Mémoires en forme de lettres - Abbaye de Tamié

Les numéros de pages du manuscrit ont été indiqués entre crochets, ex. ..... sous
le gouvernement de Dom Augustin de l'Etrange[3] qu'au moment où j'y suis ....
Lorsqu'il était au monastère, il en suivait exactement tous les exercices. ..... 4
religieux profès, deux novices, 4 convers et 2 frères donnés furent aussitôt
choisis ...

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Mémoires en forme de lettres

pour servir à l'histoire de la Réforme de la Trappe
établie par le Révérend dom Augustin
ci-devant religieux et maître des novices
au monastère de la Trappe en France
réfugié à l'époque de la révolution dans la chartreuse
de la Valsainte au canton de Fribourg en Suisse
avec une douzaine de religieux du dit monastère

Par un religieux qui a vécu quinze ans dans la réforme

Présentation


Le manuscrit des archives de l'abbaye de Tamié, coté Ms 15, se présente
comme un document relié, couverture cartonnée verte, 18 x 24 cm, paginé de
1 à 309, comprenant les Mémoires en forme de lettres et diverses pièces du
même auteur, rédigées à des époques différentes, mais toutes ayant trait à
la période de sa vie où il fut trappiste, de 1794 à 1808.
Les corrections dans le texte sont de la même main. L'écriture et la
signature sont identiques à celles de lettres de Nicolas-Claude Dargnies,
écrites alors que ce dernier était curé de Charmey en 1816, lettres
conservées aux Archives de l'évêché de Fribourg, dossier de la paroisse de
Charmey, pièces 15 et 17. Ces éléments laissent clairement supposer que le
manuscrit de Tamié est l'original.
Des copies se trouvent dans les archives des abbayes de La Trappe et
Thymadeuc ainsi que dans la famille Dargnies à Paris.


























(Notation de la main de dom Alexis Presse, abbé de Tamié qui en a fait
l'acquisition.)

Acheté à Paris chez Legay, 30 janvier 1926, 75 F.

(Document collé sur la page intérieure de la couverture, sans date)

Cet ouvrage a été publié partie en résumé par M. J. GREMAUD dans le
Mémorial de Fribourg Nos de juillet 1856 à septembre 1857 - Fribourg, imp.
J.T. PILLER. L'éditeur note qu'il publie ces mémoires d'après une copie
formant un volume de 259 pages in-4° dont un des cahiers formant les pages
90 à 120 a disparu. Il ajoute : « L'original doit avoir passé entre les
mains des frères de l'auteur et se trouver à Abbeville. »
Il est évident que le volume ci-contre est cet original. La copie dont
s'est servi GREMAUD contenait également "La liste des morts enterrés à La
Valsainte et Réflexion sur la nourriture des religieux".
Après avoir exposé que DARGNIES a dû écrire ces mémoires alors qu'il
était curé de CHARMAY, M. J. GREMAUD ajoute : « Quant à la véracité du
récit, il est un trait du caractère de DARGNIES que nous devons faire
connaître, c'est son penchant à la critique, défaut que lui reprochent ceux
qui l'ont connu. Le lecteur se mettra donc en garde sous ce rapport. »
D'après la préface de l'ouvrage intitulé Odyssée monastique - Dom A. de
Lestrange, il semble qu'une copie des Mémoires de Dargnies se trouve
également à La Grande Trappe.

Signé : illisible

Conventions pour la présente transcription


L'écriture de ce texte n'est pas toujours aisée à déchiffrer mais le
sens ne présente pas de difficulté L'orthographe n'est pas exactement celle
couramment utilisée de nos jours et il y a quelques fantaisies, ex page
[66] : a l'effet d'etre aucthorisé a retirer en valleur réelle ou con
content la somme qui lui appartenoit, ou encore caizercem pour Kaisersheim
. L'orthographe a parfois été corrigée d'une autre encre, par l'auteur.
. La ponctuation, les majuscules, les accents, la césure des mots ont été
rendus selon l'usage actuel : au jour d'huy = aujourd'huy, r'amener
= ramener... Les terminaisons verbales -ois, -oit, -oient... = -ais, -ait,
aient...
. Les abréviations ont été résolues : la Val Ste = La Valsainte ; le
dt = ledit... sauf : RP. = Révérend Père abbé dom Augustin de Lestrange,
revenant treop fréquemment.
. Pour le reste, on s'est tenu aussi proche que possible du texte du
manuscrit.
. Les notes placées en marge du texte manuscrit ont été placées en bas de
page.
. Les numéros de pages du manuscrit ont été indiqués entre crochets, ex. :
[2].
. Les mots mal défrichés sont suivis de ?, ex. (partir ?)
. Les expressions et citations latines ont été traduites et les références
bibliques indiquées en notes.

Première lettre

[1] Il me sera bien difficile, Monsieur, de satisfaire votre curiosité
selon vos désirs : vous voudrier que je vous mette au fait de tout ce qui
s'est passé d'intéressant au monastère de La Valsainte depuis environs 15
ans que j'y ai habité. Il faudrait pour cela que j'eusse tenu un journal
exact de tous les événemens et je n'ai absolument rien écrit. Il faut que
je tire tout de ma mémoire. La vie silentieuse que nous menions,
l'ignorance dans laquelle on nous laissait sur bien des choses qui
pouvaient nous intéresser, la longueur du tems qui s'est écoulé, rien ne
vous promet de trouver dans ma narration une grande exactitude. La plupart
des époques m'ont échapé. Il y a bien des choses dont je n'ai entendu
parler qu'imparfaitement et comme par hasard. Il y en a plus encore que
j'ignore et qui cependant ont une connextion essentielle avec d'autres que
je sais, de manière que mon travail ne peut être que très imparfait. Je ne
laisse cependant pas de l'entreprendre. Comme mon intention est de laisser
après moi quelque chose qui puisse servir à l'histoire de notre réforme en
m'appliquant à la plus exacte vérité, je ne dissimulerai rien de tout ce
que j'ai vue et observé, persuadé que vous saurez tirer parti de tout. Je
perderais à votre égard le titre d'historien véridique si vous pouviez
m'accuser de partialité. Vous trouverer sans doute dans ces mémoires bien
des choses propres à vous édifier, comme vous en trouverer aussi qui vous
feront voir ce que l'expérience vous a déjà suffisament appris, que l'homme
se trouve [2] partout et que le sanctuaire de l'innocence, n'est pas
toujours exempt des faiblesses de l'humanité. Ce sera plus particulièrement
dans ma propre conduite que vous aurez lieu de les observer. Je ne
craindrai cependant pas d'en faire l'aveu, trop heureux si mon exemple peut
un jour être aux autres de quelqu'utilité. En nous laissant le tableau de
ses égaremens, saint Augustin n'a pas été moins utile à l'Eglise que celui
qui nous a donné l'histoire de ses vertus.
Voici à peu près l'ordre que je me propose de suivre dans ma narration.
1° - Les circonstances et les raisons qui m'ont déterminé à entrer à La
Valsainte et l'état où j'ai trouvé cette maison en y arrivant.
2° - Les principeaux évennemens qui y ont eu lieu pendant les cinq
premières années.
3° - L'époque de le révolution franco-hevétique et notre départ.
4° - Notre voyage en Souabe, en Hongrie et en Pologne.
5° - Notre arrivée et notre séjour en Russie.
6° - Notre départ de la Russie et notre voyage jusqu'à Dantzic.
7° - Notre départ de Dantzic et notre séjour à Hambourg.
8° - Mon voyage pour la Westephalie et mon séjour dans la maison de
Darfeld.
9° - Mon retour à La Valsainte.
10° - Tout ce qui s'est passé de particulier pendant quatre ans depuis
notre retour.
11° - Enfin l'histoire de ma sortie du monastère jusqu'aujourd'huy.
Je sens que déjà votre curiosité est picquée par ce petit apperçu. Déjà
vous voudrier que mon entreprise fut terminée. Permetter-moi cependant de
ne point encore entrer en matière aujourd'huy et de me contenter, en
terminant cette lettre, de vous assurer du parfait dévouement avec lequel
je suis...

Seconde lettre

[3] Je ne vous ferai point de détail, Monsieur, des circonstances
malheureuses qui m'ont forcé de m'arracher à une famille chérie et au sein
de laquelle, malgré les terribles et les inquiétudes inséparables d'une
révolution je goûtais le seul véritable bonheur, celui de l'union et de
l'amitié. Mon père, dont j'ai toujours respecté les volontés, me conseilla
de me retirer en Suisse. Son intention était que je m'y établisse, soit en
cherchant quelque place dans l'Eglise, soit en me servant des connaissances
de médecine que mon goût pour cette science m'avait fait acquérir. En
conséquence il n'épargna rien pour m'en faciliter les moyens. Peu content
de m'avoir donné une somme assez considérable, de m'avoir formé une
pacotille des plus honnettes, il m'assura que je pouvais recourir à lui en
toute circonstance. Comme j'étais d'une très mauvaise santé, il me fit
accompagner jusqu'aux frontières par un de mes frères et une de mes s?urs
voulut payer seule les frais du voyage. Tant de bontés réunies me rendirent
encore plus sensible ma séparation qui eut lieu dans le cours de février
1793.
Après un voyage fort pénible à cause de mes infirmités, j'arrivai à
Fribourg en Suisse le 5 avril. Comme la ville était pleine d'émigrés de
tous états et en particulier de prêtres, j'eus beaucoup de peine à trouver
à me loger. J'eusse désiré me placer dans une chambre où il y en eut une
cheminée, afin de me préparer moi-même ce qui m'était nécessaire pour ma
nourriture. Mais quelque recherche que je fisse, la chose ne me fut pas
possible. Il fallut me contenter d'une chambre à fourneau et aller tous les
jours prendre mon repas dans une maison bourgeoise avec plusieurs
ecclésiastiques. Il y a tout lieu de croire que si l'eusse fait mon ménage
moi-même, je me serais fixé dans Fribourg, j'y aurais vécu économiquement,
éloigné de toute compagnie et à la longue je me serais fait une manière [4]
d'exister. Mais la nécessité de vivre avec le monde me mit bientôt dans le
cas de le quitter. J'avais beau éviter de faire société avec qui que ce
fut, j'étais souven