Bernard BILLAUDOT - Pekea-fr

... démocratie, l'une et l'autre se renforçant mutuellement » (Fitoussi, 2004 : 44).
.... dont parle Hannah Arendt (1991), n'est autre que l'exercice de la démocratie.
...... moyens de satisfaire ses besoins matériels » (1986 : 21, souligné et corrigé [
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Billaudot, Bernard, Mr, Acad, Political Economy, France, Grenoble,
"Économique, justification marchande et démocratie"- P4 Bernard BILLAUDOT, LEPII-CNRS-UPMF-Grenoble*
Nouvelle version du texte écrit de la communication, suite à la tenue du
colloque. La version de la communication orale peut être également téléchargée :
http://fr.pekea-fr.org/Rennes/T-C-Billaudot.doc
Résumé Pour comprendre les rapports entre l'économie et la démocratie et la place
qu'y occupe l'éthique, on doit disposer d'une vision de la modernité.
L'objet de cette communication est, après avoir justifié la nécessité de
ne pas s'en tenir aux acquis en la matière, d'en proposer une en conjuguant
les apports de Marx (vision historique), de Weber (signification), de
Commons (action collective instituante d'un ordre), de Giddens (pouvoir,
règles/ressources) et de Boltanski et Thevenot (justification commune). On
laisse de côté la représentation traditionnelle qui consiste à associer la
modernité au couplage de deux modes de coordination extérieurs l'un à
l'autre - le marché et l'Etat -, ainsi que sa nouvelle version généralisant
la notion de marché et concevant alors l'Etat comme un marché politique.
Comme Marx, on considère que l'avènement de la modernité se caractérise par
le take off de deux ordres - l'économique et le politique. Mais on s'écarte
totalement de son idée selon laquelle le premier serait au fondement du
second. On retient que ces deux ordres s'autonomisent conjointement en
raison de la mise en place d'un couplage cohérent de l'institution de la
monnaie et de la citoyenneté sous l'égide d'un droit dépersonnalisé. La
citoyenneté impose que les règles sociales qui président à la réalisation
des activités humaines (économiques, politiques ou autres) soient
justifiées à la suite d'un débat qui précède leur institution. On associe
le concept de démocratie à la reconnaissance du fait qu'il y a une
pluralité de principes permettant de justifier que telle règle répond au
bien commun de tous (à l'intérêt général). Le droit - la justification en
droit - est la solution de règlement de ces disputes entre principes de
justification commune irréductibles à un super principe. En ce sens, les
règles de droit sont des compromis politiques au sens de Hannah Arendt. Le
marché (le marchand, si on préfère) est alors défini comme un mode idéal-
typique de règlement des conflits de prétentions : la justification procède
alors uniquement de la grammaire dont le bien supérieur commun est la
liberté. On montre en conclusion que cette vision positive est un cadre
d'intégration des propositions normatives de Rawls et de Sen qui permet de
les rendre opérationnelles face au néolibéralisme qui efface la distinction
classique entre le libéralisme économique et le libéralisme politique et
nie la démocratie en réduisant les solutions de règlement des conflits de
prétentions à la seule logique marchande. * bernard.billaudot@upmf-grenoble.fr
Introduction C'est en tant qu'économiste que je traite des rapports entre la démocratie
et l'économie, en montrant que l'éthique est au c?ur de cette mise en
rapport. L'économiste est, pour moi, celui qui a comme spécialité
d'analyser cet ordre économique qui est présent dans toutes les sociétés
dites modernes et que les pays du Sud construisent lorsqu'ils empruntent la
voie du développement. D'analyser positivement comment cet ordre s'insère
dans la vie sociale d'ensemble, quelles sont les logiques qui peuvent
l'animer et quelle place y tient la démocratie. Il n'a pas, pour ce faire,
à présupposer que l'homme agirait en visant une fin propre (intérêt
personnel), en adaptant au mieux les moyens disponibles à cette fin, en
considérant que cette fin est séparable de ces moyens (ce sont des moyens à
usages alternatifs) et sans se poser de questions sur la validité de ces
moyens. Autrement dit, je considère que cette analyse ne doit pas être
réalisée en dotant a priori l'homme d'une telle rationalité, dite
instrumentale parce que l'autre y est pris comme un simple instrument et
que toute considération éthique en a été évacuée. En effet, s'il est tout à
fait possible que certains actes relèvent essentiellement d'une telle
rationalité, beaucoup intègrent une attention à l'autre (si ce n'est le
désir de satisfaire l'un de ses désirs) ou sont dictés par des valeurs. Et,
même dans le cas où la rationalité à l'?uvre est instrumentale, on ne doit
pas se donner au départ les préférences et les croyances en lesquelles elle
se décline : on doit chercher à comprendre comment les unes et les autres
se forment socialement. Je présente d'abord l'objet de ma communication, la démarche retenue pour
répondre à cet objet et les principales conclusions auxquelles conduit
cette démarche (I). Je reprends ensuite quelques moments et concepts clés
de l'argumentation (II).
I. Présentation générale 1. Deux propositions sont couramment avancées dans le débat actuel entre
économistes concernant les liens entre l'économie et la démocratie. La
première procède d'une prise de distance vis-à-vis de la théorie pure des
économies de marché, théorie selon laquelle « le marché [...] n'est
compatible avec aucun régime politique, aucune forme de gouvernement, ni la
démocratie, ni l'oligarchie, ni la dictature » (Arrow[1]) ; en
reconnaissant l'existence de failles du marché (asymétries d'information,
externalités, biens publics, monopoles naturels), cette première
proposition défend l'idée « d'une complémentarité entre économie de marché
et démocratie, l'une et l'autre se renforçant mutuellement » (Fitoussi,
2004 : 44). La seconde se résume en disant que le marché n'est pas
compatible avec la démocratie ; l'argumentaire développé est peu ou prou
celui de Polanyi (1983) selon lequel toute tentative de construire une
société de marché, de faire du marché le seul principe de socialisation,
tue la société. Ceux qui défendent l'une ou l'autre de ces propositions considèrent assez
généralement qu'elles sont antagoniques, en confondant alors le marché et
l'économie de marché. Cette communication a pour principal objet de monter
que ces deux propositions peuvent être toutes deux défendues parce que
cette confusion n'est pas de mise. Cela n'est possible qu'en se dotant
d'une vision renouvelée de la société moderne - une vision qui se
différencie des deux visions qui sous-tendent les propositions que l'on
vient de présenter, donc une vision qui ne part ni du marché, ni du
capitalisme. 2. Ce propos est voisin de celui qu'Alain Caillé développe dans « Dé-penser
l'économique » (2005), dans la mesure où les deux propos procèdent d'une
même démarche visant à sortir de la science économique pour penser
l'économique moderne. Mais il s'en distingue sur quelques points tout à
fait essentiels : il ne propose pas les mêmes conceptualisations du marché
et du politique. En effet, pour Caillé, sortir de la science économique
consiste à soustraire l'économique « au monopole des économistes pour le
placer sous les regards croisés de l'anthropologie, de l'histoire, de la
philosophie et de la sociologie », sa conclusion étant qu' « au bout du
compte l'économique se trouve ainsi replacé dans la perspective du
politique »[2]. En sortir signifie pour moi développer une analyse
unidisciplinaire qui soit à même de penser conjointement l'économique et le
politique de la société moderne, sans tomber alors dans l'un des deux
travers préjudiciables à sa compréhension ; à savoir, soit réduire la
démocratie à un système d'organisation du politique comme le font
conjointement les deux propositions initialement énoncées, soit placer le
politique au dessus de l'économique moderne comme le fait Caillé, me semble-
t-il, sans donner alors de place distincte à l'éthique. C'est l'hypothèse
d'un côte à côte qui est défendue ici, mais différemment de ce qu'il en est
chez Baechler (1995). 3. La question centrale traitée est celle de l'ordre : je retiens que
l'économique et le politique sont des ordres en modernité, plus précisément
des ordres partiels en lesquels se fractionne une société territorialisée.
Je m'écarte de l'idée qu'un ordre se définirait par une logique propre[3]. La signification de Weber (1995) est d'abord mobilisée : l'homme est à même
de communiquer un sens à chacune de ses activités. L'économique est alors
défini comme étant le domaine des activités dont la signification est
exprimée dans le langage de la monnaie et le politique, le domaine des
activités dont la signification est exprimée dans le langage de la
citoyenneté. Ces deux domaines s'autonomisent conjointement avec la
dépersonnalisation de ces deux institutions fondamentales - la monnaie et
la citoyenneté - qui s'adossent l'une à l'autre et sont rendues compatibles
sous l'égide du droit[4]. Une activité qui est économique n'est pas
politique, et réciproquement. Pour autant, beaucoup d'activités ne sont ni
de l'un ni de l'autre de ces domaines. Ainsi défini, l'économique est la
seule manifestation institutionnellement identifiée dans la société moderne
de l'économie en général - ce que Polanyi appelle l'économie substantielle.
Il s'agit d'un aspect de la vie sociale qui est présent dans tout genre de
société, aspect qui est relatif à la lutte contre la pauvreté et qui est
« marqué par l'enchaînement d'actes de production, de distribution et de
consommation d'objets considérés comme des biens ou des richesses »
(Berthoud, 2002 : 9). Les formules triadiques de Commons (1934),