L'?uvre de Desportes et la poésie chrétienne contemporaine - Hal

J'ai longuement tourné autour de la question de l'ethnicité avant d'entreprendre
de l'attaquer de front et d'en faire la matière d'un livre. ...... du lien qui en résulte :
bien plus qu'une coordination d'intérêts, l'assimilation inclut un lien civil, un lien
affectif et mémoriel, une solidarité qui gage l'exercice des libertés politiques.

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Article publié dans Philippe Desportes, poète profane, poète sacré, actes
du colloque de Chartres, 14-16 septembre 2006, études réunies par
Bruno Petey-Girard et François Rouget, Paris, Champion, 2008, p. 261-292. La poésie de la grâce en débat.
Lectures et réécritures confessionnelles des poèmes chrétiens de
Ph. Desportes (fin du xvie siècle - début du xviie siècle)
Nous proposons de mener une enquête sur la fortune immédiate des
poèmes chrétiens de Philippe Desportes, dans le registre de la poésie
chrétienne, à partir de l'étude de leur circulation éditoriale et
textuelle. Pour ce faire, nous repérerons la reprise intégrale de ses
poèmes en anthologies ainsi que les formes de citations partielles et de
paraphrases imitatives chez d'autres poètes, dans le cadre de la poésie
dite chrétienne. Le relevé des reprises de poèmes de Desportes nous
introduit ainsi à la réception, à la lecture, à l'interprétation qui ont
été faites de ses poèmes par les poètes de son temps.
Cette forme de réception des poèmes de Desportes soulève en effet la
question de l'autorité religieuse accordée au poète dans le domaine du
discours chrétien, en particulier celle de Desportes pour ses éditeurs et
imitateurs, et celle de ses émules. Ainsi, peut-on restituer la lecture
religieuse, confessionnelle et fidéiste, qui a pu être faite des poèmes
chrétiens de Desportes ? Quel est l'espace d'invention énonciative ouvert
au poète chrétien ou que le poète s'autorise, par rapport au discours
chrétien dont il hérite (par exemple, textes canoniques fondateurs,
tradition ecclésiale, magistère des autorités religieuses contemporaines) ?
Quel est le statut du poète, auteur de poèmes chrétiens, à la fois par
rapport au corps de doctrine de l'Église à laquelle il adhère et par
rapport aux normes de la « poésie française » tels que le poète de cour -
Ph. Desportes - les représente temporairement ?
Pour définir quels poèmes relèvent de la « poésie chrétienne » chez
Desportes, nous nous appuyons sur l'identification de ce corpus par
Desportes lui-même à partir de l'édition de 1577 de ses Premières ?uvres
(Paris, Mamert Patisson). Procédant à un remaniement éditorial, le poète
fait apparaître une nouvelle section servant de clôture à ses Meslanges,
intitulée « Complainte faicte durant ma maladie & autres ?uvres
chrestiennes ». Les « ?uvres chrétiennes » ainsi distinguées d'?uvres a
priori non chrétiennes, ne relèvent toutefois pas d'une nouvelle veine
poétique. Elles reprennent au contraire des pièces déjà présentes dans la
section rassemblant les poèmes d'inspiration funèbre, les « Epitaphes ».
Desportes amplifie ensuite progressivement la section jusqu'en 1587 (Paris,
Felix Le Mangnier), date à laquelle, aux poèmes strophiques de forme
ouverte et aux sonnets spirituels, il adjoint la traduction de cinq
psaumes. Un remaniement éditorial tardif accentue plus nettement la
frontière entre l'inspiration profane et l'inspiration sainte, lorsqu'à
partir de 1594[1], Desportes sépare sa production en deux volumes : les
pièces des « ?uvres chrestiennes » sont soustraites des Premières ?uvres,
rassemblant les pièces amoureuses et de circonstance, pour figurer
désormais à la suite des Pseaumes. Issus d'une lente genèse éditoriale, les
« poèmes chrétiens » sont donc initialement dépendants de deux registres
poétiques différents, celui du tombeau et celui des amours, et n'acquièrent
qu'une autonomie éditoriale tardive sous l'étiquette d'« ?uvres
chrestiennes »[2].
Plus généralement, pour les poèmes chrétiens des autres auteurs que
nous étudions, nous posons que la poésie chrétienne, dont la définition
générique est des plus incertaine - quels sont les critères de
l'inspiration poétique chrétienne ? Qu'est-ce qu'une poétique païenne ou
profane ? -, est avant tout une construction éditoriale : tout comme
Desportes, les éditeurs et poètes promeuvent des « ?uvres chrétiennes »,
des « prières » ou une « muse chrétienne » et nous considérerons comme
« chrétiennes » les pièces en vers publiées sous ce nom dans les recueils.
Nous commencerons par établir un rapide bilan de la diffusion des
poèmes chrétiens de Desportes à travers leur circulation éditoriale et leur
mise en volume dans les recueils collectifs, afin d'appréhender les cadres
d'une première réception poétique ; nous étudierons ensuite les citations
et paraphrases imitatives de trois poèmes chrétiens de Desportes et les
modalités d'une réception poétique chrétienne par les poètes contemporains.
Tel que nous l'avons posé, le problème du statut de l'énoncé poétique dans
le discours religieux chrétien en général, et du poète dans la poésie et
les Églises, à cette date, concerne l'ensemble de la production de la
« Muse chrétienne », volumineuse pour la période qui nous occupe, et notre
étude voudrait fonctionner comme un échantillon d'analyse. I. Livres d'Heures et « Muse chrétienne », la mise en recueil des pièces
chrétiennes de Desportes Les poèmes chrétiens de Desportes sont sans nul doute lus et
appréciés par ses contemporains. Un rapide bilan permet de préciser leur
diffusion. Ils sont en effet accessibles dans les rééditions annuelles des
Premières ?uvres jusqu'en 1587 - contrôlées ou non par Desportes - et lus
conjointement avec les pièces non religieuses d'inspiration amoureuse.
Indice de leur succès, certaines pièces sont également mises en musique et
circulent dans les recueils d'airs[3]. Enfin, premier témoignage d'une
réception proprement « chrétienne », dont la teneur reste à préciser, ils
sont réédités à partir des années 1580 dans les recueils de la « Muse
chrétienne » qui valident leur statut d'?uvres chrétiennes. Cette mise en
volume et utilisation des poèmes de Desportes par différents éditeurs et
imprimeurs, à une date où Desportes n'a pas commencé son travail de
traduction du psautier et est avant tout un chantre amoureux, signale un
cadre de lecture « chrétien » envisagé pour ces poèmes. À partir des
caractéristiques éditoriales des différents recueils dans lesquels nous
relevons la réédition des pièces chrétiennes de Desportes, peut-on préciser
ce que signifie une réception « chrétienne » de ces poèmes, au plan
religieux, confessionnel, doctrinal et poétique ? Il semble qu'il faille à
cet égard considérer séparément la fortune des différents poèmes de
Desportes. Un succès religieux : l'hymne « Delivre moy, Seigneur ... » Avec la paraphrase française sur le « Libera me, Domine, de morte
aeterna »[4], parue pour la première fois en 1575, Desportes est un
pourvoyeur d'hymne ecclésial, dans la tradition de l'usage poétique
médiéval de l'hymne. Sa traduction vient en effet enrichir les recueils
d'Heures de la Vierge et de prières, publiés dans la lignée de la réforme
romaine tridentine[5]. Le travail poétique de Desportes est repris pour
servir une réorganisation de l'institution religieuse, et le développement
d'une piété ecclésiale à destination des fidèles, autour de la récitation
des heures.
De manière moins nettement cléricale mais toujours ecclésiale, cette
paraphrase est également reprise dans différents recueils de cantiques et
airs pieux, afin de nourrir la dévotion laïque[6]. Une mise en musique ou
du moins une mélodie possible est en général proposée. Toutefois, lors de
ces reprises dans les recueils de cantiques, la frontière confessionnelle
ne compte pas, puisque le « Libera me, Domine » est réédité aussi bien dans
des recueils nettement catholiques comme La Pieuse alouette, éditée par un
jésuite, que protestants, tel que le recueil L'Uranie, voire dans des
recueils de poésie chrétienne dont l'appartenance confessionnelle n'est pas
revendiquée, comme les Cantiques placés sous le patronage de Maisonfleur.
Ces rééditions sont donc significatives de la reconnaissance
religieuse au sens strict dont bénéficie ce poème de Desportes, puisque le
texte est utilisé par les autorités religieuses institutionnelles comme
texte para-liturgique et formulaire de prière. Il accompagne le
développement d'une dévotion laïque en langue française. Les poèmes de Desportes et la vogue de la « Muse chrétienne » Introduisant ses pièces chrétiennes par le genre des Amours ou celui
des Psaumes, Desportes ne revendique pas nettement lui-même une poétique de
la « Muse chrétienne » : c'est l'?uvre d'éditeurs et d'imprimeurs. Il n'est
pas interdit de penser que ces derniers escomptent des profits marchands du
succès que remportent les pièces de Desportes dans les Premières ?uvres.
Dans les recueils de la « Muse chrétienne », si l'accent n'est pas mis en
priorité sur l'usage religieux ou dévot des poèmes, il n'est toutefois ni
écarté ni exclu ; c'est cependant surtout la possibilité d'une « poétique
chrétienne » qui est promue, pour laquelle les pièces du poète de cour
peuvent servir de modèle.
Du côté catholique romain, les « poèmes chrestiens » de Desportes
circulent dans leur totalité. L'ensemble sert en effet de norme ou de noyau
canonique pour l'établissement des deux anthologies que sont L'?uvre
chrestienne de tous les Poëtes François (1581)[7] et La Muse chrestienne
(1582)[8] et leur choix de poèmes chrétiens. Dédiées chacune à un évêque -
signe de leur émission en milieu catholique -, les anthologies mettent en
avant le nom de Desportes dont elles prélèvent l'ensemble des pièces des
« ?uvres chrestiennes » publiées à cette date dans Les Premières ?