Anie - La Bibliothèque électronique
Exercice financier. 1er janvier- 31 décembre. Banque mondiale. Vice-Président pour le Région M. Callisto Madavo. Directeur-pays: M. Mamadou Dia. Directeur ...
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Hector Malot
Anie
BeQ
Hector Malot
Anie
roman
La Bibliothèque électronique du Québec
Collection À tous les vents
Volume 485 : version 1.2
Du même auteur, à la Bibliothèque :
Sans famille
En famille
Romain Kalbris
Une femme d'argent
Baccara
Anie
Édition de référence :
Paris, Ernest Flammarion, Éditeur.
Première partie
I
Au balcon d'une maison du boulevard Bonne-Nouvelle, en hautes et larges
lettres dorées, on lit : Office cosmopolitain des inventeurs ; et sur deux
écussons en cuivre appliqués contre la porte qui, au premier étage de cette
maison, donne entrée dans les bureaux, cette enseigne se trouve répétée
avec l'énumération des affaires que traite l'office : « Obtention et vente
de brevets d'invention en France et à l'étranger ; attaque et défense des
brevets en tous pays ; recherches d'antériorités ; dessins industriels ; le
Cosmopolitain, journal hebdomadaire illustré : M. Chaberton, directeur. »
Qu'on tourne le bouton de cette porte, ainsi qu'une inscription invite à
le faire, et l'on est dans une vaste pièce partagée par cages grillées, que
divise un couloir central conduisant au cabinet du directeur ; un tapis en
caoutchouc (B.S.G.D.G.) va d'un bout à l'autre de ce couloir, et par son
amincissement il dit, sans qu'il soit besoin d'autres indications, que
nombreux sont ceux qui, happés par les engrenages du brevet d'invention,
engagés dans ses laminoirs, passent et repassent par ce chemin de douleurs,
sans pouvoir s'en échapper, et reviennent là chaque jour jusqu'à ce qu'ils
soient hachés, broyés, réduits en pâte et qu'on ait exprimé d'eux, au moyen
de traitements perfectionnés, tout ce qui a une valeur quelconque, argent
ou idée. Tant qu'il lui reste un souffle la victime crie, se débat, lutte,
et aux guichets des cages derrière lesquels les employés se tiennent
impassibles, ce sont des explications, des supplications ou des reproches
qui n'en finissent pas ; puis l'épuisement arrive ; mais celle qui
disparaît est remplacée par une autre qui subit les mêmes épreuves avec les
mêmes plaintes, les mêmes souffrances, la même fin, et celle-là par
d'autres encore.
En général les clients du matin n'appartiennent pas à la même catégorie
que ceux du milieu de la journée ou du soir.
À la première heure, souvent avant que Barnabé, le garçon de bureau, ait
ouvert la porte et fait le ménage, arrivent les fiévreux, les inquiets,
ceux que l'engrenage a déjà saisis et ne lâchera plus ; de la période des
grandes espérances ils sont entrés dans celle des difficultés et des
procès ; ils apportent des renseignements décisifs pour leur affaire qui
dure depuis des mois, des années, et va faire un grand pas ce jour-là ; ou
bien c'est une nouvelle provision pour laquelle ils sont en retard et
qu'ils ont pu enfin se procurer le matin même par un dernier sacrifice ;
et, en attendant l'arrivée des employés ou du directeur, ils content leurs
douleurs et leurs angoisses à Barnabé qui les enveloppe de flots de
poussière soulevés par son balai.
Puis, après ceux-là, c'est l'heure de ceux qui, pour la première fois,
tournent le bouton de l'office ; vaguement ils savent que les brevets ou
les marques de fabrique doivent protéger leur invention, ou assurer ainsi
la propriété de ses produits ; et ils viennent pour qu'on éclaire leur
ignorance. Que faut-il faire ? Ils ont toutes les confiances, toutes les
audaces, portés qu'ils sont sur les ailes de la fortune ou de la gloire. Ne
sont-ils pas sûrs de révolutionner le monde avec leur invention, qui va les
enrichir, en même temps qu'elle enrichira tous ceux qui y toucheront ? Et
les millions roulent, montent, s'entassent, éblouissants, vertigineux.
- S'il faut prendre un brevet en Angleterre ? dit M. Chaberton répondant
à leurs questions ; non seulement en Angleterre, mais aussi en Italie, en
Espagne, en Allemagne, en Europe, en Asie, en Amérique, partout où la
législation protectrice des brevets a pénétré. Sans doute la dépense peut
être gênante, alors surtout qu'on s'est épuisé dans de coûteux essais ;
mais ce n'est pas quand on touche au succès qu'on va le laisser échapper.
Et, sortant de son cabinet, M. Chaberton amène lui-même dans ses bureaux
ce nouveau client pour le confier à celui des employés qui guidera ses pas
dans la voie de la prise et de l'exploitation d'un brevet.
- Voyez M. Barincq ! Voyez M. Spring ! Voyez M. Jugu.
Et le client admis dans la cage de celui à qui on le confie s'intéresse,
ravi, à voir M. Barincq, le dessinateur de l'office, traduire sur le papier
les idées plus ou moins vagues qu'il lui explique, ou M. Spring préparer
devant lui les pièces si importantes des patentes anglaises ; car, dans
l'Office cosmopolitain, on opère sous l'?il du client ; c'est même là une
des spécialités de la maison, grâce à M. Spring qui écrit avec une égale
facilité le français, l'anglais, l'allemand, l'italien, l'espagnol, ayant
roulé par tous les pays avant de venir échouer boulevard Bonne-Nouvelle ;
et aussi, grâce à M. Barincq qui sait en quelques coups de crayon bâtir un
rapide croquis.
Après une journée bien remplie qui n'avait guère permis aux employés de
respirer, les bureaux commençaient à se vider ; il était six heures vingt-
cinq minutes, et les clients qui tenaient à voir M. Chaberton lui-même
savaient par expérience que, quand la demie sonnerait, il sortirait de son
cabinet, sans qu'aucune considération pût le retenir une minute de plus,
ayant à prendre au passage l'omnibus du chemin de fer pour s'en aller à
Champigny, où, hiver comme été, il habite une vaste propriété dans laquelle
s'engloutit le plus gros de ses bénéfices.
Bien que la besogne du jour fût partout achevée, et que Barnabé fût déjà
revenu de la poste où il avait été porter le courrier, les employés,
derrière leurs grillages, paraissaient tous appliqués au travail : le
patron allait passer en jetant de chaque côté des regards circulaires, et
il ne fallait pas qu'il pût s'imaginer qu'on ne ferait rien après son
départ.
Quand le coup de la demie frappa, il ouvrit la porte de son cabinet, et
apparut coiffé d'un chapeau rond, portant sur le bras un pardessus dont la
boutonnière était décorée d'une rosette multicolore, sa canne à la main ;
un client misérablement vêtu le suivait et le suppliait.
- Barnabé, guettez l'omnibus, dit M. Chaberton.
- C'est ce que je fais, monsieur.
En effet, posté dans l'embrasure d'une fenêtre, le garçon de bureau ne
quittait pas des yeux la chaussée, qu'il découvrait au loin jusqu'à la
descente du boulevard Montmartre, son regard passant librement à travers
les branches des marronniers et des paulownias qui commençaient à peine à
bourgeonner.
Cependant le client, sans lâcher M. Chaberton, man?uvrait de façon à lui
barrer le passage.
- Tâchez donc, disait-il, de m'obtenir cinq mille francs de MM.
Strifler ; ils gagnent plus de cinq cent mille francs par an avec mes
brevets ; ils peuvent bien faire cela pour celui qui les leur a vendus.
- Ils répondent qu'ils ont fait plus qu'ils ne devaient.
- Ce n'est pas à vous qu'ils peuvent dire cela ; vous qui avez vu comme
ils m'ont saigné à blanc ; qu'ils m'abandonnent ces cinq mille francs, et
je renonce à toute autre réclamation ; c'est plus d'un million que je
sacrifie.
- Monsieur Barincq, interrompit le directeur, où en est votre bois pour
le journal ?
- J'avance, monsieur.
- Il faut qu'il soit fini ce soir.
- Je ne partirai pas sans qu'il soit terminé.
- Je compte sur vous.
- Avec ces cinq mille francs, continuait le client, j'achève mon
appareil calorimétrique, qui sera certainement la plus importante de mes
inventions ; son influence sur les progrès de notre artillerie peut être
considérable : ce n'est pas seulement un intérêt égoïste qui est en jeu, le
mien, que vous m'avez toujours vu prêt à sacrifier, c'est aussi un intérêt
patriotique.
- Vous vous ferez sauter, mon pauvre monsieur Rufin, avec vos
expériences sur les pressions des explosifs en vases clos.
- C'est bien de cela que j'ai souci !
- L'omnibus ! cria le garçon de bureau.
M. Chaberton se dirigea vivement vers la porte, accompagné de son
client, et le silence s'établit dans les bureaux, comme si les employés
attendaient un retour possible, quelque invraisemblable qu'il fût.
- Emballé, le patron ! cria Barnabé resté à la fenêtre.
Mais tout à coup il poussa un cri de surprise.
- Qu'est-ce qu'il y a ?
- Le vieux Rufin monte avec lui pour le raser jusqu'à la gare.
Alors, instantanément, au silence succéda un brouhaha de voix et un
tapage de pas, que dominait le chant du coq, poussé à plein gosier par
l'employé chargé de la correspondance.
- Taisez-vous donc, monsieur Belmanières, dit le caissier en venant sur
le seuil de la pièce qu'il occupait seul, on ne s'entend pas.
- Tant mieux pour vous.
- Parce que ? demanda le caissier qui était un personnage grave, mais
simple et bon enfant.
- Parce que, mo