pour memoire - Andre Calves

Ce n'est qu'en 1973 que François Joxe s'attella à une nouvelle mise en scène de
... Elle est plus à découvrir comme un exercice de style ou un galop d'essai,
comme le miroir ... Le titre fut ensuite corrigé en ''Progrès''. ...... conséquent : son
histoire tragi-comique, le spectacle du gouvernement de Vichy en pleine déroute.

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AVANT-PROPOS
Arrivé sans trop d'embarras à un âge assez avancé, j'ose enfin me
dire, avec sans doute quelque retard sur la moyenne nationale, qu'il est
grand temps de laisser une trace, même quelconque, même ténue, de mon
passage sur cette « terre brève ». De « raconter ma vie », en somme.
« Ma vie », n'a rien eu d'exceptionnel (au moins jusqu'à présent)
mais, par la force des choses, elle s'est déroulée en même temps que
certains évènements majeurs et souvent regrettables du vingtième siècle -
d'ailleurs « à l'insu de mon plein gré » - dont j'ai été le témoin plus ou
moins conscient.
Des jeunes gens bien sous tous les rapports, devant qui j'évoque
en passant : « les Allemands à Quimper » (pas les touristes, les soldats
de la Wehrmacht), m'avouent qu'ils ont du mal à réaliser aujourd'hui, une
telle incongruité. Cette réaction spontanée et pleine de fraîcheur, me
conforte dans l'idée que mon modeste témoignage pourra contribuer à une
certaine « prise de conscience » de notre belle jeunesse, par le
rétablissement au quotidien de « la vérité historique », trop souvent
malmenée. Je crois devoir de prime abord prévenir charitablement d'éventuels
lecteurs et lectrices, qu'à un âge encore tendre je suis tombé dans un
chaudron trotskyste tout bouillonnant de potion magique. Je ne m'en suis
(heureusement) jamais complètement remis, même si je n'ai pas milité en
continu pendant cinquante ans et plus. Il ne faudra donc pas trop s'étonner
si ma version de certains événements n'est pas toujours conforme à celles
communément admises, voire carrément camouflées. (Que l'on songe un instant
à la formidable machine stalinienne de falsification historique, par
exemple - et à celles qui perdurent encore aujourd'hui dans « le monde
libre » - désormais).
Ken Loach a dit: "Personne ne vit dans le vide, il y a toujours un
contexte politique et social qui donne aux personnages leur propre
conscience ». C'est là une vérité première qui me guidera tout au long de
ce que j'entreprends.
De plus, j'ai la chance d'avoir à ma disposition l'exemple à
suivre de mon ami André Calvès, dit Ned (1920-1996). Dans son
autobiographie « Sans bottes ni médailles », il passe allègrement de son
quotidien militant (ou non), à des événements majeurs auxquels il participa
(ou non aussi). Sa « technique » d'aller-retour entre le narrateur et des
épisodes historiques, reste à mon avis parfaitement incontournable et
permet de dissoudre dans « le creuset de l'Histoire », tout nombrilisme
intempestif. (La plume du polémiste d'une main, le pistolet du F.T.P. de
l'autre, il est pour toujours parmi nous). Je vais donc moi aussi relater à ma façon des évènements qui me
tiennent à c?ur, au hasard de ma petite histoire personnelle et de celles
de mes personnages.
Je suis à peu près conscient que, faute de moyens de toutes
sortes, je me verrai sans doute contraint d'emprunter quelques raccourcis
simplificateurs - que d'aucuns pourront juger simplistes. Mais ce sera
aussi pour moi, l'occasion de vérifier mes vieilles connaissances - et même
peut-être de les rajeunir - de souligner certains faits significatifs
souvent considérés comme secondaires (des « détails » !) mais qui
reflétaient des enjeux soigneusement masqués, et enfin de donner envie à
quelques-uns d'en savoir plus - et mieux.
Une sorte de manie, apparemment incorrigible que je dois avouer et
dont vous vous apercevrez très vite, si ce n'est déjà fait : mon amour
immodéré des guillemets et des italiques. J'adore les citations, les
allusions transparentes - ou opaques ? - les références reprenant des
titres de bouquins, de films ou de chansons qui évoquent souvent (et de la
belle façon) toute une époque, un moment fort, un personnage...etc...C'est
là aussi sans doute une solution de facilité, mais puisque beaucoup
d'autres avant moi ont déjà (presque) tout dit, pourquoi ne pas leur re-
donner la parole ? Il faudra vous y retrouver, ou passer outre, le plus
important étant le sens général d'une histoire, petite ou grande.
J'aborderai obligatoirement et assez brièvement, celle de mes
ancêtres - roture oblige - et précise que ce ne sera pas dans le vain
désir, très mode paraît-il, de « retrouver mes racines » ou autres
fariboles généalogiques, au fond sans grande importance. Pour cela, je
passerai en revue de vénérables clichés, dont j'essaierai d'animer les
personnages. Surtout, j'espère prendre plaisir à me raconter, à retrouver celui
que j'étais autrefois et à faire resurgir ceux et celles qui m'ont
accompagné pendant un bout de chemin.
Pour reprendre le beau titre d'un livre de Maurice Nadeau :
« Grâces leur soient rendues ».
Jean Le Roux LES MORTS RESTAIENT JEUNES
Raconter ma vie, c'est commencer par ma famille, celle que j'ai
connue ou dont j'ai entendu parler. C'est aussi évoquer une autre époque,
avec son quotidien, ses valeurs, ses préjugés, son « climat », totalement
différents de ceux d'aujourd'hui - bref, un autre monde. (Un autre monde
aussi, un monde déjà en partie gommé par le temps et que je raconterai plus
loin : celui où j'ai vécu, avec ses décors chamboulés et ses acteurs
évanouis).
Ma famille, c'était celle de ma mère, exclusivement. Celle de mon
père (mort lui-même quand j'avais trois ans) avait été décimée avant ma
naissance. Il n'en reste que quelques fantômes, figés pour l'éternité sur
des photos sépia qui me regardent gravement, énigmatiques et lointains.
J'ai eu nécessairement un grand-père paternel. D'après le très
vieux livret de famille, il s'appelait Jean Marie (Le Roux). A part ça il
n'en reste rien. Pas une photo, pas la moindre anecdote. Pas le plus petit
indice sur ce qu'il faisait, sur son métier s'il en avait un, ses dates
d'existence, rien ! C'est un peu triste quand même. Tout ce que je sais,
c'est que ma famille paternelle était originaire de Kerlouan dans le Nord
Finistère ; une « paroisse » avec deux églises, une réputation de chouans
et de pilleurs d'épaves. Comme ils devaient être très pauvres, ils ont
émigré vers la grande ville, à Brest. Plus précisément à Lambézellec, une
commune voisine, déjà la banlieue, où mon père Jean (Louis Marie) est né en
1897.
Sa mère Renée (née Aminot) dite Rénéa, que je n'ai pas connue,
avait été paraît-il très belle. Son visage aux traits fins, est calme et
serein sur l'ancienne photo de famille endimanchée, où figure aussi, avec
mon père adolescent au faux col en celluloïd, la s?ur aînée disparue avant
ma naissance et dont je ne sais même pas le prénom.
En ce temps là et jusqu'à la fin de la seconde guerre mondiale,
des familles entières, sauf quelques immunisés, disparaissaient, fauchées
par la tuberculose. C'était surtout le cas dans les milieux populaires. Les
riches et les petits bourgeois allaient au sanatorium qui n'était
d'ailleurs que l'antichambre de la mort. Ils mourraient dans un certain
confort hôtelier, c'était toujours ça de pris.
Les ravages de la maladie étaient encore plus cruels parmi les
premières générations venues de la campagne à la ville, alors très
insalubre, pleine de taudis où ces pauvre gens s'entassaient pour un prix
modique en rapport avec leurs « salaires de misère », expression alors très
courante. Du Zola à l'état pur.
L'adoption familiale des orphelins et orphelines se pratiquait
couramment, presque traditionnellement, lorsque c'était possible. Ils
étaient recueillis et « élevés » par leurs plus proches parents selon
divers critères, économiques le plus souvent, mais aussi parfois, suivant
le choix de l'enfant entre deux familles disponibles. ça donnait : « on va
voir vers qui il va aller » et le petit se dirigeait vers la famille où il
se sentait le plus à l'aise, le plus aimé.
Voilà donc rapidement réglé, le sort de la famille de mon père.
REPERES Le lecteur attentif a déjà pu constater que le taux de mortalité
de mes premiers personnages atteint carrément les 100% . Je ne puis que le
déplorer, mais c'est ainsi : on naît, on vit (plus ou mois longtemps) et on
meurt. Du milieu du dix-neuvième siècle à la fin du vingtième, très longue
période plus ou moins malmenée dans les pages qui vont suivre, les
générations vont se succéder, happées par les soubresauts de l'Histoire -
et leur dernier soubresaut - dans le néant inexorable. Mettons donc en
pratique une fois pour toutes, la célèbre maxime de Spinoza (1632-
1677) : « Ni rire, ni pleurer, comprendre » (c'est tout ce que je connais
de lui) et essayons de retrouver aussi sereinement que possible, la trace
de mes « chers disparus ».
Tentons d'abord d'en dresser la liste, afin d'être sûrs de
n'oublier personne et de mieux nous y retrouver :
- le grand-père Guérenneur Jean louis (1856-1937)
- la grand-mère, née Stéphan Marie Françoise, décédée en 1939
- l'oncle Joseph, leur fils aîné (1883-fin des années soixante) et ma
tante Blanche, sa femme
- l'oncle Louis, leur deuxième fils (1890 environ à 1942 environ)
- mon père Jean Le Roux (1897-1930) marié en 1922 avec ma mère Louise
Guérenneur (1900-1990). [ Je ne raconterai ma mère qu'après tout le
monde, ainsi je pourrai commencer à me raconter moi-même, compte tenu
de notre vie commune dans les débuts].