Le jeu de l'acteur - LYCEE MARC BLOCH Val-de-Reuil

Les différentes conceptions du jeu de l'acteur peuvent se répartir en deux
catégories, sur un axe dont les deux extrêmes seraient, d'un côté Molière, de l'
autre .... laisse, heureusement pour le poète, pour le spectateur et pour lui, toute
liberté de son esprit, et qui ne lui ôte, ainsi que les autres exercices, que la force
du corps.

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Le jeu de l'acteur
QUESTIONS POSSIBLES : - Qu'apporte l'acteur au texte théâtral ?
- L'acteur doit-il s'identifier à son personnage ?
- En quoi l'acteur oriente-t-il l'interprétation et
la perception du pers par le spectateur ? L'acteur est au centre : c'est lui, qui plus que tout autre élément,
définit ce qu'est le théâtre, l'acte théâtral. S'interroger sur le théâtre
et sa relation à la réalité, c'est donc s'interroger sur le comédien, sur
ce qui se passe quand il joue. Que se passe-t-il quand on fait « comme
si », quand on « s'acquitte [d'un] rôle » (Molière) ? Qu'est ce que jouer ?
Comment peut-on faire une chose pareille ?
1. Deux conceptions opposées du jeu de l'acteur
Les différentes conceptions du jeu de l'acteur peuvent se répartir en deux
catégories, sur un axe dont les deux extrêmes seraient, d'un côté Molière,
de l'autre Diderot et Brecht.
Chez Molière se produit la même confusion de l'acteur et du personnage. Il
demande à ses acteurs de « prendre [...] le caractère de [leurs] rôles. »
Le fait que la limite entre le jeu et la réalité s'efface est marqué par un
double mouvement : le metteur en scène demande aux membres de sa troupe de
« [se] remplir du personnage » et en même temps d'« [entrer] bien dans le
caractère », de sorte que l'on ne sait plus bien qui habite l'autre.
Diderot au contraire réclame de l'acteur qu'il ne s'identifie pas, qu'il
imite le personnage, qu'il observe et reproduise les manifestations
extérieures des émotions qu'il ne ressent pas : ce n'est qu'à ce prix que
le spectateur pourra, lui, ressentir les sentiments et s'identifier ; là
est le paradoxe du comédien.
Brecht a une pensée plus complexe, dans la mesure où, s'il va plus loin que
Diderot en souhaitant que le spectateur ne puisse pas s'identifier à
l'acteur, et que ce dernier doit faire en sorte de ne pas se confondre
totalement avec son personnage, il doit tout de même en ressentir les
émotions.
Valère Novarina tente d'échapper à cette alternative en réclamant du
comédien qu'il soit avant tout un corps, une parole : la relation se fait
alors moins entre l'acteur et le personnage qu'entre l'acteur et lui-même.
2. Le théâtre et la réalité
Ces visions différentes du jeu de l'acteur correspondent à deux conceptions
différentes des rapports entre théâtre et réalité.
Théâtre = reflet de la réalité
Pour Molière, durant le temps de la représentation, le théâtre et la
réalité se confondent. La douleur ressentie par le tragédien est celle de
sa vie, du deuil pour son fils. On pourrait aller jusqu'à dire qu'il
utilise le théâtre pour faire en public le deuil de son fils chéri après
l'avoir fait en privé, utilisant consciemment le plateau comme un lieu de
« thérapie » (cf aussi la notion de catharsis pour la tragédie : purgation
des passions au vu de l'histoire et de la souffrance du héros). Molière
agissait sans doute de même, inventant des personnages qui lui
ressemblaient d'une certaine manière, comme Alceste du Misanthrope ou
Arnolphe de L'École des femmes, ou réglant par la parodie, dans L'Impromptu
de Versailles, ses comptes avec ses très réels concurrents de l'Hôtel de
Bourgogne.
Autre conception du théâtre :
Brecht, quant à lui, pense que la critique sociale et politique qu'il
souhaite au théâtre s'accommode mal d'une identification : le spectateur
doit rester libre de penser, de garder sa lucidité. Ainsi on évitera
l'erreur du soldat de Baltimore, qui, aveuglé par son racisme et son manque
de connaissances, tire sur l'acteur qui joue Othello.
Pour Valère Novarina le théâtre n'a pas à être en rapport avec une
« réalité » quelconque. Il est un acte en soi, comme la peinture pour le
peintre abstrait (ce qu'est également l'auteur de la Lettre aux acteurs.)
Conclusion
Devant deux positions aussi tranchées, la nuance est peut-être dans le
propos de Stendhal qui écrit qu'« un spectateur ordinaire [...] n'a pas
l'illusion complète », c'est-à-dire qu'il n'a qu'une illusion partielle,
mais tout de même une illusion. Il s'identifie à l'acteur-personnage
certes, mais seulement dans une certaine mesure. Mais ce qui compte est
l'idée suivante : le théâtre et la réalité sont différents, mais ils ont
l'air, le temps d'une représentation, de se confondre. C'est là sans doute
la définition de l'illusion théâtrale : elle est volontairement consentie.
Voici le vrai paradoxe : c'est dans l'esprit du spectateur que tout se
joue, plus encore que dans le jeu de l'acteur, il faut que celui-là en même
temps, y croie et soit détaché, en une sorte de légère schizophrénie
temporaire, pour que l'acteur puisse jouer.
Quelques textes sur cette question : « Les qualités premières d'un grand comédien »
LE PREMIER
Moi, je lui veux beaucoup de jugement ; il me faut dans cet homme un
spectateur froid et tranquille ; j'en exige, par conséquent de la
pénétration et nulle sensibilité, l'art de tout imiter ou, ce qui revient
au même, une égale aptitude à jouer toute sorte de caractères et de rôles. LE SECOND
Nulle sensibilité !
LE PREMIER
[...] Si le comédien était sensible, de bonne foi lui serait-il permis de
jouer deux fois de suite un même rôle avec la même chaleur et le même
succès ? Très chaud à la première représentation, il serait épuisé et froid
comme un marbre à la troisième.
[...] Mais quoi ? dira-t-on, ces accents si plaintifs, si douloureux, que
cette mère arrache du fond de ses entrailles, et dont les miennes sont si
violemment secouées, ce n'est pas le sentiment actuel qui les produit, ce
n'est pas le désespoir qui les inspire ? Nullement ; et la preuve, c'est
qu'ils sont mesurés ; qu'ils font partie d'un système de déclamation ; que
plus bas ou plus aigus d'une vingtième partie d'un quart de ton, ils sont
faux ; qu'ils sont soumis à une loi d'unité ; qu'ils sont, comme dans
l'harmonie, préparés et sauvés : qu'ils ne satisfont à toutes les
conditions requises que par une longue étude ; que pour être poussés juste,
ils ont été répétés cent fois, et que, malgré ces fréquentes répétitions,
on les manque encore ; c'est qu'avant de dire :
Zaïre, vous pleurez !
ou,
Vous y serez, ma fille,
l'acteur s'est longtemps écouté lui-même ; c'est qu'il s'écoute au moment
où il vous trouble, et que tout son talent consiste non pas à sentir, comme
vous le supposez, mais à rendre si scrupuleusement les signes extérieurs du
sentiment que vous vous y trompez. Les cris de sa douleur sont notés dans
son oreille. Les gestes de son désespoir sont de mémoire, et ont été
préparés devant une glace. Il sait le moment précis où il tirera son
mouchoir et où les larmes couleront ; attendez-les à ce mot, à cette
syllabe, ni plus tôt ni plus tard. Ce tremblement de la voix, ces mots
suspendus, ces sons étouffés ou traînés, ce frémissement des membres, ce
vacillement des genoux, ces évanouissements, ces fureurs, pure imitation,
leçon recordée d'avance, grimace pathétique, singerie sublime dont l'acteur
garde le souvenir longtemps après l'avoir étudiée, dont il avait la
conscience présente au moment où il l'exécutait, qui lui laisse,
heureusement pour le poète, pour le spectateur et pour lui, toute liberté
de son esprit, et qui ne lui ôte, ainsi que les autres exercices, que la
force du corps. Le socque ou le cothurne déposé, sa voix est éteinte, il
éprouve une extrême fatigue, il va changer de linge ou se coucher ; mais il
ne lui reste ni trouble, ni douleur, ni mélancolie, ni affaissement d'âme.
C'est vous qui remportez toutes ces impressions. L'acteur est las, et vous
tristes ; c'est qu'il s'est démené sans rien sentir, et que vous avez senti
sans vous démener. S'il en était autrement, la condition de comédien serait
la plus malheureuse des conditions ; mais il n'est pas le personnage, il le
joue et le joue si bien que vous le prenez pour tel : l'illusion n'est que
pour vous ; il sait bien, lui, qu'il ne l'est pas.
[...] Mais un [...] trait où je vous montrerai un personnage rendu plat et
sot par sa sensibilité, et dans un moment suivant sublime par le sang-froid
qui succéda à la sensibilité étouffée, le voici :
Diderot, Paradoxe sur le Comédien
[...] Le spectateur vient voir l'acteur s'exécuter. Cette dépense inutile
lui active la circulation des sangs, pénètre à neuf ses vieux circuits. Un
spectacle n'est pas un bouquin, un tableau, un discours, mais une durée,
une dure épreuve des sens : ça veut dire que ça dure, que ça fatigue, que
c'est dur pour nos corps, tout ce boucan. Faut qu'ils en sortent, exténués,
pris du fou-rire inextinguible et épatant.
L'acteur n'est pas au centre il est le seul endroit où ça se passe et c'est
tout. Chez lui que ça se passe et c'est tout. Pourvu qu'on cesse de lui
faire prendre son corps pour un télégraphe intelligent à transmettre, de
cervelle cultivée à cervelle policée, les signaux chics d'la mise en rond
des gloses du jour. Pourvu qu'il travaille son corps dans l'centre. Qui se
trouve quelque part. Dans l'comique. Dans les muscles du ventre. Dans les
accentueurs-rythmiciens. Là d'où s'expulse la langue qui sort, dans
l'endroit d'éjection, dans l'endroit d'l'expulsion de la parole, là d'où
elle secoue le corps tout entier.
[...] Faut des acteurs d'intensité, pas des acteurs d'intention. Mettre son
corps au travail. Et d'abord, matérialistement, renifler, mâcher, respirer
le texte. C'est en partant des lettres, en butant sur les consonnes, en
soufflant les voyelles, en mâchant, en mâchant ça fort, qu'on trouve
comment ça se respire et comment c'est rythmé. Semble même que c'est en se
dépensant violemment dans le texte, en y perdant souffle, qu'on trouve son
rythme et sa respiration. Lecture profonde, toujours plus basse, plus
proche du fond. Tuer, exténuer son corps premier pour trouver l'autre
corps, autre respiration, autre économie - qui doit jouer. Le texte pour
l'acteur une nourriture, un corps. Chercher la musculature de c'vieux
cadavre imprimé, ses mouvements possibles, par où il veut bouger : le voir
p'tit à p