L'AFFAIRE LEROUGE

rue, trottoir, avenue, passage piétons, jardin public, canaux, jets d'eau, .....
Compresses rectangulaires, pochettes individuelles, 20 x 20 cm ... L'Open de
Paris réunit cette année 48 joueurs dont le moins bien classé est ..... Le coursier
malhonnête vole 3 lapins et corrige le message sans effacer ni rayer ...... la boxe
des clubs.

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Émile Gaboriau



L'AFFAIRE LEROUGE



(1865)




Table des matières




I 3


II 28


III 47


IV 63


V 96


VI 122


VII 159


VIII 182


IX 198


X 230


XI 250


XII 273


XIII 303


XIV 337


XV 357


XVI 385


XVII 409


XVIII 436


XIX 462


XX 485




I

Le jeudi 6 mars 1862, surlendemain du Mardi gras, cinq femmes du
village de La Jonchère se présentaient au bureau de police de Bougival.


Elles racontaient que depuis deux jours personne n'avait aperçu une de
leurs voisines, la veuve Lerouge, qui habitait seule une maisonnette
isolée. À plusieurs reprises, elles avaient frappé en vain. Les fenêtres
comme la porte étant exactement fermées, il avait été impossible de jeter
un coup d'?il à l'intérieur. Ce silence, cette disparition les
inquiétaient. Redoutant un crime, ou tout au moins un accident, elles
demandaient que la « Justice » voulût bien, pour les rassurer, forcer la
porte et pénétrer dans la maison.


Bougival est un pays aimable, peuplé tous les dimanches de canotiers et
de canotières ; on y relève beaucoup de délits, mais les crimes y sont
rares. Le commissaire refusa donc d'abord de se rendre à la prière des
solliciteuses. Cependant elles firent si bien, elles insistèrent tant et si
longtemps, que le magistrat fatigué céda. Il envoya chercher le brigadier
de gendarmerie et deux de ses hommes, requit un serrurier et, ainsi
accompagné, suivit les voisines de la veuve Lerouge.


La Jonchère doit quelque célébrité à l'inventeur du chemin de fer à
glissement qui, depuis plusieurs années, y fait avec plus de persévérance
que de succès des expériences publiques de son système. C'est un hameau
sans importance, assis sur la pente du coteau qui domine la Seine, entre la
Malmaison et Bougival. Il est à vingt minutes environ de la grande route
qui va de Paris à Saint-Germain en passant par Rueil et Port-Marly. Un
chemin escarpé, inconnu aux ponts et chaussées, y conduit.


La petite troupe, les gendarmes en tête, suivit donc la large chaussée
qui endigue la Seine à cet endroit, et bientôt, tournant à droite,
s'engagea dans le chemin de traverse, bordé de murs et profondément
encaissé.


Après quelques centaines de pas, on arriva devant une habitation aussi
modeste que possible, mais d'honnête apparence. Cette maison, cette
chaumière plutôt, devait avoir été bâtie par quelque boutiquier parisien,
amoureux de la belle nature, car tous les arbres avaient été soigneusement
abattus. Plus profonde que large, elle se composait d'un rez-de-chaussée de
deux pièces, avec un grenier au-dessus. Autour s'étendait un jardin à peine
entretenu, mal protégé contre les maraudeurs par un mur en pierres sèches
d'un mètre de haut environ, qui encore s'écroulait par places. Une légère
grille de bois tournant dans des attaches de fil de fer donnait accès dans
le jardin.


- C'est ici, dirent les femmes.


Le commissaire de police s'arrêta. Pendant le trajet, sa suite s'était
rapidement grossie de tous les badauds et de tous les dés?uvrés du pays. Il
était maintenant entouré d'une quarantaine de curieux.


- Que personne ne pénètre dans le jardin, dit-il.


Et, pour être certain d'être obéi, il plaça les deux gendarmes en
faction devant l'entrée, et s'avança escorté du brigadier de gendarmerie et
du serrurier. Lui-même, à plusieurs reprises, il frappa très fort avec la
pomme de sa canne plombée, à la porte d'abord, puis successivement à tous
les volets. Après chaque coup il collait son oreille contre le bois et
écoutait. N'entendant rien, il se retourna vers le serrurier.


- Ouvrez, lui dit-il.


L'ouvrier déboucla sa trousse et prépara ses outils. Déjà il avait
introduit un de ses crochets dans la serrure, quand une grande rumeur
éclata dans le groupe des badauds.


- La clé ! criait-on, voici la clé !


En effet, un enfant d'une douzaine d'années, jouant avec un de ses
camarades, avait aperçu dans le fossé qui borde la route une clé énorme ;
il l'avait ramassée et l'apportait en triomphe.


- Donne, gamin, lui dit le brigadier, nous allons voir.


La clé fut essayée ; c'était bien celle de la maison. Le commissaire et
le serrurier échangèrent un regard plein de sinistres inquiétudes.


- Ça va mal ! murmura le brigadier.


Et ils entrèrent dans la maison, tandis que la foule, contenue avec
peine par les gendarmes, trépignait d'impatience, tendant le cou et
s'allongeant sur le mur, pour tâcher de voir, de saisir quelque chose de ce
qui allait se passer. Ceux qui avaient parlé de crime ne s'étaient
malheureusement pas trompés, le commissaire de police en fut convaincu dès
le seuil. Tout, dans la première pièce, dénonçait avec une lugubre
éloquence la présence des malfaiteurs. Les meubles, une commode et deux
grands bahuts, étaient forcés et défoncés. Dans la seconde pièce, qui
servait de chambre à coucher, le désordre était plus grand encore. C'était
à croire qu'une main furieuse avait pris plaisir à tout bouleverser.


Enfin, près de la cheminée, la face dans les cendres, était étendu le
cadavre de la veuve Lerouge. Tout un côté de la figure et les cheveux
étaient brûlés, et c'était miracle que le feu ne se fût pas communiqué aux
vêtements.


- Canailles, va ! murmura le brigadier de gendarmerie, n'auraient-ils
pas pu la voler sans l'assassiner, cette pauvre femme !


- Mais où donc a-t-elle été frappée ? demanda le commissaire, je ne
vois pas de sang.


- Tenez, là, entre les deux épaules, mon commissaire, reprit le
gendarme. Deux fiers coups, ma foi ! Je parierais mes galons qu'elle n'a
pas seulement eu le temps de faire ouf !


Il se pencha sur le corps et le toucha.


- Oh ! continua-t-il, elle est bien froide. Même il me semble qu'elle
n'est déjà plus très roide ; il y a au moins trente-six heures que le coup
est fait.


Le commissaire, tant bien que mal, écrivit sur un coin de table un
procès-verbal sommaire.


- Il ne s'agit pas de pérorer, dit-il au brigadier, mais bien de
trouver les coupables. Qu'on prévienne le juge de paix et le maire. De
plus, il faut courir à Paris porter cette lettre au parquet. Dans deux
heures un juge d'instruction peut être ici. Je vais en attendant procéder à
une enquête provisoire.


- Est-ce moi qui dois porter la lettre ? demanda le brigadier.


- Non. Envoyez un de vos hommes, vous me serez utile ici, vous, pour
contenir ces curieux et aussi pour me trouver les témoins dont j'aurai
besoin. Il faut tout laisser ici tel quel, je vais m'installer dans la
première chambre.


Un gendarme s'élança au pas de course vers la station de Rueil, et
aussitôt le commissaire commença l'information préalable prescrite par la
loi.


Qui était cette veuve Lerouge, d'où était-elle, que faisait-elle, de
quoi vivait-elle, et comment ? Quelles étaient ses habitudes, ses m?urs,
ses fréquentations ? Lui connaissait-on des ennemis, était-elle avare,
passait-elle pour avoir de l'argent ? Voilà ce qu'il importait au
commissaire de savoir.


Mais pour être nombreux, les témoins n'en étaient pas mieux informés.
Les dépositions des voisins, successivement interrogés, étaient vides,
incohérentes, incomplètes. Personne ne savait rien de la victime, étrangère
au pays. Beaucoup de gens se présentaient, d'ailleurs, qui venaient bien
moins pour donner des renseignements que pour en demander. Une jardinière
qui avait été l'amie de la veuve Lerouge et une laitière chez qui elle se
fournissait purent seules donner quelques renseignements assez
insignifiants mais précis.


Enfin, après trois heures d'interrogatoires insupportables, après avoir
subi tous les on-dit du pays, recueilli les témoignages les plus
contradictoires et les plus ridicules commérages, voici ce qui parut à peu
près certain au commissaire de police :


Deux ans auparavant, au commencement de 1860, la femme Lerouge était
arrivée à Bougival avec une grande voiture de déménagement pleine de
meubles, de linge et d'effets. Elle était descendue dans une auberge,
manifestant l'intention de se fixer dans les environs, et aussitôt s'était
mise en quête d'une maison. Ayant trouvé celle-ci à son gré, elle l'avait
louée sans marchander, moyennant trois cent vingt francs payables par
semestre et d'avance, mais n'avait pas consenti à signer de bail.


La maison louée, elle s'y était installée le jour même et avait dépensé
une centaine de francs en réparations. C'était une femme de cinquante-
quatre ou cinquante-cinq ans, bien conservée, forte, et d'une santé
excellente. Nul ne savait pourquoi elle avait choisi pour s'établir un pays
où elle ne connaissait absolument personne. On la supposait Normande, parce
que souvent, le matin, on l'avait aperçue coiffée d'un bonnet de coton.
Cette coiffure de nuit ne l'empêchait pas d'être très coquette le jour.
Elle portait d'ordinaire de très jolies robes, mettait force rubans à ses
bonnets, et se couvrait de bijoux comme une chapelle. Sans doute, elle
avait habité la côte, car la mer et les navires revenaient sans cesse dans
ses conversations.


Elle n'aimait pas à parler de son mari, mort, disait-elle, dans un
naufrage. Jamais à ce sujet elle n'avait donné le moindre détail. Une fois
seulement elle avait dit à la laitière devant trois personnes : « Jamais
une femme n'a été plus malheureuse que moi dans