Vers la compréhension du système décimal

Aussi ne reprendra-t-on l'exercice que plus tard, afin d'exclure tout automatisme
antérieur à la compréhension. Autre exercice, cette fois avec des .... Ainsi les
prérequis sont-ils en réalité des postrequis: ce qui doit être acquis pour corriger a
posteriori les erreurs, et ce qui les corrige effectivement. Tout prérequis judicieux
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VERS LA COMPREHENSION
DU SYSTEME DECIMAL ELEMENTS DE GUIDANCE PSYCHO-PEDAGOGIQUE 2 par Ewald VELZ Le présent travail s'inscrit dans la série Eléments de guidance psycho-
pédagogique, dont la première contribution a paru dans le dernier
Bulletin de l'AFAPMS (1999b). Toutes les nuances alors formulées quant
à la portée et à l'objectif de ces travaux, restent valables.
1. Exercices préliminaires
Comment tester la compréhension de la dizaine, tout en veillant, s'il en
est besoin, à aider concrètement l'enfant? On invitera ce dernier à
prendre, par exemple, 13 jetons, à écrire le nombre 13 et, enfin, à poser
sur une "assiette" ce qui correspond au 3 (tâche réalisée correctement dans
pratiquement tous les cas) et sur une autre ce qui correspond au 1. Si
l'enfant y met d'emblée les dix jetons restant, en parlant d'une dizaine ou
d'un paquet de 10, on peut en conclure à une compréhension bien amorcée de
la dizaine.
Si, par contre, l'enfant ne pose qu'un seul jeton sur la deuxième assiette,
on attirera son attention sur les neuf qui restent: à quoi correspondent-
ils?... Embarrassé, l'enfant fournit des réponses parfois très étonnantes:
on a oublié de les indiquer dans le "chiffre" (la confusion entre nombre
et chiffre est fréquente)...; il arrive même qu'il les remette vite dans la
boîte, pensant avoir ainsi résolu le problème! Enfin, certains parviennent
à se corriger.
En cas de difficulté persistante, stimulez l'enfant par des questions ou
remarques exprimant l'étonnement, soulignant les contradictions..., mais se
moulant toujours sur ses (ré)actions à lui, afin d'atteindre une pertinence
optimale. Invitez, par exemple, l'enfant à compter les jetons qu'il a mis
sur les assiettes: 4, et à confronter ce nombre avec celui des jetons
qu'il a pris au départ: 13... Ne soyez pas pressés, laissez l'enfant
expérimenter ses hypothèses: toute la séance peut y passer dans certains
cas. Si, malgré tous les efforts, la solution n'émerge pas, amenez y
l'enfant plus directement, et puis arrêtez sans insister afin d'éviter
toute mémorisation stéréotypée. Si l'enfant était proche de la
compréhension, votre guidage lui suffira. C'est une des applications de la
notion de "zone de proche développement" dont il sera question plus loin.
Si, par contre, l'enfant n'était pas prêt, la mémorisation risque d'être
nuisible. Aussi ne reprendra-t-on l'exercice que plus tard, afin d'exclure
tout automatisme antérieur à la compréhension.
Autre exercice, cette fois avec des cubes (unités, paquets de 10, de 100,
de 1000). On peut laisser de côté les paquets de 1000, mais je préfère
garder au moins ceux de 100 pour éviter un choix trop mécanique. Je
présente le matériel à l'enfant: il peut l'expérimenter, compter les cubes
dans les paquets, comparer cubes et paquets... Ensuite, j'écris, par
exemple, le nombre 12. Il le lit et je lui demande de prendre autant de
cubes qu'indiqués. S'il possède déjà bien la notion de la dizaine, il va
prendre immédiatement un paquet de 10 et 2 unités. Sinon, il va prendre 12
unités. Dans ce cas, je lui demande quels nombres il sait déjà écrire (ou
j'en écris, pour voir s'il sait les lire). Supposons qu'il connaisse déjà
les nombres jusque 59... J'écris alors 27 en l'invitant à prendre autant
de cubes qu'indiqués. Embarrassé par le grand nombre, il se met quand même
à la besogne en prenant cube (unité) par cube.
Enfin, je passe au plus grand nombre qu'il connaît (ici: 59), en l'invitant
à prendre autant de cubes qu'indiqué. Là, c'est trop pour certains!
Mais, bien que je ne cesse de rappeler de quel matériel ils disposent, les
plus courageux se mettent encore à prendre cube après cube... Au découragé
tout comme au persévérant je propose alors, au moment voulu (en tout cas
avant d'avoir épuisé les cubes-unités dont je dispose!), mon aide directe.
J'analyse le nombre avec lui et ensemble nous convenons que c'est plus
facile et plus rapide - critère de l'utilité (E.Velz, 1999b) -, de se
servir des
paquets de 10 dont la quantité à prendre est directement indiquée par le
nombre en question. L'exercice achevé, on arrête immédiatement pour les
raisons évoquées ci-dessus.
Les deux exercices ainsi que d'autres du même genre peuvent se succéder vu
leurs différences, cependant certains préféreront utiliser un seul exercice
par séance, et en alternance, afin d'être sûrs d'éviter toute mémorisation
purement mécanique. 2. Prérequis ou postrequis?
D'aucuns énumèrent les nouvelles notions qu'impliquent par rapport aux
nombres 0 à 9, ceux qui leur sont supérieurs. Ainsi, mon collègue Guy
Simonart (1985, pp.41-42) en compte 7 : (1) plusieurs chiffres associés
représentent un seul nombre et (2) leur propre nombre va déterminer l'ordre
de grandeur de ce nombre; (3) la position relative de chacun des chiffres
possède une signification bien particulière et (4) un seul chiffre peut
représenter plusieurs collections; (5) le chiffre 0 peut signifier autre
chose que "rien du tout"; (6) la prononciation des chiffres va parfois
changer et (7) les chiffres se lisent de la gauche vers la droite.
Surgit alors la question: l'enfant doit-il acquérir préalablement ces
notions ou bien finira-t-il par les maîtriser en manipulant les paquets de
10, de 100...? Sans entrer dans le débat des prérequis que j'ai abordé
ailleurs (Velz, 1999a, pp.320-323), rappelons que c'est en forgeant qu'on
devient forgeron et non pas en apprenant méthodiquement tous les éléments,
des plus "simples" (selon nos théories) aux plus complexes. La théorie des
prérequis part de l'idée qu'on peut décomposer le complexe, isoler les
éléments, remonter les mécanismes de manière méthodique et appliquer ainsi
à la vie et à l'apprentissage les lois de la mécanique. Or, C. Freinet
(1975, p.9) pose bien le problème: "Devons-nous laisser parler l'enfant
qui ne sait prononcer aucun mot correctement pour qu'il apprenne à parler,
ou devons-nous le faire taire jusqu'au moment où il reconnaîtra
suffisamment le sens et l'usage des mots pour s'en servir avec sûreté?
Pouvons-nous le laisser calculer intuitivement par des processus de
tâtonnement expérimental (...), ou l'obligerons-nous, comme l'enseigne la
scolastique, à connaître d'abord les signes et les nombres et leurs
combinaisons qui aboutissent à une forme éminemment mécanique de calcul"?
Non, répondrai-je avec Freinet. Nous n'avons pas le droit de faire
attendre l'enfant et de le dégoûter par nos prérequis.
Où donc arrêter la course aux prérequis impliquant chacun, à son tour,
d'autres prérequis...? Se dogmatisant, ceux-ci finissent par engendrer des
monstres insolites et grotesques tels que les "pré-apprentissages". Au
lieu de partir des difficultés qu'éprouve éventuellement un enfant, on
l'éloigne du calcul pour l'obliger à pré-apprendre, à exécuter des
jongleries dont seuls quelques initiés prétendent saisir le sens et dont le
but serait, déclarent-ils, de préparer les apprentissages sensés du calcul.
Aussi ne puis-je qu'être d'accord avec la critique de Stal et Thom (1985,
p.61) : "Tous ces 'pré-apprentissages' farfelus constituent pour les
enfants au développement plus lent une jungle inextricable, sans ordre et
sans repère, qui accroît leur désarroi et les plonge dans le non-sens".
Faut-il conclure à l'inutilité, voire à l'absurdité de l'étude des
prérequis? Certainement pas! En effet, toute difficulté et toute erreur
constituent des aides d'orientation qui doivent guider l'enseignant vers
les prérequis manquant dans une situation déterminée. Ainsi les prérequis
sont-ils en réalité des postrequis: ce qui doit être acquis pour corriger
a posteriori les erreurs, et ce qui les corrige effectivement. Tout
prérequis judicieux constitue une clé qui ouvre la porte ou qui actualise
les capacités nécessaires à la correction effective et efficace des erreurs
ou au franchissement des obstacles. Par contre, l'idolâtrie des prérequis
risque de bloquer les apprentissages. Nous retrouvons alors à ce niveau un
des problèmes cruciaux de la psychologie et de la pédagogie: "les théories
sont 'prouvées' par l'étude de sujets à qui l'on a enseigné à se conduire
d'une manière conforme à ces théories" (G.Devereux, 1980, p.273).
Empêchant, de manière très sournoise, l'enfant d'apprendre ce qui lui est
interdit à cause d'un prétendu manque de prérequis, on confirme la théorie
de ceux-ci, mais on écrase en même temps l'enfant.
Enfin, ajoutons pour les plus sceptiques que les travaux de Vygotsky
confirment ce que la pratique ne cesse de nous révéler: refuser à l'enfant
les apprentissages pour lesquels la maturation et les prérequis lui
manqueraient, s'avère souvent néfaste - affirmation corroborée par des
spécialistes du cerveau tels que Changeux, Epstein, etc.: pour que les
connexions dans le cortex cérébral se développent, il faut qu'il y ait
stimulation adéquate. Le processus de développement suit, pour une large
part, celui des apprentissages. L'adulte ne peut pas emboîter le pas aux
enfants, il doit les devancer de la distance qui assure que la tâche soit
un défi pour eux tout en répondant à leurs goûts, à leurs intérêts et à
leur potentiel (à ne pas confondre avec la maturation actualisée). Ce que
Vygotsky appelle la zone proximale de développement: "la distance entre le
niveau de développement actuel déterminé par la résolution de problèmes en
si