Un enfant gâté - La Bibliothèque électronique du Québec

Cet exercice de l'habillement de l'enfant gâté est certainement de nature à ...... Si
tu ne te corriges pas de ton mauvais esprit, nous ne pourrons te garder à ...

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Zénaïde Fleuriot

Un enfant gâté


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BeQ
Zénaïde Fleuriot









Un enfant gâté

roman







La Bibliothèque électronique du Québec
Collection À tous les vents
Volume 1194 : version 1.0








Zénaïde-Marie-Anne Fleuriot (Saint-Brieuc, 28 octobre 1829 - Paris, 19
décembre 1890), est un écrivain français qui connut à son époque un très
grand succès. Elle écrivit 83 romans destinés aux jeunes filles, dont une
part importante a été publiée dès 1884 chez Hachette dans les collections
Bibliothèque rose et Bibliothèque bleue.









De la même auteure, à la Bibliothèque :



Alberte

En congé

















Un enfant gâté




Édition de référence :

Paris, Librairie Hachette et Cie, 1881.

Troisième édition








I





Le tuteur




« Je veux me faire la barbe ! »

Ainsi parlait un homme de dix ans sonnés, le petit Léopold Massereau. En
fourrageant au fond d'un tiroir, il avait trouvé une paire de rasoirs usés
jusqu'au fer. Saisi tout à coup par le désir de poser en grand garçon, il
s'était juché sur un tabouret devant la glace ovale d'une toilette
d'acajou, brandissait le rasoir et répétait d'une voix de commandement :

« Je veux me faire la barbe !

- Quoi ? quoi ? mon Dieu ! qu'est-ce que j'entends ? » s'écria une voix
de femme tout essoufflée.

Et la porte s'ouvrit devant une dame d'une soixantaine d'années habillée
avec le soin méthodique particulier à la province.

Entre deux petits bandeaux jaunâtres appliqués sur ses tempes et
descendant en festons jusque sur les joues, scintillaient deux yeux
jaunâtres aussi, au regard inquiet, mobile, et tout remplis de cette
expression particulière qui fait dire des gens qu'ils ne sont pas commodes.

« Marraine, je veux me faire la barbe.

- La barbe ? Où as-tu trouvé ce rasoir, vilain enfant, enfant
terrible ? »

Il était peut-être terrible au moral, le petit Léopold ; mais qu'il
était chétif au physique, maigre, pâlot et cependant très bien charpenté !

« Là », dit-il en montrant le dernier tiroir d'un vieux bahut qui, vis-à-
vis de la toilette d'acajou, avait tout à fait l'air d'un vieux marquis en
habit chamarré et en tricorne, regardant du haut de sa grandeur un petit
monsieur moderne en frac noir et en tuyau de poêle.

« Mais on n'ouvre jamais ce tiroir, Léopold, jamais ; il y a plus de
deux ans que je ne l'ai ouvert. Il ne contient que des vieilleries. »

Tout en parlant, elle regardait avec inquiétude la main de l'enfant
serrée sur le manche du rasoir, et son doigt touchait fiévreusement au
milieu de son front un petit objet brillant qui n'était autre qu'une
ferronnière.

Oui, Mme Caroline Massereau avait poussé la fidélité jusqu'à garder, en
dépit de toutes les modes, cette petite plaque d'or enfilée dans un cordon
de soie. Seulement elle n'était plus l'ornement de son front, mais elle se
plaçait juste entre les deux petits bandeaux plats qui rétrécissaient
malheureusement des tempes déjà singulièrement étroites.

« Léo, reprit-elle, donne-moi ce rasoir, mon enfant.

- Mais puisque je te dis que je veux me faire la barbe ! Fais mousser du
savon.

- Tu auras du savon, si tu me donnes le rasoir.

- Me le rendras-tu ?

- Oui, oui ; donne, mon petit chéri, donne, mon Léo. »

Tout en prononçant ces tendresses, Mme Massereau s'approchait du petit
garçon et lui arrachait moitié de gré, moitié de force, le dangereux
instrument.

Elle le considéra, le retourna dans tous les sens, - et finalement passa
la lame sur son doigt.

« Donne, mais donne-le-moi donc bien vite ! s'écria impatiemment
Léopold.

- Tiens », fit-elle en souriant.

Elle s'était assurée que le vieux rasoir n'avait plus de fil et que la
lame ne couperait pas plus qu'une lame de bois.

« Fais-moi mousser du savon, reprit Léopold de son ton impérieux et
malhonnête.

- Attends, je vais en demander à Marie-Céline. »

Mme Massereau sortit et s'avança sur un étrange palier jeté comme un
pont étroit entre les deux parties de la vieille maison. S'appuyant sur la
balustrade épaisse qui servait de parapet, elle appela :

« Marie-Céline ! »

Dans le petit renfoncement formé par la cage de l'escalier au rez-de-
chaussée, apparut une coiffe blanche ; un visage rougeaud, très honnête, se
leva vers le pont, et une voix aussi rude que celle de Mme Massereau était
aiguë dit :

« Qu'est-ce qu'il y a, madame ? »

C'était généralement ainsi que correspondaient la maîtresse et la
servante.

Le plus souvent il ne s'agissait que d'un simple appel, mais parfois
aussi de véritables conversations s'échangeaient entre les deux femmes, et
ce bruit de voix animait pour un instant la vieille maison silencieuse.

« Marie-Céline, cria la maîtresse, il veut se faire la barbe. »

Un éclat de rire fit vibrer les cloisons.

« En v'là d'un jeu, madame ! Ne le lui laissez pas faire, il se
couperait la figure.

- Le rasoir ne coupe pas, et puisqu'il le veut absolument, fais un peu
d'eau de savon et apporte-la tout de suite. »

Cet ordre donné, Mme Massereau rejoignit Léopold toujours juché sur son
tabouret et occupé à faire voltiger le vieux rasoir sur ses joues imberbes.

« Avec quoi barbouille-t-on le savon sur sa figure ? demanda-t-il tout à
coup.

- Avec un pinceau ; il doit y en avoir un, au fond du tiroir. »

Et Mme Massereau alla s'agenouiller devant le vieux tiroir dont le
contenu sentait fort le moisi.

Au moment où elle en retirait un pinceau à barbe, Marie-Céline
apparaissait, un petit bol à la main. Le pinceau fut lavé avec soin, et
Léopold, le plongeant dans le bol plein d'eau de savon, commença à le faire
mousser sur ses joues.

Sa tante et sa bonne, placées de chaque côté de la glace, le
contemplaient d'un air ravi ; et lorsqu'il commença à gratter délicatement
sa joue droite avec le vieux rasoir, elles se précipitèrent ensemble vers
lui pour l'embrasser.

Mais il les éloigna du geste et cria d'un ton rogue :

« Laissez-moi donc tranquille ! »

Il avait à peine prononcé cette parole grossière qu'il demeura tout
interdit. Sur le seuil de la porte ouverte apparaissait un homme d'une
haute stature, aux formidables moustaches noires mêlées de gris.

Se voyant découvert, le visiteur mit le chapeau à la main et s'avança au-
devant de Mme Massereau qui marchait sans empressement à sa rencontre.

« Mon cousin, vous pouvez vous vanter de m'avoir fait grand-peur, dit-
elle en lui tendant la main.

- Sans le vouloir, assurément, Caroline. Jugez-en vous-même : j'arrive,
je trouve la porte d'entrée ouverte, j'appelle, personne ne répond, je
monte l'escalier, j'appelle de nouveau ; deux éclats de rire me répondent
cette fois ; je pousse la porte et je vois mon pupille se faisant la barbe.
Il est donc toujours original, ce garçon ? Allons, Marie-Céline,
débarbouillez-le bien vite, et qu'il vienne m'embrasser. »

Léopold avait sauté à bas de son tabouret et s'était plongé la figure
dans une cuvette. Marie-Céline, armée d'une serviette, le débarrassa de
toute la mousse et il vint embrasser le visiteur, qui le regarda quelque
temps très attentivement.

« Nous ne payons pas de mine, mon garçon, dit-il enfin ; mon fils
Gustave, qui est de ton âge, a la tête de plus que toi.

- Oh ! mon cher colonel, il a bien grandi, s'écria Mme Massereau. Moi
qui lui tricote des bas, et Marie-Céline, qui met des rallonges à ses
blouses, nous en savons quelque chose.

- Voilà un argument sans réplique, ma chère cousine. Vous ai-je offert
tous les souvenirs, toutes les amitiés, tous les respects de ma famille ?

- Je n'ai pas même eu le temps de vous demander des nouvelles. Votre
entrée a été si... si inattendue !

- Et la vue de Léopold se faisant la barbe m'a tellement distrait moi-
même ! Va jouer, mon enfant, ne t'occupe plus de moi. Nous nous
retrouverons. »

Il donna une petite tape d'amitié sur l'épaule de Léopold et, croisant
ses bottes l'une sur l'autre, reprit :

« Dieu merci ! tout mon monde va bien. Ma mère est ce que vous l'avez
toujours vue, un peu moins ingambe peut-être ; ma femme jouit toujours
d'une santé parfaite, et les enfants, dame ! ça pousse comme des
champignons. Édouard, qui n'a pas quatorze ans, m'arrive à l'épaule.

- Déjà ! Et Amélie ?

- Amélie est toujours la joie et l'orgueil de sa grand-mère.

- Et Gustave et Alfred ?

- Gustave et Fédik grandissent aussi. Ce dernier parle comme une petite
pie, mais s'obstine à ne pas prononcer les r, si bien que mon brave
domestique alsacien ne s'appelle plus seulement Choucroute, mais Choucoute.
Gustave est juste de l'âge de Léopold, je crois.

- Il a huit mois de plus.

- Ah ! ceci ne les empêchera pas d'être contemporains. Eh bien, Léopold,
tu nous reviens ; approche donc que je passe un peu l'inspection. »

Léopold, qui glissait la tête par l'entrebâillement, avec l'espoir de ne
pas être aperçu, courut vers son oncle. Celui-ci le saisit par la ceinture
et l'assit sur ses genoux.

« Tu ne pèses pas plus que mon petit Fédik, dit-il en riant. C'est un
gros garçon qui, ou je me trompe bien, portera c