les enfants de la rue - Amistrada

Je pense, au contraire, que dans leur vie quotidienne ils raisonnent de façon
abstraite, non pas dans des exercices scolaires mais dans la vie réelle, ce qui est
bien plus utile et important. Leur vie dépend ..... 1993, "Quebrando el silencio :
organizaciones del pueblo maya y sus demandas (1986-1992)", Guatemala,
Flacso.

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LES ENFANTS DE LA RUE
AU GUATEMALA
Princesses et rêveurs
Collection Recherches et Documents -Amériques latines
dirigée par Joëlle Chassin,Pierre Ragonet Denis Rolland
Dernières parutions: TEITELBOIM V., Neruda, une biographie, 1995. TERRAMORSI B., Le fantastique dans les nouvelles de Julio Cortazar, 1995. CONDORI P., Nous, les oubliés de l'Altiplano. Témoignage d'un paysandes
Andes boliviennes recueilli par F. Estival. MERIENNE-SIERRA M., Violence et tendresse. Les enfants des rues à Bogota,
1995. GRUNBERG B., La conquête du Mexique, 1995. ENTIOPE G., Nègres, danse et résistance. La Caraïbe du XVIIe au XIXe
siècle, 1996. GUICHARNAUD-TOLLIS M., Regards sur Cuba au 19èfne siècle, 1996. BASTIDE R , Les amériques noires. 3e édition, 1996. FREROT C. Echanges artistiques contemporains. La France et leMexique, 1996. HÉBRARD V., Le Venezuela indépendant. Une nation par le discours.1808-1830,
1996. ALBALA DEJO C. et TULET J.-C., coord. Les fronts pionniers de l'Amazonie
brésilienne, 1996. COICAUD J.-M., L'introuvable démocratie. Les dictatures du Cône Sud:
Uruguay, Chili, Argentine (1973-1982), 1996. EZQUERRO M., Construction des identités en Espagne et en Amérique latine,
1996. POLICE Gérard, La fête noire au Brésil, L'Afro-brésilien et ses doubles,
1997. TARDIEU Jean, Noirs et nouveaux maîtres dans les "vallées sanglantes"de
l'Équateur (1778-1820), 1997. MONTERO CASASSUS Cécilia, Les nouveaux entrepreneurs: le cas du Chili,
1997. LOSONCZY Anne-Marie, Les saints et la forêt, 1997. SCHPUN Monica Raisa, Les années folles à Sao Paulo (1920-1929), hommes et
femmes au temps de l'explosion urbaine, 1997. THIEBAUT Guy, La contre-révolution mexicaine à travers sa littérature,
1997. @ L'Harmattan, 1997
ISBN: 2-7384-5402-X
Cinquante-neuf filles et garçons des rues
&
Gérard LUTTE
LES ENFANTS DE LA RUE
AU GUATEMALA Princesses et rêveurs
Reproduit avec la permission de
L'Harmattan
L'Harmattan Inc.
5-7, rue de l'École Polytechnique
55, rue Saint-Jacques
75005 Paris - France
Montréal (Qc) - CANADA H2Y lK9
POUR SUYAPA Suyapa
j'étais en train de finir ce livre
quand du Guatemala j'ai reçu la nouvelle
que tu avais été atrocement suicidée Il y a quelques mois à peine
tu me racontais ta vie
tu avais laissé la rue pour un bordel
tu rêvais d'aller aux Etats- Unis
d'aider les enfants des rues
et en t'ecoutant Je pensais
que ça aurait été beau pour moi
qui n'ai pas d'enfants
une fille comme toi
pleine de projets envie de vivre
idéal indomptable courage
volonté de fer
toi qui avais réussi à poursuivre tes études
tout en vivant dans la rue
en volant
comme disent les bien-pensants
quand les pauvres récupèrent des miettes
des biens dont on les a spoliés
pour manger
payer l'école
tu dormais bien serrée contre d'autres comme toi
pour partager la chaleur
et l'amitié
contre le froid d'un monde ennemi
et de la nuit
un carton pour matelas
pour couverture du plastique
dans les parcs sur les trottoirs
du quartier pauvre
de la rue où tu vis
de la rue sans loi
comme tu avais baptisé les lieux de ta vie
tu prenais une douche dans les bains publics
pour arriver bien propre à l'école
comme tes compagnes
avec maison et parents Tu ne connaissais pas ton père
un oncle t'avait violée
puis des inconnus
lâchement comme toujours
sous la menace d'une arme
cachés dans des autos aux vitres polarisées Le respect et la tendresse
tu les avais trouvés seulement auprès des femmes
tu étais fière
d'être lesbienne
et de ton passé d'enfant de la rue Après l'interview
tu avais décidé
et ce que tu décidais tu le faisais
d'abandonner le bordel
de travailler avec des enfants des rues
de reprendre tes études
et tu étais sûre de réaliser tes projets
tu avais seulement dix-sept ans Tu avais seulement dix-sept ans
mais tu avais vécu
beaucoup plus plus intensément
tu en savais bien plus sur la vie
qui pour toi était défi continuel
avec la mort
que beaucoup d'entre nous
avec trois quatre fois ton âge Ce livre écrit avec toi et tes camarades de la rue
est mémoire de toi
espoir que tant d'autres
au Guatemala et ailleurs
vont prendre la relève pour réaliser tes rêves
de bonheur,
pour les enfants des rues,
les filles surtout
plus exploitées maltraitées
humiliées
dans leur dignité de femme. Dans ces luttes dans ces espoirs
dans ces volontés obstinées
de vivre
des filles et des garçons des rues
et de ceux qui sont de leur côté
Suyapa
tu continues à vivre et nous
te sentons près de nous.
Genappe (Belgique), 17 août 1994
PRÉSENTATION Je présente dans ce livre des histoires de vie d'enfants des rues du
Guatemala. A la fin du récit de sa vie, un garçon de quinze ans me demanda:
"Pourquoi ne pas intituler le livre 'Les rêveurs des rues' ?". "Le titre
est beau, lui répondis-je, mais pour quoi le proposes-tu ?". "Parce que
nous, enfants des rues, nous avons beaucoup de rêves, mais pour les
réaliser nous devons rencontrer des personnes qui nous aident". Avec une
sagesse, qui m'a souvent surpris, chez ces garçons et filles, il me faisait
comprendre que l'essentiel dans la rue, c'est ce qui ne se voit pas, la vie
intérieure, les sentiments, les désirs, les rêves, et que la tâche des
éducateurs est de les aider à réaliser leurs projets, et non d'imposer les
leurs, en respectant profondément leur autonomie et leurs choix. Sa
suggestion implique aussi que les sciences humaines doivent avant tout
permettre aux personnes de s'exprimer librement, parce que l'essentiel est
invisible pour les yeux, inaccessible si ce n'est dans la parole de
l'autre.
J'ai accepté sa proposition en complétant la métaphore avec la parole
princesses, un titre qui évoque les reines mayas, leur destin tragique et
celui de leur peuple, pour désigner les filles des rues, rabaissées,
humiliées, maltraitées, plus encore que leurs compagnons d'infortune et
souligner la délicatesse de leurs sentiments, la profondeur de leur vie
intérieure, leur supériorité humaine et morale sur tous ceux qui les
méprisent.
Beaucoup de publications sur les enfants des rues soulignent surtout les
aspects négatifs de leur existence: la faim, le froid, les maladies, les
humiliations, les souffrances, les violences, la mort, la haine. Mais les
présenter seulement comme victimes des injustices sociales ne permet pas de
comprendre ce qu'est leur vie ni de respecter leur dignité de personnes
capables de survivre dans un monde ennemi sans étouffer sentiments,
émotions, dignité personnelle et vie intérieure d'une surprenante richesse.
Les décrire comme des victimes pitoyables peut favoriser des oeuvres de
charité qui ne respectent pas leur autonomie, leurs capacités, leurs
projets, leur possibilité de participer à la construction d'un monde plus
humain.
Ce livre donne la parole aux filles et aux garçons des rues parce que eux
seuls peuvent nous ouvrir la porte de leur monde intérieur et nous faire
comprendre le vécu de la rue qui n'est pas seulement violence mais aussi
maison, famille, amitié, amour, solidarité, fête, liberté. Les cinquante-
neuf filles et garçons qui m'ont raconté l'histoire de leur vie sont les
auteurs principaux de ce livre et, avec eux, tous les autres avec lesquels
j'ai vécu et parlé lors de quatre séjours au Guatemala en 1993 et 1994.
La partie centrale, la plus importante de ce livre, présente une
sélection des témoignages que j'ai recueillis. Dans la première partie, je
retrace brièvement les étapes principales de l'histoire du Guatemala en me
plaçant au point de vue des opprimés et j'explique la méthode de la
recherche. Dans la troisième partie, j'essaie de comprendre pourquoi et
comment des filles et des garçons décident de vivre dans les rues.
En 1993, Mirna Mack, ethnologue de l'institut de recherches sociales
AVANCSO, fut assassinée par des agents des services de sécurité,
probablement, parce que son travail favorisait une solution non violente
aux problèmes des populations qui avaient dû abandonner leurs terres à
cause de l'offensive de l'armée contre les peuples indigènes. Mirna fut
égorgée sur le seuil de son Institut, comme si l'on avait voulu signifier
par là que la recherche doit être anéantie quand elle est au service des
opprimés. C'est pourquoi, j'ai jugé bon de ne pas citer les personnes qui
ont accepté de parler avec moi, d'autant plus que beaucoup d'entre elles
avaient déjà reçu des menaces de mort. Je ne mentionnerai pas non plus les
noms des filles et des garçons qui m'ont raconté leur histoire et je
supprimerai les informations qui permettraient de les identifier, non
seulement pour ne pas les exposer à des représailles, mais aussi par
respect pour leurs confidences.
J'exprime ma gratitude à tous ceux qui m'ont aidé à réaliser ce travail,
en particulier les éducateurs de "Casa Alianza", de Solo para Mujeres et de
Nuestros Derechos, la direction de Casa Alianza pour l'hospitalité et les
moyens de transport lors de mon premier séjour, Jacques Hanon qui a relu le
manuscrit français, et particulièrement les filles et les garçons qui ont
accepté de parler avec moi, qui m'ont guidé dans les rues de leur ville,
qui m'ont permis de vivre avec eux et m'ont donné un des cadeaux les plus
beaux que j'aie reçus dans mon existence, leur am