Renaud
La difficulté naît de ce que le lecteur ne découvre le mot volcan qu'après avoir lu
les questions Les exercices retenus ici sont rattachés à des textes longs, ...... L'
intérêt du découpage en tranches de trois chiffres pour la lecture usuelle des
nombres (fondée sur les classes: mille, millions, milliards) est souligné et les ...
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« La vie est plus un consentement qu'un choix » - Abbé Pierre
Journal de Renaud 1993-1995[1] Jeudi 22 Avril 1993 - 22 H 26 ans
« Bad mood tonight ». Radio classique est en train de diffuser ce genre de
mélodie très langoureuse du XIXième siècle qui nous foutait le cafard (en
tous cas qui me fout le cafard, surtout ce soir). C'est bizarre que l'on
écrive uniquement quand le moral est un peu bas et que l'on est seul (donc
personne à qui se confier - si ce n'est à soi-même, quelques années plus
tard quand je relirai ces notes). Je me suis dit : « Christophe tient un
journal, pourquoi pas toi ? ». Un journal, j'en suis incapable : j'ai déjà
essayé, rien à faire, je n'arrive pas à me forcer à coucher (à accoucher)
sur le papier une partie de moi-même ; en revanche, quelques notes éparses,
quand j'en exprime le besoin, passent mieux.
Que se passe-t-il ce soir : une confrontation entre une chose et son
contraire, un négativisme têtu qui consiste à colorier de noir même les
choses les plus fastes.
Exemple : un bon dîner ce soir (gîte aux olives) pas mal réussi, avec un
bon Cahors, fait correctement dans les règles de l'art, sans empressement,
mais (négativisme oblige) un dîner solitaire, donc inutile. L'intérêt d'un
plat sortant de l'ordinaire est de le partager ; d'y goûter cela n'a aucune
importance (je n'ai plus rien à me prouver quant à mes qualités culinaires
obsessionnelles), par contre, que les autres en fassent profit, là est tout
l'intérêt.
Autre exemple : l'internat à préparer pour octobre 1993 (grand moment
appréhendé par beaucoup d'autres compagnons), la certitude d'aller au casse-
pipe, de perdre une année à bosser non pas inutilement, mais stupidement,
stérilement, comme cela se produit depuis huit ans, et son contraire qui
consiste à penser à la satisfaction très personnelle de pouvoir dire « je
l'ai fait ».
Seul inconvénient : je n'ai jusqu'à présent trouvé aucun intérêt, aucun but
à ce concours, aucune motivation (excuse pour tolérer un échec ou plus
simplement réalisme à l'égard d'une vie qui passe comme une transfusion,
goutte à goutte). J'aurai toujours été « transfusé », dès le départ et
jusqu'à la fin. Vingt six ans : le tiers de la vie physique, et la moitié
de la vie intellectuelle où l'on se doit de s'accomplir. Jusqu'à présent,
mon accomplissement consiste en un travail plus ou moins soutenu, des
voyages (Chine en 1992), et des réalisations pseudo gastronomiques.
Que restera-t-il de tout cela à soixante ans. Que pourrai-je dire de moi à
cet âge, aurai-je honte de moi en disant : « Renaud, que n'as tu trop perdu
ton temps dans autant de futilité », ou serai-je fier : « oui, tu as bien
rentabilisé le temps qui t'était imparti ».
Le temps si court, infiniment court, à peine s'il existait.
La seule appréhension qui me hante est, non pas de rater ce concours
stupide, mais de rater une vie, louper le coche, manquer un tournant, un de
plus. Ce qui était frappant était la fin du film « Les nuits fauves » de
Cyril Collard, où sa mère, la cinquantaine passée, lui déclare en fait que
c'est dur, à cinquante ans, de s'apercevoir que l'on a raté une vie, manqué
d'amour pour un fils.
Quelle révélation, ou plutôt quelle confirmation. C'est sûr, tout ce que je
pense, d'autres l'ont pensé bien avant moi. En fait, il n'y a plus de
découvertes sur la vie et sur la manière de s'en servir. Car, en fait,
c'est un outil destiné en théorie à rendre les gens heureux, en pratique
c'est très différent : quelle prétention à vouloir soigner les gens pour
les maintenir en vie, alors que l'on n'est même pas capable de trouver un
sens à sa propre vie.
J'ai l'impression de faire partie d'un grand cycle qui se perpétue au cours
des siècles. En lisant l'histoire de France sur les Templiers, c'est comme
si j'y étais ; en me promenant dans le parc du château de Versailles, c'est
comme si j'étais habillé à la mode de l'époque, avec perruque et bonnes
manières. Rêves d'enfant non épuisés, ou sentiment profond d'éternel
recommencement.
Je reste persuadé qu'il n'y a pas de grande différence entre l'homme du
XIIième, XVIIième et XXième siècle. Les sentiments, les peurs, les joies,
l'amour, les désillusions, la pensée en général, n'ont pas tellement
changé. Seul l'environnement (les transports, les matériaux, l'énergie) ont
réellement été bouleversés et ont modifié la vitesse d'exécution des chefs
d'?uvre humains.
Une cathédrale gothique était construite en cent ans, les constructions
actuelles prennent au maximum dix ans.
On ne peut rester que confondu devant ces réalisations édifiantes, forçant
le respect, construites au Moyen Âge dans des conditions et avec des moyens
autrement plus durs que maintenant : cathédrale de Beauvais : cinquante
mètres de haut. Élever un tel prodige uniquement pour un être spirituel. La
religion de l'époque devait certainement être plus forte que tous les états
totalitaires réunis. Jeudi 29 avril 1993 - 20 H 30
Vingt trois degrés. Soir d'orage. Bartok à la radio.
On oublie à fur et à mesure. Le seul souvenir qui me reste de mon enfance
lointaine et passée, et qui me revient ce soir, est une odeur - une mémoire
olfactive. Rien que le fait de respirer cette odeur me rappelle toute une
série d'images, qui arrive à grande vitesse dans mon conscient.
Cette odeur, c'est celle du plastique neuf des protège-cahiers multicolores
aux différents motifs qui conservaient nos chefs d'?uvres à l'abri de la
saleté enfantine (mains sales, barbouillées, ...).
Cette série d'images, c'est une vision de Colombes. La Garenne, l'avenue
Geneviève - 7 ter - Charlebourg 1971 - 1982 - l'école à proximité -
traverser le carrefour - la maison de Marraine toute proche et le pont
passant sur la voie ferrée. À peu près vingt ans d'âge. Je pense qu'un bon
vin se serait mieux conservé que ma mémoire si peu fiable.
La maison de Colombes, la chambre avec les deux lits (mon frère et moi), la
cuisine, l'escalier descendant à la cave, le salon, la chambre des parents.
Petit tour d'horizon à trois cent soixante degrés dans le sens anti-
horaire.
Je préférerais ne pas y retourner et rester avec mes vieux souvenirs, une
plongée dans la réalité actuelle ne pourrait qu'infirmer et m'attrister car
elle détruirait toute une somme de souvenirs plaisants qu'il est agréable
de se remémorer. La réalité est forcément différente des souvenirs que l'on
possède, non pas parce que le décor aurait changé (mais si peu) mais parce
que ce serait soi-même qui aurait trop changé par rapport au décor. On
change tellement que l'on ne se reconnaît plus, ce qui explique sans doute
la tristesse et la nostalgie à l'évocation de lointains souvenirs à
l'approche de la soixantaine. Ce doit être très douloureux de ne plus se
reconnaître, de regarder le parcours de sa vie. Tant de chemin en aussi peu
de temps - car le temps paraît nécessairement court : on se souvient des
trois à quatre années passées, mais tout ce qu'il y a avant paraît déjà
oublié. Paris, 3 Mai 1993 - 21 H
Avons-nous progressé ou régressé. Une pensée, un doute, une peur assaillent
mon pauvre esprit. Onzième siècle : difficile, une vie dure, une espérance
de vie en deçà de cinquante ans (à peu près), des maîtres et des soumis,
des très pauvres et des très riches, les maladies incurables (lèpre, peste,
tuberculose, gangrène, syphilis ...), la religion omniprésente, avec la
terreur du diable (an mil : Satan se libère de ses chaînes).
Aujourd'hui, l'électricité, le nucléaire, Paris - New York en trois heures,
les routes, le confort, les antibiotiques, l'espérance de vie à soixante
dix ans, la retraite ; les loups ont disparu, toutes les peurs ont été à
peu près aplanies ou du moins remplacées par d'autres, mais à plus grande
échelle (guerre nucléaire). On a multiplié les richesses par dix,
cinquante, cent, on vit sans difficultés (plus de faim, en cas de malheur
on s'adresse à des personnes spécialisées, les trois quarts des gens vivent
en milieu urbain), trois quarts des gens, mais cela ne les empêche pas
d'être seuls, cela n'empêche pas les suicides et la dépression de régner
sur des âmes torturées, malgré tous les progrès.
L'homme reste parfois aussi triste qu'avant. Mais avant, la dépression
existait-elle ?
Bérégovoy se suicide (arme à feu). Auroux se jette dans la Loire, dans un
accès mélancolique, les paysans se morfondent dans leur campagne de plus en
plus déserte, et ne rêvent qu'à trouver des cordes pour se pendre.
La musique contemporaine (inécoutable, incompréhensible, grinçante, sans
mélodie) est toujours écrite selon un mouvement lent, triste, le
violoncelle est toujours là, avec son son grave et triste. Serait-ce
révélateur de l'état d'esprit de notre XXième siècle ? Deux millions
d'habitants dans Paris, des milliers de célibataires et de personnes âgées
qui frappent les vitres et les portes sans réponse. Vaut-il mieux vivre
jusqu'à quatre vingt dix ans dans un confort irréprochable où tout est
aseptisé, fabriqué d'avance, mâché d'avance, ou vivre jusqu'à soixante ans
au XIIième siècle à construire des cathédrales, quitte à ce qu'un bloc de
pierre m'abrège la vie subitement.
Les progrès de la science sont une avancée pour les hommes, mais pas pour
l'individu isolé.
La haine du Moyen Âge a été remplacée par une indifférence entre les
individus (un routier russe a été trouvé mort aujourd'hui sur un parking de
l'autoroute A10, après un malaise dans sa cabine ; il y est resté un mois
avant qu'on ne le découvre).
Je suis décidément foutrement moyen-âgeux. Samedi 8 mai 1993
Écrire un mini journal sur la Turquie sur un carnet acheté en Hongrie
aprè