Démocratie et débat public versus système représentatif ... - Hal-SHS

"(La boulè) prolongeait l'ecclésia dans l'exercice de la souveraineté populaire,
en veillant à l'application de ses décisions, en jouant le rôle d'un pouvoir exécutif
.... On fabrique artificiellement deux courants de pensée aux idées d'autant plus
floues, larges et englobantes qu'il faut séduire le plus grand nombre de citoyens.

Part of the document

Démocratie et débat public versus système représentatif et expression
populaire Anne-Hélène Le Cornec Ubertini
I3M
UNSA USTV
Publié dans la Collection Perspectives « Villes et Territoires » N°11
Maison des sciences de l'homme « Villes et Territoires » 2004
Presses Universitaires François Rabelais
Volume 1, pages 271 et s. Information des citoyens, débat entre citoyens, décision prise par les
citoyens, tels sont les trois piliers de la démocratie. Inventée cinq
siècles avant J. C., la démocratie s'est achevée sans avoir terminé son
évolution mais avec des principes solidement établis. Pour mettre fin à la
primauté de l'antique conseil aristocratique, le pouvoir politique avait
été entièrement légué au peuple à travers deux institutions majeures :
l'Assemblée (????????) et le Conseil (??v??). De l'Assemblée, à laquelle
chaque citoyen pouvait participer lorsqu'elle se réunissait, dépendaient
tous les magistrats, lesquels étaient tirés au sort à l'exception des
stratèges. Les stratèges, au nombre de dix, étaient élus, non pas en tant
que représentants, ils étaient élus pour leurs compétences militaires. La
plupart des charges étaient limitées à une année non renouvelable, à deux
ans pour les membres du Conseil. Seuls les stratèges pouvaient être réélus
chaque année. Afin que toutes les charges soient ouvertes à l'ensemble des
citoyens sans distinction de fortune, un système d'indemnités journalières
fut institué. Les réunions de l'Assemblée avaient lieu au début du Vème
siècle quarante fois par an, puis moins fréquemment par la suite, et
duraient au maximum une journée. Contrairement à l'Assemblée, le Conseil,
composé de 500 citoyens tirés au sort, était permanent. Les propositions de
lois étaient déposées le plus souvent par le Conseil mais pouvaient l'être
par n'importe quel citoyen. "(La boulè) prolongeait l'ecclésia dans
l'exercice de la souveraineté populaire, en veillant à l'application de ses
décisions, en jouant le rôle d'un pouvoir exécutif capable de régler les
problèmes de technique administrative." (Meuleau et Piétri, 1971,
p.189)[1]. Si les cas d'homicides étaient toujours jugés par les anciens
tribunaux aristocratiques (aristocratie de sang), la plus grande partie des
affaires étaient jugées par l'Héliée, tribunal populaire composé pour
chaque cause d'une fraction de 6000 jurés tirés au sort parmi des
volontaires. Exceptionnellement, l'Assemblée et le Conseil pouvaient se
constituer en tribunal.
Les citoyens athéniens n'avaient pas de recette a priori, ils
procédaient par essais et correction des erreurs, le système connaissait
une évolution incessante et peut-être est-ce une des caractéristiques de la
démocratie, l'adaptation permanente au peuple qui la crée, à un monde
changeant. La démocratie impose en revanche l'isègoria et l'isonomia,
l'égalité de parole et l'égalité devant la loi. Pas simplement l'égalité de
prise de parole mais aussi l'égale valeur politique des paroles, des
opinions, des jugements, quel que soit le statut social, le niveau
d'instruction, l'hérédité. Cette égalité ne se résume pas à un temps de
parole ou à la liberté d'expression mais elle engendre une prise de part
égale dans la direction de la cité. Le peuple gouverne, le peuple a le
pouvoir et l'exerce. La décision clôt le débat, la première étant le
prolongement direct du second.
Poser la question de l'articulation entre le débat public et la
décision politique démocratique, la décision politique préexistant au débat
public, pourrait sembler incongru si nous n'avions depuis longtemps
naturalisé l'idée que l'alliance démocratie et représentation est
incontournable. L'idéal démocratique serait intact, empêché simplement
techniquement de se concrétiser en raison du nombre de citoyens et de
l'étendue du territoire. Alors, toute entreprise destinée à réduire ce
frein et à introduire plus de débat public, serait accueillie
favorablement. A y regarder de plus près cependant, le système politique
local est moins démocratique que ne l'est le système national malgré le
moins grand nombre de citoyens et la moins grande surface territoriale. La
décision des citoyens se limite à l'élection du conseil municipal tous les
six ans. Il n'existe aucune procédure de référendum. Seule la consultation
est de mise dans des conditions très restrictives quant aux personnes
interrogées, quant à l'initiative de la consultation, quant à l'objet de la
consultation, quant aux nombres de saisines, quant à la nature de la
réponse. Dotée d'autant de limites, légales, cette institution semble être
conçue pour être inusitée. Si l'on compare le principe constitutionnel de
l'article 3 alinéa 1 de la Constitution de 1958 "La souveraineté nationale
appartient au peuple qui l'exerce par ses représentants et par la voie du
référendum", admettant l'égalité du peuple et de ses représentants quant à
l'exercice de la souveraineté nationale, avec le principe régissant la
démocratie locale, "Le droit des habitants de la commune à être informés
des affaires de celle-ci et à être consultés sur les décisions qui les
concernent, indissociable de la libre administration des collectivités
territoriales, est un principe essentiel de la démocratie locale" (art.
L2141-1 du Code Général des Collectivités Territoriales), on ne peut
qu'être frappé du manque de pouvoir formel de décision accordé aux citoyens
dans la direction des affaires locales. La consultation n'est qu'une
demande d'avis et l'avis émis n'engage en rien juridiquement les élus.
La liste des manquements démocratiques indépendants de la faisabilité
technique est longue, autant à l'échelon local qu'à l'échelon national.
Ainsi le défaut de séparation et d'équilibre des pouvoirs : dépendance de
l'autorité judiciaire et domination du législatif par l'exécutif étaient
évitables techniquement. Le texte de la loi constitutionnelle du 3 juin
1958[2], préalable à la rédaction de la Constitution et au vote
référendaire, annonce les principes d'indépendance et d'équilibre des
pouvoirs que la Constitution devait mettre en ?uvre mais des principes à
leur mise en texte, le pas est important. L'énumération des pouvoirs du
premier ministre montre toute la latitude donnée au gouvernement pour agir
et surtout pour intervenir dans le domaine parlementaire. Bien sûr, il faut
comprendre le mot "pouvoir" dans certains cas comme "possibilité de" mais
si le gouvernement décide d'utiliser les procédures de vote bloqué et
d'ordonnances il peut gouverner par décret dans les domaines qui
normalement relèvent de la seule compétence de la loi. Il reste bien peu de
pouvoir au Parlement dont l'ordre du jour est fixé en toutes circonstances
par le gouvernement. Le déséquilibre est d'autant moins démocratique qu'il
privilégie un organe non élu par rapport à un organe élu. Il est vrai que
le Parlement peut refuser ces procédures mais comment ne pas suivre un
gouvernement issu de sa majorité parlementaire. Autre entorse majeure aux
principes démocratiques : le peu de respect de la souveraineté populaire.
Le gouvernement de la République Française, aux termes de la Constitution
de 1958, est cependant un gouvernement du peuple, qui se fait par le peuple
et pour le peuple (Art. 2 - Titre I). La souveraineté nationale appartient
au peuple qui l'exerce par ses représentants et par la voie du référendum
(Art. 3 - Titre I). Les citoyens peuvent ainsi être amenés à voter par
référendum en dehors des élections en vertu des art. 11 et 89 de la
Constitution. Le peuple déclaré souverain est empêché de régner tant que
ses représentants ne lui ont pas permis de reprendre sa couronne. Le peuple
est donc un souverain qui n'a de pouvoir que lorsqu'il est sollicité par
d'autres que lui pour l'exercer. Il n'a été convié à se prononcer par
référendum que neuf fois depuis 1958 sur des questions qu'il n'avait pas
soulevées lui-même et auxquelles il ne pouvait répondre que par oui ou non.
Autre entorse de taille, en admettant que techniquement la représentation
seule soit possible : la non représentativité des élus et des gouvernants
en général. Si les citoyens sont égaux en droits et ont un droit d'accès
égal aux charges publiques, en pratique, il s'avère plus problématique de
quitter un emploi salarié dans le secteur privé qu'un emploi dans le
secteur public où l'on peut retrouver sa place à la fin de son mandat. De
la même façon, il est plus facile pour quelqu'un qui exerce une profession
libérale de se faire remplacer le temps de son mandat et de reprendre sa
place ensuite. La longueur des mandats renforce cette inégalité d'accès aux
charges publiques. Voici les pourcentages que donne R. de Sizif (1998,
p.23)[3] des professions occupées par nos représentants à l'Assemblée
nationale : 52 % de fonctionnaires, 21 % de professions libérales, 6 % de
"capitaines d'industrie qui ne peuvent se mettre eux-mêmes à la porte", "et
une grosse poignée de rentiers".
Plus qu'une crise de la représentation, il s'agit d'une crise de manque de
représentation. "Pour faire simple disons que la crise de la monarchie
absolue n'avait pas pour socle un reproche d'insuffisance de monarchie ou
d'insuffisance d'absolutisme. Au contraire, ce que l'on reproche volontiers