Faux-semblants - BookFi

chamois m. isard, sarri. champ m. pèça f., camp ...... exercice m. exercici. exhaler
v. aulorejar, flairar ...... marcheur -euse mf. caminaire -aira. Marciac t. Marciac.

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Jeff Abbott







Faux-semblants

Traduit de l'anglais (États-Unis)
par Simon Baril







[pic]



Le
Cherche
Midi





Ouvrage réalisé sous la direction éditoriale de Roland Brénin
Titre original : A Kiss Gone Bad
Éditeur original : Orion Books, London, UK ©Jeff Abbott, 2004.





















À la mémoire de Patti Stanfield,
qui aimait tant la mer et aimait tant rire.








Remerciements

Durant l'écriture de ce roman, j'ai pu compter sur l'aide précieuse et
l'expertise savante de nombreuses personnes : Peter Ginsberg, Joe Pittman,
Genny Ostertag, Carolyn Nichols et John Paine ; Mindy Reed ; Joe Stanfield,
George Creagh et Asa Yeamans ; Mike South.
Je tiens à remercier tout particulièrement l'honorable Nancy Pomykal,
juge de paix du comté de Calhoun, au Texas ; l'honorable Patrick Daly, juge
de paix du comté d'Aransas, au Texas ; le commissaire Tim Jayroe et
l'inspecteur Mark Gilliam, de la police de Rockport, au Texas.















Comment même les plus petits villages se débrouillent pour faire leur
quota, afin qu'il y ait suffisamment de maires, d'idiots, d'assassins et de
putes... cela relève du mystère.
John D. MacDonald
A Deadly Shade of Gold






1

Quand le Saigneur (le surnom secret qu'il s'était donné) avait le
cafard, il aimait aller se détendre à l'arrière de la vieille maison en
bois couverte d'échardes, là où ses trois chéries étaient enterrées, pour
sentir la force de leurs vies disparues vibrer en lui. Une tranquillité
parfaite régnait à l'ombre des chênes et, les soirs de solitude, le
Saigneur s'imaginait que ses chéries partageaient son existence : il
écoutait leurs cris et leurs supplications, plongeait son regard dans leurs
yeux emplis de larmes et de terreur. Son royaume était petit - six mètres
sur six - et il ne régnait que sur trois sujets, des femmes, mais elles lui
appartenaient entièrement, vie, corps et âme.
Ce soir-là, tandis que son magnétophone portatif passait une cassette
usée des Beach Boys et que les harmonies claires de God Only Knows
s'élevaient entre les branches des chênes, il s'assit entre deux des trois
sépultures anonymes. D'un côté, la jeune rouquine qui venait de Louisiane :
une sacrée grande gueule qui s'était battue comme une tigresse. De l'autre,
la fille de Brownsville, celle qui n'arrêtait pas de pleurer et méritait à
peine son statut de chérie. Il avait trouvé une nouvelle chérie, et de
premier choix. Mais la peur donnait un goût de fumée à sa salive, parce
qu'il n'avait jamais courtisé quiconque près de Port Léo, et encore moins
quelqu'un de... célèbre.
Hier, au supermarché, il l'avait suivie pendant une dizaine de minutes.
Un frisson lui chatouillait les côtes ; il flânait près d'elle pendant
qu'elle remplissait son caddie en compagnie de son petit ami, le grand
costaud qui l'avait amenée à Port Léo. Le Saigneur n'aimait pas le petit
ami, Pete, pas du tout - mais il aimait penser à ces saloperies auxquelles
s'était livré Pete dans des films pornos. Le Saigneur avait tendu l'oreille
dans le magasin, en faisant semblant d'examiner les vins tandis que le
couple choisissait sa bière. Elle préférait la mexicaine, celle que les
gens boivent avec une rondelle de citron coincée dans le goulot de la
bouteille. Il aurait voulu savoir quel goût ça avait, mais Maman ne le
laissait pas boire. Le Saigneur avait espéré qu'ils parlent de sexe, vu que
c'était leur profession, mais Pete et sa chérie bavassaient sur les
crevettes grillées, l'automne pluvieux et l'ex-femme de Pete, une chieuse
de première qui leur pourrissait la vie.
La voix de sa chérie semblait crispée, impatiente. « J'en ai marre
qu'on ne puisse pas se balader peinards dans cette ville et que ces
connards passent leur temps à te faire chier. Allons à Houston l'écrire,
ton film. Faut qu'on opte pour le plan B, un point c'est tout. » Sa chérie
préparait un film ici, à Port Léo ? La gorge du Saigneur se contracta de
désir. Mais le petit ami murmura qu'il n'était pas d'accord. « Bon sang,
laisse tomber cette histoire avec ton frère », répliqua-t-elle.
La délicieuse angoisse qu'il ressentait à être si près d'elle se mua
tout d'un coup en terreur. Il prit une bouteille de cabernet bon marché et
se précipita vers les caisses, où des ribambelles de nouveaux « Texans
d'hiver » - ceux qui ne s'installaient dans l'État que pour échapper au
froid - congestionnaient les files d'attente. Il se réfugia dans le rayon
des céréales, cacha le vin derrière des boîtes de Cheerios et attendit que
sa chérie et son copain sortent du magasin avant de bouger.
Ils ne l'avaient pas vu, n'avaient pas fait attention à lui.
Pete écrivait un film ? Il n'imaginait pas que les films de ces deux-là
puissent nécessiter le moindre scénario. Ne fallait-il pas juste mettre la
caméra en place, grimper sur le lit et se livrer à des contorsions et
gémissements aussi sincères que ceux des catcheurs professionnels ?
La semaine dernière, après avoir appris que sa prochaine chérie faisait
des films d'un genre extrêmement douteux, il était allé visiter les sex-
shops de San Antonio, à deux heures de voiture, et ceux de Corpus Christi,
à une cinquantaine de kilomètres. Il évitait soigneusement les quelques
établissements qui se trouvaient trop près de Port Léo, le long de
l'autoroute 35. Il ne retournait jamais régulièrement dans le même magasin.
Il payait avec des billets usés jusqu'à la corde d'être restés trop
longtemps sous le matelas de Maman. Il ne demandait jamais de conseils aux
vendeurs - il ne voulait pas qu'on se souvienne de lui - et essayait de
passer inaperçu parmi les hommes sans visage qui se promenaient le long des
allées à l'éclairage trop vif. Rien ne le distinguait : un solitaire de
plus parmi tous ces types qui n'avaient d'yeux que pour les formes
généreuses des filles sur les jaquettes des vidéos.
Il avait découvert qu'elle n'avait joué que dans très peu de films,
mais qu'elle en avait réalisé beaucoup. Il était presque fier d'elle. Lors
de sa dernière virée, il avait acheté une cassette dénichée dans le bac des
promos, un film qui avait cinq ans et dont elle était la vedette. C'était
sa dernière performance devant la caméra. Elle s'était choisi un pseudo
qu'il trouvait complètement ringard : Velvet Mojo. Le titre de la vidéo, La
Poste en délire, lui avait fait imaginer une satire dudit service public.
Peut-être même une satire délicieusement sadique. Mais le film le déçut :
pas de violence. Et bien que sa chérie ait plus d'un tour érotique dans son
sac postal - quand elle collait des timbres, c'était sa langue à lui qui
s'asséchait -, elle ne passait à l'acte qu'avec son ami Pete, ce qui
semblait presque... malsain. Le Saigneur les regarda s'accoupler à
plusieurs reprises jusqu'à ce que les contours de l'écran se brouillent et
que son esprit s'assoupisse. Il entendit Maman lancer un juron. À son
réveil, il se sentait abruti et choqué. Sa chérie méritait de reposer
auprès de lui.
Il pouvait la sauver de toute cette saleté. Et il le ferait.
Le petit espace ombragé sous les vieux chênes penchés lui conviendrait
parfaitement. Mais il ne serait pas aisé de gagner ses faveurs. Courtiser
les autres chéries sans attirer de soupçons n'avait pas posé problème. La
Louisiane, Brownsville, Laredo - ces endroits étaient éloignés. Tandis
qu'elle, elle ne se trouvait qu'à un ou deux kilomètres. Il lui fallait
être patient. Il ne pourrait pas profiter d'elle tout de suite, il devrait
attendre quelques jours. Sa faim grandissait ; il imaginait ses lèvres
tachetées de sang, au goût de cuivre et de fraise.
Le Saigneur se leva avec détermination. Elle serait sienne. Mais
d'abord, il devait s'assurer que personne ne s'inquiéterait de sa
disparition.



2

La sonnerie du téléphone réveilla l'honorable Whit Mosley à vingt-deux
heures trente, le tirant brutalement d'un rêve où se mêlaient affiches de
campagne, jargon juridique incompréhensible et sa belle-mère en chemise de
nuit quasi transparente. Il marmonna un juron avant de décrocher le
combiné :
« Juge Mosley à l'appareil, grogna-t-il.
- Agent de police Bill Fox, monsieur le juge. Désolé de vous réveiller,
Votre Honneur, mais on a un décès à vous faire certifier. »
Whit se redressa sur son lit.
« Où ça ?
- À la marina du Golden Gulf. »
Whit cligna des yeux et s'étira. C'était la marina des riches de Port
Léo - aucun bateau ne faisait moins de quinze mètres.
« Vous avez identifié le corps ?
- D'après le permis de conduire, il s'agirait d'un certain Peter James
Hubble. »
L'estomac de Whit se noua. Nom de Dieu !
Fox interpréta son silence comme une invitation à fournir des détails.
« Une jeune femme est arrivée vers vingt-deux heures. Elle a trouvé le
type mort. Une balle en plein visage. »
Voilà qui promettait de gros titres particulièrement scabreux, et dans
tous les quotidiens du Texas.
« OK, je suis là dans quelques minutes. » Whit se leva, faisant tomber
un livre du lit. Il s'était endormi en tentant de persévérer dans sa
lecture du Code civil de l'État du Texas, le