Le grand sépulcre blanc - La Bibliothèque électronique du Québec

... Alpha Centaure, nous traînant à sa suite, brille au fond d'un ciel indigo et
lointain. ...... À la mission, c'était l'élève la plus éveillée et la plus intelligente, m'a-t
-on dit. ...... leur torpeur, à respirer au grand air et à prendre un exercice
hygiénique.

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Émile Lavoie Le grand sépulcre blanc
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Émile Lavoie Le grand sépulcre blanc
Roman La Bibliothèque électronique du Québec
Collection Littérature québécoise
Volume 543 : version 1.0 Le grand sépulcre blanc
Numérisation : Wikisource, Projet Québec/Canada. Relecture : Jean-Yves Dupuis. Édition de référence : Éditions Édouard Garand, 1925. « Le roman canadien » Avant-propos
L'auteur ayant passé trois ans dans les régions arctiques et
subarctiques, il a été subjugué par le magnétisme boréal et l'attrait
irrésistible qui s'empare de l'âme de tout homme se lançant à l'assaut de
ce grand sépulcre blanc qu'est le Nord. Pour faire connaître au lecteur canadien cette partie ignorée de notre
vaste Dominion, il a cru devoir lui en donner un aperçu sous forme de
roman... une idylle naïve s'intercalant dans le texte et déroulant ses
péripéties au pays du soleil de minuit et des glaces éternelles... Faisant d'une pierre deux coups, il a voulu lui faire connaître l'âme
naïve, honnête et droite de l'Esquimau, peuple intelligent, affable,
hospitalier et hardi, habitant les régions montagneuses, pittoresques et
tourmentées du Nord. L'auteur.
I Le soleil de minuit
Par bandes les ours blancs seront expiatoires ; L'écume aux dents, lascifs, ils bailleront d'ennui Tandis qu'à l'horizon, au ras des promontoires Brillera, globe d'or, le soleil de minuit. René Chopin.
Minuit ! calme profond ! Silence ! silence éternel, grave,
supraterrestre ! Silence tellement silencieux qu'il vacille ! L'oreille
saisit le bruissement des atomes, de la lumière ! Silence qui n'est pas
sépulcral car il est illuminé, éclairé et vivifié par ce grandiose
spectacle du soleil de minuit. Minuit ! pas une étoile au firmament ! Minuit, et le roi du jour, dans
sa course furibonde vers Alpha Centaure, nous traînant à sa suite, brille
au fond d'un ciel indigo et lointain. À quelques degrés au-dessus de
l'horizon s'étalent paresseusement quelques stratus, nimbés d'or, voguant
vers les chaudes régions du sud, et se colorant d'un reflet pourpre. Une
cascade de lumière douce, langoureuse, tombe de l'orbe céleste, traverse le
détroit de Lancaster, y teinte ses eaux froides de carmin, de safran,
d'onyx. Le miroitement des eaux à peine remuées fait apparaître une mer de
pierreries sur cette mosaïque liquide. Les monts abrupts, de North Devon et
du Nord de l'Île de Baffin, se revêtent de violet foncé, voile sombre, où,
de distance en distance, s'allument, sur leurs sommets de larges éclaircies
d'écarlate, véritables feux d'artifices allumés par les gnomes, ces lutins
capricieux et poétiques des régions arctiques. Au loin s'estompe l'île Cornwallis, masse escarpée de rochers primaires,
s'élevant du sein des eaux, escaladant le ciel de ses trois mille pieds de
hauteur. Vue de cette distance, par un effet de réfraction habituelle aux
pays du Nord, cette élévation est triplée. Ses rugosités et ses aspérités
titanesques sont comme enveloppées d'un voile éthéré, d'une couleur
insaisissable, faisant croire aux reflets d'un deuxième soleil invisible, à
peine disparu à l'horizon. Un silence accablant s'étend sur toute cette région. À cette heure
apaisée de la nuit-jour, ni les cris perçants du stercoraire-longue-queue
et du fulmar, ni les vocalises du bruant, ni le bavardage des milliers de
pluviers, taches noires sur le bleu de la mer, ni le croassement du
corbeau, ni même le gloussement des ptarmigans se disputant les graines et
les lichens de la grève ne troublent cette impondérable quiétude. Pas un
souffle ne ride la surface lisse du détroit. Ne croirait-on pas cette scène
une immense toile, peinte par un artiste-poète préraphaélite dont l'esprit,
dépassant les pouvoirs limités de l'art humain, contemplait jadis en un
rêve fantastique, les enfantements grandioses d'un monde nouveau ? Ce décor, répétition quotidienne de ces millions de changements
kaléidoscopiques du spectre luminaire, se produisant au-dessus de cette
terre labourée par les cataclysmes antédiluviens, a pour cause le soleil,
pour théâtre la combinaison du ciel, des monts, et des eaux, et pour
spectateur habituel, l'Esquimau nomade et phlegmatique, roi et maître de
ces régions. Quel voluptueux cinéma que ces mirages flottants, caressants, fluides et
équivoques, si communs à toute cette région située au nord du pôle
magnétique, pays des glaciers, des mers polaires, des monts altiers, des
vallées profondes et vertes où ne croissent ni arbres ni arbustes, où, en
été l'on jouit du climat décembrien de la Riviera et où les paysages sont
des poèmes vivants, supérieurs aux visions psychiques des romantiques. La main invisible dirigeant notre monde dans sa tangente céleste,
traversée des ellipses et des courbes gravitatoires des astres et des
planètes semés dans l'infini, a voulu que cet infiniment petit mais aussi
infiniment grand qu'est l'homme, fût témoin de cette coordination astrale,
et des déploiements pyrotechniques que la chimie céleste amène sur son
chemin visuel. En cette fin de juillet 1910, un spectateur, seul, perdu au sein de ces
régions désertiques, contemplait, du haut d'un rocher, cet inoubliable
spectacle. Son esprit, son âme, ses sens étaient pris. Fasciné, ses yeux
buvaient les cieux et les monts. Par moments, paupières mi-closes, il
revoyait dans l'obscurité, la réalité apparue, ramassant en faisceau les
impressions diverses subies, les amalgamant à des sensations refroidies, à
toute une gerbe desséchée de v?ux inassouvis, de châteaux écroulés. Ce témoin insoupçonné de millions de mortels, aux traits raffinés, à
l'apparence studieuse, de taille quelque peu au-dessus de la moyenne, était
nonchalamment étendu sur une peau de renne jetée sur un rocher. De cette
méridienne improvisée il contemplait la pompe accompagnant cette course de
l'astre-roi, à minuit. Ses yeux bruns foncés brillaient d'une admiration
extatique. À ses pieds dormait un gros animal blanc, se détachant en
relief, du noir des roches métamorphiques. « Grandiose ! Sublime ! La réalité dépasse mes rêves », dit-il à mi-
voix, tout en regardant sa montre-chronomètre dont les aiguilles pointaient
le midi de la nuit. « Si je ne veux pas perdre la succession des jours, il
va me falloir pointiller chaque date. Mes compagnons du Neptune, maintenant
au large de l'île carbonifère et basse de Melville, n'ont certainement pas
eu un spectacle semblable, quelque puisse être leur position. » Monologuant, il lève sa jumelle à ses yeux, embrasse l'horizon d'un
regard circulaire, observant plus particulièrement l'Ouest afin d'y
découvrir une voile, le « Neptune », navire du gouvernement canadien
patrouillant les mers arctiques et prenant possession des nombreuses îles
de cet archipel au nom du Canada. Ne voyant rien apparaître, il se met à
observer le ciel dont les couleurs vives s'estompaient de plus en plus. À
ce moment un amas de cumuli vaporeux, aux formes les plus hardies et les
plus fantasmagoriques s'est formé en faisceau à quelques degrés de
l'horizon, juste au-dessous du soleil de sorte qu'ils lui font un trône aux
contours les plus variés. « Un tel déploiement extra-terrestre, ce silence profond, cette
cinématographie aérienne, ne seraient-ce le calme précédent la venue des
anges sonnant la trompette du jugement dernier ? Je suis dans l'attente ! »
Cette réflexion le fit sourire. Réminiscences poétiques d'un c?ur sensible
car le doute, tourmentait son âme, doute philosophique, doute dogmatique
plus ancré que jamais en lui depuis son passage à l'Université de Toronto,
où, dans le cours scientifique l'on tentait de tout prouver par le Science,
aboutissant à des résultats plutôt négatifs. Son âme latine était trop
imprégnée de mysticisme religieux, pour ne pas réagir contre le
matérialisme anglo-saxon et la ténébreuse philosophie germaine dont il
avait essayé d'approfondir les problèmes. En face de lui-même devant ce
spectacle incomparable, il sentit son cynisme fondre et la foi confiante du
jeune âge renaître, illuminée par la vie et la lumière céleste enveloppant
mers, monts et vaux, tandis que le grand silence qui l'enrobait semblait
être l'adoration muette et respectueuse de la terre à son créateur. Il
naissait à une vie nouvelle. Des réminiscences de ses poètes favoris, la
Genèse de la création, son enfance calme, dans un hameau perdu de la
Gaspésie, - que d'autres visions encore ! - lui apparurent. Ce fut pour lui
l'un de ces arrêts dans la vie, arrêt inconscient dont tout homme a un jour
savouré le calme et le repos dans cet oubli incontrôlable du présent, cette
sensation d'être entraîné fatidiquement vers un but indéterminé. Oublié le
matérialisme terrien ! Évaporé la poursuite de la gloire et des richesses !
Qu'importe l'excruciante fatalité du « primo vivere