Ethan Frome - Abbaye de Tamié
La page 1 bis comprend ?un exposé succint de sa vie [de Nicolas Ferdinand
Jérôme de Hédouville], afin de mettre en lumière les caractéristiques de l'auteur
de ce ... Je n'ai pas besoin de vous observer, mes chers enfants, que n'ayant
jamais écrit, j'ai besoin, dans la lecture de cette [2] petite relation, de toute l'
indulgence ...
Part of the document
Frère Jérôme
Ferdinand Jérôme Nicolas de Hédouville
Relation de mon séjour en exil
et exode des religieux jusqu'en Russie
Par un novice de la Valsainte
1796-1800 Le manuscrit de Hédouville
Actuellement il existe une copie de la Relation de frère Jérôme, ancien
novice de la Trappe en Suisse, aux archives de l'abbaye de Tamié. Elle fut
exécutée en 1927 par M. Dautricourt, généalogiste, de Montreuil sur Mer
(Pas-de-Calais), à la demande de dom Alexis Presse, abbé de Tamié, d'après
un texte, propriété de Mme de Buttet de Chambéry, alliée à la famille de
Hédouville. Le document se présente comme un volume constitué de deux ensembles
comprenant 81 et 214 pages, de feuilles 21 x 27 cm, dactylographiées sur
une seule face, brochées en un seul volume, à couverture brune. La page 1
bis comprend "un exposé succint de sa vie [de Nicolas Ferdinand Jérôme de
Hédouville], afin de mettre en lumière les caractéristiques de l'auteur de
ce travail", selon les termes de Dautricourt qui s'est chargé de faire la
copie de la Relation. L'appartement de cette personne fut détruit pendant le bombardement
américain de Chambéry survenu le 26 mai 1944 et sans doute le document
original disparut-il alors. Le monastère de la Visitation de Reims a été fermé et ses archives ont été
transférées dans celui de Boulogne (Nord). On y a retrouvé une copie de la
Relation de frère Jérôme, un peu remaniée et abrégée par rapport à la copie
de Tamié, exécutée par une religieuse, durant l'un des supériorats , de
Mère Sainte-Thérèse Jéronyme, fille de Nicolas Ferdinand Jérôme, entre 1847
et 1889. Il n'est pas impossible qu'il existe d'autres copies de ce document, dans
la famille de Hédouville ou alliée. La présente transcription suit la copie de Tamié. Elle indique entre [ ]
les numéros de page ou bien des mots ajoutés. Certains paragraphes ont été
raccourcis. Les titres des chapitres sont de l'éditeur. Vers la Valsainte
[1] Quelques mots sur l'abbaye de la Valsainte de Notre-Dame de la Trappe. Étant pressé depuis longtemps de consigner dans un petit mémorial la faveur
que Dieu m'a faite de me souffrir trois ans et quelques mois parmi ses
fidèles serviteurs, les Révérends Pères de la Trappe, je mets enfin la main
à l'?uvre, espérant que le Seigneur daignera m'assister dans une entreprise
qui surpasse de beaucoup les forces d'un pauvre ignorant. Puissiez-vous,
mes enfants[1], en tirer quelque édification et concevoir une haute idée de
la bonté de Dieu qui traite avec tant de douceur ceux qui embrassent avec
ferveur la croix de son adorable Fils, en changeant en un séjour de bonheur
et de paix un lieu, qui, aux yeux de la nature, ne semble devoir produire
que les plus âpres épines ! Ô terre des élus, ô maison de paix, heureux ceux qui sont admis à vivre
dans votre enceinte et qui ne franchissent vos saintes limites que pour
s'envoler sur les montagnes de la céleste Sion ! Dépouillé d'un si grand
bien, je m'efforce de chercher des consolations dans ces paroles pleines
d'amour de notre charitable Sauveur : In domo Patris mei, mansiones multae
sunt. Il y a plusieurs demeures dans la maison de mon Père[2]. Je n'ai pas besoin de vous observer, mes chers enfants, que n'ayant jamais
écrit, j'ai besoin, dans la lecture de cette [2] petite relation, de toute
l'indulgence que j'ai le droit d'attendre de vous. Je n'ai d'ailleurs,
d'autre vue que de vous édifier, en rendant, dans la mesure de mes moyens,
un très faible témoignage de ma juste reconnaissance à la sainte réforme de
la Trappe. Je prendrai, dans le cours de cette petite narration, le nom de frère
Jérôme, nom cher à mon c?ur par bien des titres puisqu'il est un de ceux
que j'ai reçus au saint baptême, et que c'est sous ce nom que j'ai passé
les trois plus précieuses années de ma vie. Je ne ferai pas de description de l'abbaye de la Valsainte[3]. Cette maison
qui avait passé des enfants de saint Bruno à ceux de saint Bernard est
maintenant détruite ou employée à des usages profanes. Je n'exposerai pas
non plus les motifs qui ont donné lieu à la nouvelle réforme établie par le
révérend Père dom Augustin de Lestrange[4]. Divers imprimés répandus dans
le public peuvent vous en instruire. Je ne peux cependant pas me dispenser
de vous dire en passant que Pie VI, de sainte mémoire, en faveur de cette
réforme à laquelle il donna les plus grands encouragements, érigea la
chartreuse de la Valsainte en abbaye[5], et constitua dom Augustin père
immédiat[6] de toutes les maisons qui pourraient en sortir, en quelque lieu
qu'elles existassent. Je passe sous silence tous les événements qui ont précédé ma retraite. Je
ne parlerai pas de l'emploi de mes premières années[7], de ce temps si
précieux que les hommes [3] doivent à Dieu comme les prémices de la vie
qu'ils tiennent de sa bonté. Je dira seulement avec le roi prophète :
"Delicta juventutis meae, ne memineris, Domine. Seigneur, ne vous rappelez
point les fautes de ma jeunesse."[8] Les précieux moments des miséricordes étaient arrivés pour moi. Dieu, déjà,
avait commencé à frapper mon c?ur du plus terrible coup en me privant, dans
une terre étrangère, de mon plus ferme appui. Je n'avais que vingt-deux ans
et quelques mois quand mon père, après m'avoir laissé les plus touchants
exemples d'une fidélité constante à son Dieu et à son roi, termina sa
carrière en véritable chrétien, ne recommandant à ses enfants que la
crainte du Seigneur. J'étais absent pour mon service lorsque j'éprouvais
cette douloureuse perte, mais je ne perdis rien des instructions de mon
vertueux père. Elles avaient été fidèlement recueillies par un intime
ami[9] qui, plus heureux que moi, avait été témoin de son dernier combat.
Cette lutte suprême a dû lui assurer la victoire par la manière dont il s'y
était préparé. (18 janvier 1796) Je continuai mon service militaire pendant
tout le cours de cette année. Comme Dieu parle rarement au milieu du tumulte, mais qu'il a coutume de
conduire l'âme dans la solitude pour la toucher au c?ur, il permit qu'une
légère égratignure, aigrie par les fatigues [4] d'une campagne très active,
dégénérât en une plaie fâcheuse, ce qui obligea mes chefs à m'envoyer, pour
quelque temps, sur les derrières de l'armée, y prendre le repos nécessaire
à ma guérison. La Providence, en ménageant cette circonstance, permit que
je fusse réuni à cet intime ami dont j'ai déjà parlé, que lui-même, attaqué
d'une fièvre aussi violente qu'opiniâtre, m'avait précédé au dépôt.
C'était, sans doute, par ce nouvel Ananie que le Seigneur voulait me faire
connaître sa volonté. Je fus bien étonné de le retrouver beaucoup moins occupé des moyens de
rétablir sa santé, en vue de reprendre le service militaire, que de celle
de se rendre à la Trappe, aussitôt la fin de la campagne. Rien, jusque là
n'avait pu me préparer à une telle confidence. Cependant, me voyant sur le
point de perdre mon unique ami, je n'hésitai pas à lui dire que je ne me
séparerais jamais de lui. Après quelques semaines de repos, étant guéri, je pensai qu'il était de mon
devoir de rejoindre les drapeaux. Je le quittai en lui réitérant
l'assurance d'être son compagnon de voyage aussitôt la campagne terminée.
Je retrouvai l'armée du Mr le Prince de Condé[10] près Steinstadt[11],
quelques jours avant la bataille de ce nom, dont le résultat fut la
retraite des Français au-delà du Rhin, sur Huningue[12]. Après avoir tenu
la campagne quelques jours, nous fûmes cantonnés dans des villages près du
fleuve. C'était là que je fus réuni à mon ami. Nous y passâmes quelques
temps, n'attendant [5] que la fin de l'année pour demander des congés qui
nous furent accordés par nos chefs, loin de se douter de l'usage que nous
en voulions faire. Enfin se montra l'aurore qui annonçait le jour de notre délivrance ! Il
était arrivé ce jour fortuné où nous devions nous diriger sur cette sainte
vallée où nos ardents désirs devançaient nos pas. Remplis d'une douce joie,
nous quittâmes le cantonnement sans prendre congé de personnes, portant sur
nos épaules ce que la Providence nous avait laissé, pouvant dire avec
David : Dirupisti vincula mea, tibi sacrificabo hostiam laudis. Seigneur
vous avez brisez mes liens, c'est maintenant que je pourrai vous offrir un
sacrifice de louange[13]. Nous étions alors dans le Brisgau. Nous nous acheminâmes vers la Suisse en
passant par la Forêt Noire, ainsi nommée à cause de l'obscurité qui règne
dans ces tortueuses vallées hérissées de montagnes couronnées de sapins. On
trouve encore dans ce pays des traces de la plus touchante simplicité du
premier âge du monde, ainsi qu'une partie des premiers chrétiens dans les
lieux que l'hérésie de Luther n'a pas infectés. Nous traversâmes ce pays
dans un profond silence, souvent nécessité par le bruit des torrents qui
s'échappent des rochers les plus escarpés, retombent en écume dans des
gouffres profonds, en imprimant à l'âme un sentiment difficile à décrire. L'esprit tout occupé du terme de mon voyage, je ne considérais que
faiblement tant de belles horreurs dont il a plu à Dieu de [6] varier ses
ouvrages. D'ailleurs ces sites ne m'étaient pas inconnus. Nous marchâmes en
grande hâte, ne nous arrêtant que le saint jour du dimanche pour reprendre
de nouvelles forces. Après plusieurs jours de marche, nous arrivâmes au
premier village suisse du canton de Schaffouse. Nous nous sentîmes repris
d'une nouvelle vigueur en entrant dans un pays que