de travailler : d'expliquer et de comprendre non seulement la vie
quotidienne, mon domaine privilégié d'investigation, mais aussi tous les
phénomènes sociaux. La première tendance éclate