la dissertation : consignes et transactions - Apses

Les enseignants de philosophie, pour qui la dissertation constitue un lieu
essentiel de ... de la dissertation et en font autre chose qu'un pur exercice
intellectuel. ... d'évaluer la même copie extraite d'un lot du bac STT de 1996 à
Nantes.

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LA DISSERTATION : CONSIGNES ET TRANSACTIONS
par Patrick Rayou,
maître de conférences, chargé de mission à l'INRP,Hélène Degoy.
professeur de philosophie au lycée Paul Éluard à Saint-Denis (France) DE L'IDÉAL À LA TRANSACTION Les enseignants de philosophie, pour qui la dissertation constitue un
lieu essentiel de pratique de réflexion personnelle cultivée et
problématisée, sont généralement déçus par les devoirs des élèves. Ceux-ci
se présentent en effet souvent comme des montages relevant de logiques
hétérogènes : patchworks d'expérience vécue visant l'authenticité, de
bouts de cours et de citations-références qu'ils font tenir ensemble par
des plans préfabriqués répondant pourtant à toutes les lois formelles
du genre. Faut-il y voir l'expression d'une mauvaise volonté ou d'un
refus de travail de leur part? Connaissent-ils les normes à partir
desquelles ils seront évalués?
La recherche que nous avons menée tend à montrer que la source de
leurs difficultés réside plutôt dans les incertitudes de leur
socialisation au lycée et dans les solutions qu'ils adoptent pour y faire
face (ne sacrifier à l'investissement scolaire que le strict
nécessaire, ne pas déroger aux normes de leur groupe de pairs, préserver
leur personne vécue comme authentique...)1. Cet article voudrait éclairer
quelques aspects des transactions qui, selon nous, s'établissent entre
élèves et enseignants à l'occasion de la dissertation et en font autre
chose qu'un pur exercice intellectuel.
Pour mettre en évidence cette transaction, il a été proposé d'une part
à un jury d'élèves, d'autre part à des professeurs volontaires,
d'évaluer la même copie extraite d'un lot du bac STT de 1996 à Nantes. Le
sujet traité était : " la conviction d'avoir raison fait-elle obstacle
au dialogue? ". Cinquante élèves de séries TL, et soixante-quatre de
STT, STI et STL ont annoté et évalué cinq de ces copies, dont la même que
celle des enseignants, notée 8/20 au baccalauréat. L'expérience a eu
lieu en 1998 au lycée Aragon d'une grande ville de banlieue de la
région parisienne. LES ÉLÈVES CORRECTEURS SUPERPROFS? La consigne donnée était : " Annotez chaque copie (marge et annotation
générale) sans essayer de jouer au prof, mais en essayant de partir de
l'évaluation telle que vous la concevez; attribuez leur une note sur 20;
proposez des critères pour une évaluation juste au bac. " Le tableau ci-
dessous présente les notes attribuées par les élèves des différentes séries
: Note sur
20 Correcteur bac
8
Élèves de TL 2
7
Élèves de TL 3
4,9
Tous élèves de TL
5,6
Élèves de STI 1
2,8
Élèves de STT 8,1
Élèves de STL
5,6
Tous élèves du technique
8,4
Les élèves de TL classent les copies dans le même ordre que le
correcteur du bac, mais notent systématiquement plus bas : cinq points
d'écart pour la meilleure copie et 2,4 de moins pour la copie qui nous
intéresse. Cette sévérité peut dans une certaine mesure être attribuée au
manque de familiarité d'une copie de STT pour des élèves de TL. Mais ils
avaient été avertis de la section concernée, de l'horaire du cours de
philosophie, et dans ce lycée comprenant de nombreuses classes
technologiques, ils ont parmi elles de nombreux camarades. Il faut donc
plutôt expliquer cette sévérité par un " surmoi évaluateur "
particulièrement intransigeant, ayant parfaitement intégré les critères
auxquels doit satisfaire une dissertation, le caractère trop récent de ces
connaissances et l'absence d'expérience de correction ne leur permettant
pas de les relativiser : ils notent comme leurs enseignants noteraient au
bac s'ils ne transigeaient pas. DES CRITÈRES FÉTICHISÉS De même quand il s'agit de mettre en ?uvre leurs critiques à l'égard
de l'évaluation au bac : les jeunes correcteurs reproduisent les façons
d'évaluer dont ils ne peuvent se défaire. Leurs remarques sont d'autant
plus acerbes qu'elles portent sur des aspects formels : orthographe,
organisation des paragraphes, caractère visible du plan... Reviennent
en leitmotiv des formules incantatoires dont on peut se demander si elles
ne cachent pas de véritables incompréhensions fondamentales : par
exemple " pas de problématique " en introduction, mais personne ne
formule un critère explicite pour apprécier une problématique : il doit y
avoir une problématique. Le reproche d'être hors de la philosophie est lui
aussi très récurrent, sans qu'un critère sûr de reconnaissance du
caractère philosophique soit proposé. Classique aussi le reproche de
confondre argument et exemple, sans que la nature de l'argument soit
jamais explicitée; ou de ne pas faire de transition, sans que le rôle des
transitions soit défini. Mais le reproche le plus fréquent est celui du
hors sujet, de façon quasi mécanique souvent, et parfois sans aucun
discernement, ce qui manifeste bien à quel point les obsessions des lycéens
correcteurs rejoignent les paniques des lycéens dissertateurs sur
l'assurance de bien cerner un sujet. Les lycéens correcteurs ressemblent
donc beaucoup à leurs enseignants correcteurs, et ont la plus grande
difficulté à inventer des critères plus objectifs d'évaluation. À lire ces
annotations, on a le sentiment qu'à eux tous, les élèves trouvent dans ces
copies un échantillonnage de tout ce qui peut être reproché en philosophie
: ce qui plutôt que de leur justesse d'appréciation, témoigne par
projection de leurs propres insuffisances et de leur hantise à ne pas
maîtriser ce dont ils savent si bien déceler les lacunes chez les autres.
Les annotations positives sont très rares, et elles n'amènent pas
toujours leurs auteurs à creuser des écarts de notes avec les copies
aux défauts incriminés, soit que ces défauts recouvrent et annulent l'effet
des qualités parfois décelées, soit que les élèves correcteurs, à
l'instar de leurs enseignants en jurys de bac, se laissent emporter par
un pessimisme ambiant du genre : " tout fout le camp, il n'y a plus de
dissertation de philo... ". À défaut d'êtres appropriés sous forme
d'exigences intellectuelles, les consignes sont donc parfaitement
connues. LA LOGIQUE DES PAIRS Les élèves du technique évaluent de manière sensiblement différente
que ceux de TL : ils sont en général beaucoup moins sévères, et
également moins sévères que le correcteur du bac, quoique assez proches de
celui-ci : 0,4 de plus à la copie en question. Ils montent plus haut et
descendent moins bas. On peut penser que l'étendue plus étroite de
leurs connaissances en matière de culture philosophique (auteurs et
contenus de cours) leur fait apprécier plus positivement la présence de
références qu'ils ne connaissent pas, et que leur maîtrise incertaine
de la méthode en dissertation les rend moins critiques à cet égard; de même
on ne trouve pas l'indignation des TL sur les problèmes de forme,
orthographe et correction de langue. Il y a donc une plus grande
proximité entre pairs qui annule l'effet de distance qu'il pouvait y avoir
entre TL et STT. Mais, entre les séries techniques, des différences
significatives apparaissent. Les plus enthousiastes sont naturellement ceux
qui sont le plus en difficulté à l'écrit en général (et pas seulement en
dissertation) : ceux de STI, avec qui la relation est moins de parité
qu'avec les STT. A cette copie permettant d'accéder tout juste à l'oral en
STT et notée à cinq en STL, les STI accordent une large mention AB.
L'absence de références à des copies meilleures relativise évidemment
l'exercice, mais l'effet de filière joue ici au maximum, ainsi que la
dévalorisation qui affecte les élèves des séries STI à leurs propres yeux.
Connaissant mieux les difficultés surmontées ils font aussi beaucoup de
compliments, et souvent sur des qualités inverses aux défauts objectés par
les précédents : " beaucoup d'informations et de connaissances, visibilité
du travail, bonne présentation et structuration, sujet compris et réflexion
pertinente ". Les STT sont ceux qui ont évalué comme le correcteur du bac :
on peut donc penser qu'ils connaissent de façon réaliste la manière dont
ils sont attendus au bac et qu'ils s'y conforment dans leurs propres
critères. Leurs appréciations sont plus nuancées, ils sont plus attentifs
aux qualités et aux défauts qui peuvent se côtoyer dans un même devoir.
Les STL sont ceux qui ont été les plus sévères, sans doute parce que
ce sont les élèves les plus en réussite dans leur filière, et qu'ils
maîtrisent mieux la méthode de la dissertation. On peut cependant remarquer
leur valorisation fréquente du cours et des connaissances, le peu
d'importance accordée aux problèmes de langue (avec lesquels ils ont
eux aussi maille à partir) ainsi que l'absence totale du critère nommé par
les TL " philosophique " : ces élèves ne doutent jamais de la nature
philosophique des devoirs en question. Une copie qui ne mérit