De la Recherche de la vérité (Malebranche)

[14] Mais les hommes ne sont pas seulement confirmés dans leurs erreurs,
quand ... ils en substituent une seconde et une troisième, qu'ils défendent
quelquefois contre ..... et qui même affecte l'obscurité, [40] comme il le témoigne
dans une lettre qu'il a .... On trouve des livres pleins de ces examens ridicules ; et
ce sont ces ...

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De la Recherche de la vérité (Malebranche)


Livre II, partie II



II, II, chap. 1

I : De l'imagination des femmes
II : De celle des hommes
III : De celle des vieillards

[9]
Nous avons donné quelque idée des causes physiques du dérèglement de
l'imagination des hommes dans l'autre partie : nous tâcherons dans celle-ci
de faire quelque application de ces causes aux erreurs les plus générales,
et nous parlerons encore des causes de nos erreurs que l'on peut appeler
morales.
On a pu voir par les choses qu'on a dites dans le chapitre précédent,
que la délicatesse des fibres du cerveau est une des principales causes qui
nous empêchent de pouvoir apporter assez d'application pour découvrir les
vérités un peu cachées.


I : De l'imagination des femmes

I. Cette délicatesse de fibres se rencontre ordinairement dans les
femmes, et c'est ce qui leur donne cette [10] grande intelligence, pour
tout ce qui frappe les sens. C'est aux femmes à décider des modes, à juger
de la langue, à discerner le bon air et les belles manières. Elles ont plus
de science, plus d'habileté et de finesse que les hommes sur ces choses.
Tout ce qui dépend du goût est de leur ressort, mais pour l'ordinaire elles
sont incapables de pénétrer les vérités un peu difficiles à découvrir. Tout
ce qui est abstrait leur est incompréhensible. Elles ne peuvent se servir
de leur imagination pour développer des questions composées, et
embarrassées. Elles ne considèrent que l'écorce des choses ; et leur
imagination n'a point assez de force et d'étendue pour en percer le fond,
et pour en comparer toutes les parties sans se distraire. Une bagatelle est
capable de les détourner : le moindre cri les effraie : le plus petit
mouvement les occupe. Enfin la manière, et non la réalité des choses,
suffit pour remplir toute la capacité de leur esprit : parce que les
moindres objets produisant de grands mouvements dans les fibres délicates
de leur cerveau, elles excitent par une suite nécessaire dans leur âme, des
sentiments assez vifs et assez grands pour l'occuper tout entière.
S'il est certain que cette délicatesse de fibres du cerveau est la
principale cause de tous ces effets, il n'est pas de même certain qu'elle
se rencontre généralement dans toutes les femmes. Ou si elle s'y rencontre,
leurs esprits animaux ont quelquefois une telle proportion avec les fibres
du cerveau, qu'il se trouve des femmes qui ont plus de solidité d'esprit
que quelques hommes. C'est dans un certain tempérament [11] de la grosseur,
et de l'agitation des esprits animaux avec les fibres du cerveau, que
consiste la force de l'esprit, et les femmes ont quelquefois ce juste
tempérament. Il y a des femmes fortes et constantes, et il y a des hommes
faibles et inconstants. Il y a des femmes savantes, des femmes courageuses,
des femmes capables de tout ; et il se trouve au contraire des hommes mous
et efféminés, incapables de rien pénétrer et de rien exécuter. Enfin quand
nous attribuons quelques défauts à un sexe, à certains âges, à certaines
conditions, nous ne l'entendons que pour l'ordinaire, en supposant
toujours, qu'il n'y a point de règle générale sans exception.
Car il ne faut pas s'imaginer, que tous les hommes, ou toutes les femmes
de même âge, ou de même pays, ou de même famille, aient le cerveau de même
constitution. Il est plus à propos de croire, que comme on ne peut trouver
deux visages qui se ressemblent entièrement, on ne peut trouver deux
imaginations tout à fait semblables ; et que tous les hommes, les femmes,
et les enfants ne diffèrent entre eux que du plus et du moins dans la
délicatesse des fibres de leur cerveau. Car de même qu'il ne faut pas
supposer trop vite une identité essentielle entre des choses entre
lesquelles on ne voit point de différence, il ne faut pas mettre aussi des
différences essentielles, où on ne trouve pas [12] de parfaite identité.
Car ce sont là des défauts où l'on tombe ordinairement.
Ce qu'on peut donc dire des fibres du cerveau, c'est que d'ordinaire
elles sont très molles, et très délicates dans les enfants, qu'avec l'âge
elles se durcissent, et se fortifient ; que cependant, la plupart des
femmes, et quelques hommes les ont toute leur vie extrêmement délicates. On
ne saurait rien déterminer davantage. Mais c'est assez parler des femmes et
des enfants : ils ne se mêlent pas de rechercher la vérité, et d'en
instruire les autres : ainsi leurs erreurs ne portent pas beaucoup de
préjudice, car on ne les croit guère dans les choses qu'ils avancent.
Parlons des hommes faits, de ceux dont l'esprit est dans sa force et dans
sa vigueur, et que l'on pourrait croire capables de trouver la vérité, et
de l'enseigner aux autres.



II : De celle des hommes

II. Le temps ordinaire de la plus grande perfection de l'esprit est
depuis trente jusqu'à cinquante ans. Les fibres du cerveau en cet âge ont
acquis pour l'ordinaire une consistance médiocre. Les plaisirs et les
douleurs des sens ne font plus sur nous tant d'impression. De sorte qu'on
n'a plus à se défendre, que des passions violentes qui arrivent rarement,
et desquelles [13] on peut se mettre à couvert, si on en évite avec soin
toutes les occasions. Ainsi l'âme n'étant plus divertie par les choses
sensibles, elle peut contempler facilement la vérité.
Je dis donc, que la solidité et la consistance qui se rencontrent avec
l'âge dans les fibres du cerveau des hommes, fait la solidité et la
consistance de leurs erreurs, s'il est permis de parler ainsi. C'est le
sceau, qui scelle leurs préjugés, et toutes leurs fausses opinions, et qui
les met à couvert de la force de la raison. Enfin autant que cette
constitution des fibres du cerveau est avantageuse aux personnes bien
élevées, autant est-elle désavantageuse à la plus grande partie des hommes,
puisqu'elle confirme les uns et les autres dans les pensées où ils sont.
[14] Mais les hommes ne sont pas seulement confirmés dans leurs erreurs,
quand ils sont venus à l'âge de quarante ou de cinquante ans. Ils sont
encore plus sujets à tomber dans de nouvelles : parce que se croyant alors
capables de juger de tout, comme en effet ils le devraient être, ils
décident avec présomption, et ne consultent que leurs préjugés ; car les
hommes ne raisonnent des choses, que par rapport aux idées qui leur sont le
plus familières. Quand un chimiste veut raisonner de quelque corps naturel,
ses trois principes lui viennent d'abord en l'esprit. Un péripatéticien
pense d'abord aux quatre éléments, et aux quatre premières qualités ; et un
autre philosophe rapporte tout à d'autres principes. Ainsi il ne peut
entrer dans l'esprit d'un homme rien qui ne soit incontinent infecté des
erreurs, auxquels il est sujet, et qui n'en augmente le nombre .
Cette consistance des fibres du cerveau a encore un très mauvais effet,
principalement dans les personnes plus âgées, qui est de les rendre
incapables de méditation. Ils ne peuvent apporter d'attention à la plupart
des choses qu'ils veulent savoir, et ainsi ils ne peuvent pénétrer les
vérités un peu cachées. Ils ne peuvent goûter les sentiments les plus
raisonnables, lorsqu'ils sont appuyés sur des principes qui leur paraissent
nouveaux, quoiqu'ils soient d'ailleurs fort intelligents dans les choses
dont l'âge leur a donné beaucoup d'expérience. Mais tout ce que je dis ici,
ne s'entend que de ceux qui ont passé leur jeunesse, sans faire usage de
leur esprit, et sans s'appliquer.
Pour éclaircir ces choses, il faut savoir que nous ne pouvons apprendre
quoi que ce soit, si nous n'y [15] apportons de l'attention ; et que nous
ne saurions guère être attentifs à quelque chose, si nous ne l'imaginons,
et nous ne la représentons vivement dans notre cerveau. Or, afin que nous
puissions imaginer quelques objets, il est nécessaire que nous fassions
plier quelque partie de notre cerveau, ou que nous lui imprimions quelque
autre mouvement pour pouvoir former les traces, auxquelles sont attachées
les idées, qui nous représentent ces objets. De sorte que si les fibres du
cerveau se sont un peu durcies, elles ne seront capables que de
l'inclination et des mouvements qu'elles auront eus autrefois. Et ainsi
l'âme ne pourra imaginer, ni par conséquent être attentive à ce qu'elle
voulait, mais seulement aux choses qui lui sont familières.
De là il faut conclure, qu'il est très avantageux de s'exercer à méditer
sur toutes sortes de sujets, afin d'acquérir une certaine facilité de
penser ce que l'on veut. Car de même que nous acquérons une grande facilité
de remuer les doigts de nos mains en toutes manières, et avec une très
grande vitesse par le fréquent usage que nous en faisons en jouant des
instruments, ainsi les parties de notre cerveau, dont le mouvement est
nécessaire pour imaginer ce que nous voulons, acquièrent par l'usage une
certaine facilité à se plier, qui fait que l'on imagine les choses que l'on
veut avec beaucoup de facilité, de promptitude, et même de netteté.
Or, le meilleur moyen d'acquérir cette habitude qui fait la principale
différence d'un homme d'esprit d'avec un autre, c'est de s'accoutumer dès
sa jeunesse à chercher la vérité des choses même fort difficiles, parce
[16] qu'en et âge les fibres du cerveau sont capables de toutes sortes
d'inflexions.
Je ne prétends pas néanmoins que cette facilité se puisse acquérir par
ceux qu'on appelle gens d'étude, qui ne s'appliquent qu'à lire sans
méditer, et sans rechercher par eux-mêmes la résolution des questions avant
que de la lire dans le