Un violon russe - Rachel

Mais l'histoire n'a pas tout fait le mêmesens (c'est le cas de le dire) si vous ..... Un
exercice d'une mélancolie joyeuse : c'est revenir aux certitudes du début, aux ......
allergique à l'inoffensif, il me fait prouver des délices là à les canons de la ......
doute qui poussait au corps de la pythie quand elle étreignait son chaudron, ...

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Henry Gréville Un violon russe
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Henry Gréville Un violon russe
roman La Bibliothèque électronique du Québec
Collection À tous les vents
Volume 1120 : version 1.0 Henry Gréville, pseudonyme de Alice Marie Céleste Durand née Fleury
(1842-1902), a publié de nombreux romans, des nouvelles, des pièces, de la
poésie ; elle a été à son époque un écrivain à succès.
De la même auteure, à la Bibliothèque : Suzanne Normis L'expiation de Savéli Dosia La Niania Idylles Chénerol Un crime La seconde mère Angèle Nikanor Les Koumiassine Cité Ménard Le moulin Frappier Madame de Dreux Clairefontaine
Un violon russe
Édition de référence : Paris, E. Plon, Nourrit et Cie, 1879.
I
Le Père Kouzma, assis devant son bureau de bois blanc, jauni par les
années et orné d'innombrables taches d'encre de toute taille, préparait
laborieusement un sermon pour le premier dimanche de Carême. À cette
époque, comme aujourd'hui d'ailleurs, mais plus encore qu'aujourd'hui, les
prêtres de paroisse en Russie n'abusaient guère des sermons. Cinq ou six
fois par an, tout au plus, ils s'adressaient à leurs ouailles : celles-ci,
debout, la tête basse, recevaient ce supplément d'office divin à peu près
avec la même résignation qu'une ondée au sortir de l'église ; ce devoir
accompli de part et d'autre, c'est avec un soulagement véritable que le
pasteur et les brebis se séparaient amicalement. Qu'importait le dogme à
ces âmes simples, profondément croyantes ; et, d'un autre côté, quelle
habileté ou quelle connaissance du c?ur humain ne faut-il pas pour trouver
ces paroles émues qui vont au c?ur des plus humbles, des moins civilisés,
et qui toucheraient des êtres fatigués par la vie, usés par le travail,
indifférents presque à tout sous le joug du servage, et résignés d'avance à
toutes les calamités ? Ce n'était pas le Père Kouzma qui pouvait trouver de tels accents ; sa
vie s'était écoulée, non à lutter avec les peines journalières, mais à les
subir comme on subit la maladie et la mort ; parfois avec un sourd
mécontentement, souvent avec une résignation bourrue, quelquefois, mais
rarement, avec une sorte de moquerie intérieure. - Tu as beau t'acharner, disait-il au sort, tu ne seras jamais si malin
que moi, qui ai trouvé le moyen, avec de beaux commencements, de diminuer
mes chances de bonheur et de mener une piètre existence. Kouzma Markof s'était marié, comme tous ceux de sa profession, un peu
avant de recevoir les derniers ordres. La règle ecclésiastique veut que le
jeune homme ait dépouillé les premiers troubles, les émotions nouvelles du
mariage, avant de recevoir le complément de son sacerdoce. Il avait épousé
une jeune fille douce, insignifiante de visage et d'esprit, sans énergie
pour le bien ni pour le mal ; de cette union étaient nés cinq enfants, dont
trois seulement avaient survécu. Avec les enfants, les soucis et les
dépenses s'étaient accrus ; la popadia n'avait pas beaucoup d'ordre ; peu à
peu les meubles s'écornèrent, la paille des chaises s'effondra, les rideaux
de calicot eurent de longues déchirures où la main de la femme usée et
lassée ne se pressait pas de faire des reprises ; ce ménage s'assombrit. Le
Père Kouzma prit de temps en temps un peu de consolation sous la forme d'un
verre d'eau-de-vie, et ses idées n'en devinrent pas plus claires ; les
paroissiens, sans le mépriser pour une faiblesse qui nulle part en ce pays
n'est réputée à crime, ne prirent plus la même diligence à le saluer dans
la rue, ni à lui apporter leurs offrandes ; peu à peu la cure de Gradovka,
autrefois réputée comme l'une des meilleures de la province, perdit de sa
splendeur, et retomba au rang d'une cure médiocre. Le Père Kouzma savait cela, et ce n'était pas sans de cruels
déchirements d'amour-propre qu'il avait passé sous les fourches caudines de
cette déchéance ; c'est parce qu'il avait conscience de son abaissement
qu'il avait renoncé à lutter avec le sort. - Je n'ai pas de chance, disait-il, et c'était vrai. Avec une femme active, soigneuse, pleine de courage, la cure fût restée
ce qu'elle était. Mais à qui s'en prendre ? La popadia était ce que Dieu
l'avait faite ; elle n'apportait aucun élément de trouble dans leur
existence ; résignée à toutes les calamités, elle supportait le désordre
aussi bien que la pluie et la fièvre. Tout ce qui la dérangeait se groupait
pour elle dans une même désignation : elle appelait cela des désagréments. - Qu'y faire ? ajoutait-elle, c'est la volonté de Dieu ! Et grâce à ce bel argument, ses enfants avaient des chemises trouées,
son mari des robes graisseuses, elle-même des vêtements effrangés du bas,
élimés du haut ; - sa servante ne lui obéissait point, les repas étaient
détestables, et rien n'allait que de travers, sauf, le samedi soir, la
confection des pains azymes destinés à la messe du lendemain, et toujours
admirablement réussis. Sur ce point seul, la popadia avait gardé son amour-
propre de jeune fille. Le Père Kouzma essayait de faire un sermon avec de vieilles homélies
déjà employées par son prédécesseur, qui avait été en même temps son beau-
père, car il était entré en possession de la cure par le fait de son
mariage avec la fille du titulaire. Ces sortes de transactions se concluent ordinairement à l'amiable, sauf
l'agrément supérieur, qui ne fait défaut que bien rarement et dans des cas
graves ; ils arrangent tout le monde, quand le prêtre n'a pas de fils ou
que ses fils ont choisi une autre carrière, ou encore quand les enfants, ce
qui n'est pas un cas exceptionnel, préfèrent chercher un autre nid. Nul
n'est prophète en son pays ; les paysans pourraient se ressouvenir des
farces enfantines de celui qui vient pour être leur pasteur, et les fils de
prêtres, prêtres eux-mêmes, tentent souvent de se marier à des filles
dotées d'une cure aussi belle que possible. Kouzma n'avait point de souci pour l'avenir de sa cure ; de ses deux
fils, un au moins se sentirait touché par la grâce, ce fait n'était pas
douteux. D'ailleurs, l'aîné, préparé dès l'enfance à entrer dans les
ordres, mordait déjà fort joliment au latin et au slavon ; il connaissait à
la perfection les textes sacrés, et promettait d'obtenir au séminaire
quelque récompense hors ligne. C'était un garçon réfléchi, sérieux, non
sans sa part de gaieté juvénile, bien entendu, mais dont l'esprit rangé
paraissait devoir lui épargner bien des déboires que son père avait connus. - Pourvu qu'il trouve une bonne femme ! soupirait le père en songeant à
la sienne, bonne assurément, mais si peu faite pour le seconder. Les vieilles homélies n'inspiraient point le pasteur d'un troupeau peu
accessible à l'éloquence sacrée ; il referma le cahier jauni, prit sa tête
dans ses mains et se mit à creuser sa pauvre cervelle fatiguée. Le vent d'août battait les vitres avec une petite pluie fine et rageuse
qui s'arrêtait de temps en temps pour reprendre avec plus de force ; le
jour terne et gris n'indiquait pas d'heure, bien que le soleil fût encore
haut sur l'horizon ; mais tant de nuages le cachaient, ce pauvre soleil,
qu'il en avait au moins pour quatre ou cinq jours avant de parvenir à les
percer. L'automne allait venir ; les feuilles jaunies qui se détachaient
des bouleaux et qui venaient se coller aux vitres sous l'effort de la
pluie, parlaient de jours abrégés, de longues soirées tristes, de chemins
boueux et impraticables, de ces trois mois de transition si durs à
supporter avant les belles nuits claires et le franc tapis de neige durcie
de l'hiver encore lointain. Le Père Kouzma frissonna ; la mélancolie de
l'automne précoce le pénétrait jusqu'à la moelle des os. Il se leva et
ouvrit une porte. - Femme, dit-il, il fait triste, prépare-nous du thé. La popadia aimait le thé et son accompagnement naturel de petits pains
et de confitures. Elle courut à la cuisine, et ordonna à la servante de
faire chauffer le samovar. Celle-ci obéit avec empressement. Sur l'espace
immense qu'occupent toutes les Russies, le thé ne laisse personne
indifférent. Réconforté par l'espoir d'une distraction prochaine, le Père Kouzma
retourna à sa table de travail et se mit à feuilleter plus activement ses
livres et ses cahiers. - Que leur dirais-je bien ? murmurait-il. « Sur le détachement des biens
de ce monde ? » Pauvres gens ! ils n'ont guère à quoi s'attacher ; passe
pour les seigneurs, mais ce sont de bons seigneurs, et qui font du bien
tant qu'ils peuvent... Ils ont encore donné un violon à mon plus jeune la
Noël dernière... Cela l'amuse, ce petit, et il n'en joue pas mal pour
quelqu'un qui n'a jamais appris ! « Les preuves de l'existe