Les pièges à l'emploi en Belgique : diagnostic et pistes politiques

Mots-clés: pièges financiers, pièges à l'emploi, offre de travail, allocations de
chômage, simulations cas-types, politique d'emploi socialement efficace. ......
Néanmoins, le système actuel de compléments est insuffisant et doit être corrigé
de façon à ce qu'un emploi à mi-temps soit financièrement plus avantageux qu'
un ...

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Les pièges à l'emploi en Belgique : diagnostic et options politiques
Lieve De Lathouwer December 2000 Les pièges à l'emploi en Belgique : diagnostic et options politiques
Lieve De Lathouwer, Centre de Politique Sociale, Université d'Anvers
(UFSIA)
Octobre 2000
Mots-clés: pièges financiers, pièges à l'emploi, offre de travail,
allocations de chômage, simulations cas-types, politique d'emploi
socialement efficace. Résumé en français
Les pièges à l'emploi font référence à un conflit inhérent entre la
protection du revenu (la garantie d'un revenu minimum décent) et
l'efficacité économique (la stimulation de la réinsertion et la prévention
d'une dépendance de longue durée). Partant de la première perspective, les
allocations doivent être suffisamment élevées ; partant de la seconde
perspective, des allocations 'décentes' empêchent précisément la
réintégration dans le marché du travail formel. Lorsque des dispositifs de
revenu élaborés et une pression (para)fiscale élevée mènent à une
différence (trop) réduite entre le revenu disponible provenant du travail
et celui qui provient de la sécurité sociale, la réinsertion sur le marché
du travail peut s'en trouver découragée. La suppression des pièges à
l'emploi est un objectif important de «l'Etat social activateur ». Celui-ci
a pour enjeu une augmentation de la participation au travail et une
diminution de la dépendance des allocations. Ce texte offre une base
chiffrée et empirique à la question de savoir quelle est l'importance du
piège à l'emploi en Belgique. Nous nous basons pour ce faire sur une étude
récente que nous avons effectuée dans le cadre d'un projet Viona (Réseau de
Recherche Interuniversitaire Flamand de Rapportage sur le Marché de
l'emploi) commandé par la Communauté Flamande [1]. Introduction Le problème des pièges à l'emploi figure depuis un certain temps à l'agenda
politique, notamment sous pression des directives européennes en matière de
politique de l'emploi (Commission européenne 1998a). Dans un Etat-
providence élaboré, la question se pose de savoir s'il y a suffisamment
d'incitants financiers à franchir le pas entre la dépendance des
allocations et un travail faiblement rémunéré. Si les dispositifs de revenu
et une pression fiscale et parafiscale élevée mènent à une situation où le
travail rapporte à peine plus, voire moins que le chômage, la réinsertion
dans le marché du travail peut être découragée.
La discussion sur les pièges à l'emploi en Belgique est cependant peu
étayée d'un point de vue chiffré et empirique. Ce texte entend contribuer à
cet étayage. Dans un premier paragraphe, nous esquissons le problème des pièges à
l'emploi avec en toile de fond le sous-emploi structurel chez les personnes
peu qualifiées.
Un deuxième paragraphe traite de la complexité à mesurer les pièges à
l'emploi. Dans un troisième paragraphe, nous situons l'ampleur des pièges à
l'emploi (théoriques) à partir de simulations standard détaillées et d'une
étude échantillonnée auprès de la population des chômeurs en Belgique
(Flandre). Un quatrième paragraphe argumente la nécessité d'une politique
d'emploi et de revenu pour remédier au problème des pièges à l'emploi. Dans
un dernier paragraphe, nous tirons un certain nombre de conclusions et nous
formulons un certain nombre d'options politiques pour une approche
socialement efficace des pièges à l'emploi.
1. Le problème des pièges à l'emploi. L'Etat-providence a surtout résolu le problème du chômage et du sous-emploi
(et ses conséquences sur le revenu) par une sécurité sociale d'une grande
portée mais passive, et par une fiscalité favorable aux familles. Il en
résulte une grande dépendance des allocations. Le nombre d'allocataires de
plus de 15 ans a augmenté, au cours de la période 1980-1997, de 80 à 103
allocataires pour 100 travailleurs. Dès lors, la Belgique fait partie des
pays aux degrés de dépendance les plus élevés (Sociale nota 2000). Outre le
vieillissement (retraites), cette dépendance croissante est due en grande
partie à une politique de réduction de l'offre qui a été menée par le biais
de l'assurance chômage. Notamment grâce à ces dispositifs de revenu, la
Belgique fait partie des pays où l'inégalité des revenus est la plus faible
et où la pauvreté est également la plus faible, tant pour les travailleurs
que pour les non travailleurs, comme le montrent des études internationales
qui portent sur le début des années 90 (Atkinson, e.a. 1995 ; Cantillon,
e.a. 1997, Gottschalk 1997) (graph 1). Tableau 1 : Risques de pauvreté en cas de travail et de non-travail pour la
population active (15-64 ans), début des années 90 (1)
| |Travailleurs |Non travailleurs |Tous |
|Belgique |9,2 |0,7 |4,6 |
|Danemark |9,8 |2,8 |4,0 |
|Norvège |11,5 |3,2 |4,4 |
|Pays-Bas |12,8 |3,8 |6,9 |
|Allemagne |13,1 |3,7 |6,3 |
|Suède |16,8 |5,2 |6,6 |
|Espagne |18,4 |7,5 |13,1 |
|Australie |31,4 |5,4 |12,5 |
|Canada |32,8 |7,6 |12,3 |
|Royaume-Uni |38,9 |4,1 |14,5 |
|Etats-Unis |42,7 |13,8 |19,1 |
source : Luxemburg Income Study (LIS), à partir de Marx et Verbist (1998)
(1) pauvreté mesurée en tant que pourcentage des familles qui doivent vivre
avec moins de 50% du revenu moyen équivalent, avec des facteurs
d'équivalence de 1.0 pour le premier adulte, de 0.5 pour chaque adulte
supplémentaire et de 0.3 pour chaque enfant.
Cependant, on pose de plus en plus souvent la question de savoir dans
quelle mesure c'est l'Etat-providence lui-même qui a découragé la
participation au travail par la création de pièges à l'emploi et de pièges
à la productivité. Les dispositifs de revenu (passifs) élaborés et une
forte pression fiscale et parafiscale sur le travail mènent à une
déficience des incitants financiers pour franchir le pas du chômage au
travail faiblement rémunéré (pièges à l'emploi), tandis que les coûts
élevés du travail en vue du financement de l'Etat-providence rendent les
travailleurs peu qualifiés trop chers sur le marché du travail (pièges à la
productivité[2]). Ces facteurs de demande et d'offre influencent de façon
négative les chances d'emploi, en particulier dans les couches inférieures
du marché de l'emploi. Dans les comparaisons internationales, la Belgique
se fait remarquer par son fort taux de chômage de longue durée (60% des
chômeurs Belges sont plus d'un ans en chômage contre 40% pour l'Union
Européenne), son fort taux de dépendance d'allocations (103 allocataires
par 100 travailleurs, Sociale Nota 2000) et ses faibles chances de
réinsertion pour des chômeurs (Cantillon, De Lathouwer, Thirion, 1999). Le
revers est son faible taux d'emploi pour la population active. En 1998,
57,5% des 15-64 ans en Belgique étaient au travail, pour 60,8% en France,
61,5% en Allemagne, 68,3% aux Pays-Bas, 71,4% au Royaume-Uni, 70,3% en
Suède et 78,9% au Danemark (European Commission 1999). Le faible taux
d'emploi en Belgique se situe surtout chez les jeunes, les plus âgés et les
femmes. C'est surtout pour les personnes peu qualifiées que les chances
d'emploi sont très faibles sur le marché du travail belge: moins de 50% des
personnes peu qualifiées entre 25 et 64 ans ont un emploi, contre 84% chez
les personnes qualifiées (tableau 2). Ce sont surtout les femmes peu
qualifiées qui connaissent un niveau de participation au travail
particulièrement faible (32%) en comparaison avec d'autres pays. Au
contraire ce sont surtout les pays scandinaves, et en particulier la Suède,
qui sont en mesure d'offrir aux personnes peu qualifiées une chance
d'emploi substantiellement plus élevée. Le thème du piège à l'emploi fait référence au conflit traditionnel entre
une distribution équitable des revenus et un marché du travail qui
fonctionne de façon efficace (equity and efficiency). Lorsque le travail ne
rapporte plus rien ou plus grand-chose en raison des impôts et des charges
sociales à payer, en raison de la suppression ou de la diminution des
avantages sociaux (p. ex. allocations de remplacement, mais aussi des
allocations complémentaires sélectives comme les allocations familiales
majorées, les tickets modérateurs limités, le soutien financier
complémentaire dans l'aide sociale, les bourses d'études,...) et en raison
de coûts supplémentaires liés au travail (p. ex. garde des enfants, frais
de transport), l'intéressé ne percevra qu'un avantage financier limité à
préférer une vie laborieuse à une situation de dépendance des allocations
ou l'inactivité. Ainsi, les intéressés se retrouvent dans ce qu'on appelle
un 'piège à l'emploi', ou encore un 'piège à la dépendance'. Tableau 2 : Taux d'emploi pour les 25-64 ans selon le sexe et le niveau de
formation, 1998.
| |Tous |Hommes |Femmes |
| |Elevé |Moyen |Faible|Elevé |Moyen |Faible|Elevé |Moyen |Faible|
|Belgique |84 |72 |47 |89 |83 |63 |79 |61 |32 |
|Allemagne|82 |67 |46 |86 |75 |61 |78 |62 |40 |
|France |82 |75 |56 |86 |82 |66 |77 |67