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... actuelles d'exercice du pouvoir dans les organisations (Courpasson 2000). .....
l'amélioration des conditions de travail, l'évaluation, le management des ..... en
phase avec les préoccupations pratiques de mise en place d'une "GPEC" dans
...... connues des spécialistes de gestion (F. Bourricaud, F. Chazel, M. Cherkaoui
?) ...

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Les fondements de la GRH
LES APPORTS DE LA SOCIOLOGIE
Y.F. Livian
2e version
novembre 2012
Nées dans le giron des sciences économiques, les sciences de gestion se
sont progressivement ouvertes à l'apport d'autres sciences sociales, et
notamment de la sociologie. Le domaine de la GRH était particulièrement
susceptible d'être "aux premières loges" de cette relation, et les
questions relatives aux rapports entre GRH et sociologie sont apparues dès
que la GRH est devenue un sous-champ clairement identifié de la gestion.
Dès le 3e congrès de l'AGRH en 1992, certains auteurs traitaient de ce
sujet (Courpasson, Dany 1992) et dans le 5e congrès en 1994, un symposium
était consacré aux "Sciences sociales et spécificités de la GRH". L'auteur
de ces lignes y proposait quelques pistes de réflexion sur "les relations
de la sociologie des organisations et de la GRH" (Livian 1994). A l'époque,
les apports sociologiques en GRH étaient sporadiques et parfois envisagés
par les spécialistes de la gestion avec réticence. Ceux-ci étaient soucieux
d'affirmer l'indépendance de leur "discipline". C'était d'autant plus
sensible qu'à ce moment certains sociologues s'intéressaient fortement à
l'entreprise (Bernoux 1985, 1995, Segrestin 1992, de Terssac 1993,).
Depuis, des rapprochements ont eu lieu : certains sociologues
participent à des travaux de recherche en gestion, des enseignements de
sociologie (du travail ou des organisations) ont été intégrés à des cursus
de gestion. Dès sa première édition, l' "Encyclopédie des RH" comprend un
sociologue dans son comité de pilotage et sur les 34 chapitres consacrés
aux "grands auteurs", une dizaine portent sur des sociologues. Sur certains
objets de recherche, les intérêts convergent. Mais aussi chacun de leur
côté, les champs de la GRH et de la sociologie s'intéressant à l'emploi et
à l'organisation ont évolué.
Les cadres conceptuels et les méthodologies de recherche bougent
également.
Nous nous proposons, dans ce chapitre, de faire un point actuel sur les
contributions que la sociologie, dans certains de ses champs, peut apporter
à la GRH et sur les rapports que ces deux domaines peuvent entretenir
aujourd'hui[1].
Il va de soi que la sociologie est une discipline très vaste et que ne
seront envisagés ici que certaines de ses approches et certains de ses
objets d'étude, ayant un rapport avec la GRH. Des relations fortes existent
aussi entre la sociologie et le champ du management stratégique, du
comportement organisationnel et surtout de la théorie des organisations,
que nous ne traiterons pas directement ici.
De même, les apports et contributions peuvent être de plusieurs types :
épistémologique (la position du chercheur face à son objet), méthodologique
(les outils d'enquête et les pratiques d'intervention), conceptuel (les
concepts susceptibles d'être utilisés) et technique (le contenu des
résultats sur des objets d'étude communs).
Pour limiter notre ambition, nous ne traiterons pas dans ce chapitre
des aspects méthodologiques, en partie communs à l'ensemble des sciences
sociales ; les apports techniques nous conduiraient à un panorama trop
vaste. Nous aborderons principalement l'apport conceptuel, et,
occasionnellement, l'apport épistémologique, quand les différences de
positionnement face à l'objet apparaissent de manière forte et peuvent
éclairer l'usage qui peut être fait (ou pas fait) de grilles d'analyse
sociologiques.
Nous aborderons deux contributions essentielles : tout d'abord, la
gamme des différentes conceptions de l'acteur que la sociologie nous
propose, ensuite l'analyse du fonctionnement organisationnel qu'elle nous
fournit.
1. Une gamme de conceptions de l'acteur
La GRH ne peut se passer de concepts tentant d'expliquer le
comportement des salariés, et plus largement des acteurs sociaux, face aux
situations de travail dans lesquelles ils se trouvent. L'explication
simpliste de l'économie néo-classique (un individu recherchant un gain
monétaire maximum) a rapidement montré ses limites, même si elle reste
parfois sous des jours apparemment nouveaux, à la base de certaines
théories en gestion, et même de pratiques de GRH (notamment en matière de
rémunération).
La sociologie fournit une gamme de schémas explicatifs très variés,
correspondant à des positions théoriques différentes. Une grande partie des
controverses agitant cette discipline depuis 50 ans tient dans la
confrontation de ces schémas.
Le spécialiste de gestion, et même le praticien, ne peuvent que gagner
à élucider leurs propres hypothèses quant aux mobiles de ceux qui sont
l'objet des politiques et des outils de gestion qu'ils élaborent. La GRH,
si elle veut être autre chose qu'un pur bricolage aléatoire balloté par des
modes, doit se camper sur des cadres conceptuels cohérents : ceux-ci
existent et il importe de les connaître[2].
La gamme des conceptions de l'acteur[3] va, selon les choix théoriques
de chaque courant, du sujet individuel libre à l'agent dominé. Nous les
passerons en vue et en tirerons quelques conclusions quant à la GRH
aujourd'hui.
1. Un individu du rationnel et raisonnable
R. Boudon développe depuis trente ans environ, l'idée selon laquelle la
compréhension des phénomènes sociaux doit partir de l'individu et de ce qui
le pousse à agir[4]. "Il est indispensable de reconstruire les motivations
des individus concernés par le phénomène en question" (Boudon in Birnbaum,
Leca 1991, p. 46). Ces motivations peuvent être de divers ordres, mais il
faut partir du postulat que, "dans la situation qui est la sienne, il avait
de bonnes raisons" de se comporter comme il l'a fait.
Ce principe, il le qualifie "d'actionnisme" (plutôt que d'
"individualisme méthodologique"). Selon Boudon, c'est en s'interrogeant sur
l'action individuelle et ses mobiles qu'on peut comprendre la réalité
sociale.
La rationalité en jeu de cet acteur n'est-elle fondée que sur le calcul
coût/avantage ? Non, il y en a aussi d'autres : une rationalité cognitive
(ce qui paraît vrai à l'individu) ou une rationalité axiologique (ce qui
lui paraît juste).
Renouant avec la tradition de Durkheim et Weber, Boudon insiste sur
l'importance de ce que le sujet croit vrai, comme mobile principal de
l'action humaine. Comment, dès lors, passer de l'individuel au collectif ?
Pour Boudon, toute action sociale est réalisée dans un contexte particulier
constituant un système d'interaction. Ce sont ces interactions qui
produisent des effets "émergents" ou de "composition" (exemple : la crainte
d'insolvabilité des banques pousse des individus à retirer leur argent ; ce
comportement multiplié par des milliers provoque effectivement cette
insolvabilité). Les motivations individuelles s'agrègent et deviennent des
phénomènes sociaux collectifs.
Boudon en vient à proposer une "théorie de la rationalité ordinaire",
"selon laquelle tout acte ou toute croyance (...) sont l'effet de raisons
personnels et impersonnelles, paramétrées par le contexte" (Boudon, 2010
p. 90). La recherche de ce qui fait agir les individus ne doit pas passer
par la recherche de causes occultes, ni par l'opposition entre causes
subjectives et causes objectives.
On peut expliquer "le macro par le micro et le micro par des raisons"
(ibid. p. 84).
R. Boudon est relativement peu cité en sciences de gestion même si
"l'individualisme méthodologique" qu'il défend y est largement répandu.
L'idée d'un individu rationnel "en contexte" est cependant une idée forte,
que de nombreux chercheurs en GRH utilisent sans toujours la fonder
solidement. Pour ceux à qui cette vision convient, un retour à Boudon est
donc toujours fructueux.
2. Un acteur pragmatique adoptant une stratégie
Les apports de M. Crozier et E. Friedberg (1977) sont sans doute parmi
les plus connus et utilisés en sciences de gestion[5]. S'ils constituent
l'un des fondements des théories sociologiques de l'organisation, ils ne
manquent pas non plus d'implications pour les spécialistes de GRH, tant
pour les postulats de base sur lesquels repose cette approche que pour la
grille d'analyse des situations de travail qu'elle propose.
Les auteurs partent du fort degré d'indétermination des organisations.
Même si les facteurs économiques ou technologiques jouent un rôle, ils ne
suffisent pas à façonner l'organisation, qui est toujours une construction
sociale particulière, un cas spécifique à étudier en tant que tel.
Les individus et les groupes qui opèrent au sein de l'organisation sont
contraints par les règles et les procédures, mais savent aussi les adapter
ou les contourner. Ils utilisent les zones non prévisibles de
l'organisation (il y en a toujours, disent les auteurs) pour atteindre des
buts qui sont les leurs. En fonction des problèmes qu'il a à résoudre, des
contraintes mais aussi des opportunités qui s'offrent à lui, l'acteur
organisationnel va déployer une stratégie (consciente ou non) qui est
favorable à ce qu'il pense être ses intérêts. Il est donc avant tout
utilitaire et pragmatique.
Bien entendu, il s'agit des intérêts (matériels mais aussi symboliques)
tels que les acteurs les perçoivent. Cette stratégie est donc "rationnelle"
au sens des "bonnes raisons" qu'il a de l'avoir. Mais il s'agit