le débat sur la croissance économique en suisse - HEC Lausanne

La croissance tendancielle du PIB réel est importante parce que l'évolution de l'
emploi et du chômage sur le territoire du pays lui est largement liée. Le
deuxième type ... En procédant de même pour la balance des revenus de
facteurs, on obtient finalement ce que nous appellerons le revenu national brut
corrigé ou RNBC.

Part of the document


LE DÉBAT SUR LA CROISSANCE ÉCONOMIQUE EN SUISSE QUELLES CONCLUSIONS ? Jean-Christian Lambelet[1] et Claudio Sfreddo[2]
1. Introduction « La Suisse souffre d'un déficit de croissance chronique, au point d'être
la lanterne rouge du monde industrialisé ». Cette idée est aujourd'hui
largement reçue dans le pays, suite entre autres au rapport sur la
croissance du Seco publié en 2002[3] ainsi qu'à d'autres ouvrages récents,
comme par exemple celui de Borner-Bodmer[4]. Elle sous-tend aussi le train
de mesures proposées par le Conseil fédéral pour revigorer la croissance
économique en Suisse. Des voix critiques - et apparemment dissidentes - se sont cependant
manifestées, émanant entre autres d'Ulrich Kohli (l'économiste en chef de
la BNS)[5], du KOF/EPFZ[6] et aussi, dans une moindre mesure, des
soussignés[7]. Selon ces voix, la croissance serait, pour diverses raisons,
significativement sous-estimée en Suisse par rapport à d'autres pays
industrialisés ; ou elle ne serait pas significativement différente de la
croissance dans la plupart d'entre eux, du moins en Europe. Ces divergences de vues - ou prétendues telles - sont apparues au grand
jour lors d'une conférence sur le thème de la croissance en Suisse
organisée par Avenir Suisse à Zurich le 4 mars 2005. A sa suite, de
nombreux médias ont conclu, un peu trop rapidement, que « les économistes
ne sont pas d'accord entre eux ». Certains, au Parlement et ailleurs dans
le monde politique, sont allés plus loin. Selon eux, la réalité serait
qu'en fin de compte « tout va très bien en Suisse, Madame la Marquise »,
les mesures proposées par le Conseil fédéral étant par conséquent
superflues. La présente étude ambitionne de montrer que les divergences de vues sur la
croissance en Suisse n'ont guère lieu d'être, les uns et les autres parlant
souvent de choses différentes. Notre but est donc de proposer une synthèse
et aussi d'essayer de remettre - comme on dit - l'église au milieu du
village. 2. Types de croissance Partout et toujours, on parle de « la » croissance économique. En réalité,
cependant, il y a au moins deux types de croissance à considérer, des types
qui reflètent des perspectives différentes et qui n'ont pas la même
signification économique. Le premier type de croissance, le plus commun, se fonde sur le produit
intérieur brut réel (PIB), c'est-à-dire une mesure - certes imparfaite - du
volume physique de la production de biens et de services réalisée sur le
territoire du pays avec des ressources nationales ou étrangères (surtout le
capital étranger investi dans le pays).[8] Il s'agit donc d'une notion
géographique ou territoriale. La croissance tendancielle du PIB réel est
importante parce que l'évolution de l'emploi et du chômage sur le
territoire du pays lui est largement liée. Le deuxième type de croissance, moins connu, se focalise sur le revenu
national brut réel (RNB) de la population résidante, soit un indicateur -
tout aussi imparfait - de son bien-être matériel. Le RNB,[9] mais non le
PIB, inclut le solde des revenus des facteurs de production (surtout le
capital) reçus de et versés à l'étranger. Si ce solde est positif et élevé,
comme c'est le cas de la Suisse en raison de sa vaste fortune nette à
l'étranger, le RNB sera nettement plus grand que le PIB. Et si ce solde
réel croît plus vite, en termes réels, que les autres agrégats constituant
le PIB réel, le RNB réel croîtra plus rapidement que le PIB réel. Jusqu'ici, rien de neuf par rapport à la comptabilité nationale officielle.
Celle-ci ignore cependant l'effet, sur le bien-être matériel de la
population résidante, d'un changement dans les termes de l'échange, c'est-à-
dire une évolution divergente des prix à l'importation et à l'exportation.
Si ces termes s'améliorent, avec des prix à l'exportation qui augmentent
plus rapidement que ceux à l'importation, le bien-être matériel de la
population s'accroîtra en effet plus vite qu'indiqué par le RNB réel.
Pourquoi ? Parce que, dans la comptabilité nationale officielle, les exportations
nominales sont « défla-tées » par un indice de prix pour les exportations
alors que les importations le sont par un indice de prix des importations,
ce qui se justifie lorsqu'il s'agit de mesurer le volume physique de la
production, c'est-à-dire le PIB réel. Du point de vue du bien-être
matériel, cependant, il est plus sensé de déflater les exportations
nominales par l'indice de prix des importations, ce qui donne le volume de
biens importés que le pays pourrait consommer et investir avec le produit
de ses exportations ; ou, de manière à peu près équivalente, de déflater
par l'indice de prix des importations la différence entre les exportations
et les importations nominales de biens et de services, c'est-à-dire la
balance commerciale nominale. On obtient ainsi une balance commerciale
réelle corrigée qu'on additionne aux autres composantes du PIB réel. A noter que cette problématique est particulièrement importante pour la
Suisse qui, grâce à des industries d'exportation spécialisées et en général
très performantes, a connu ces dernières décennies la plus forte
amélioration des termes de l'échange dans tout le monde industrialisé.
(Pour une « parabole » explicative de la problématique, voir l'encadré ci-
dessous). En corrigeant le PIB réel comme indiqué plus haut, on obtient ce que
l'anglais appelle le real command GDP (GDP = PIB), un agrégat aujourd'hui
couramment utilisé en macroéconomie internationale.[10] Comme on le verra
au paragraphe suivant, il est cependant plus pertinent, du point de vue du
bien-être matériel et donc du RNB, de déflater la balance commerciale
nominale non pas par l'indice de prix des importations, mais par l'indice
de prix général pour les marchés intérieurs, ce qui a été fait pour obtenir
les résultats discutés plus loin. En procédant de même pour la balance des
revenus de facteurs, on obtient finalement ce que nous appellerons le
revenu national brut corrigé ou RNBC.
A noter enfin que toute la problématique tourne autour de la procédure de
déflation. S'il s'agit de mesurer (approximativement) le bien-être matériel
actuel de la population, il suffit de considérer les dépenses réelles pour
la consommation privée et collective. En y ajoutant l'in-vestissement réel,
on tient aussi compte de l'évolution future de cette consommation. Reste le
solde de la balance commerciale et celui de la balance des revenus.
Supposons que l'ensemble de ces soldes soit positif en termes nominaux,
comme c'est très régulièrement le cas en Suisse. Ce solde consolidé
constitue nécessairement un prêt consenti à l'étranger ou, si l'on préfère,
un accroissement de la fortune extérieure du pays. Comment déflater ce
solde ? Là est toute la question. En le déflatant par l'indice de prix
moyen des trois grandes catégories de dépenses à l'intérieur du pays
(consommation privée, investissement, dépenses de l'État), comme nous
l'avons fait pour le RNBC, on admet que le meilleur moyen de passer d'une
grandeur nominale à une grandeur réelle est de calculer le volume de biens
et de services que ce solde nominal pourrait acheter s'il était dépensé à
l'intérieur du pays.
DEUX TYPES DE CROISSANCE : UN EXEMPLE FICTIF, DIDACTIQUE ET TRÈS
SIMPLIFIÉ[11]
Qu'on veuille bien s'imaginer une petite économie ouverte et
ultra spécialisée qui ne produit, avec ses ressources propres,
qu'un seul bien : des semi-conducteurs d'une qualité tenue
constante[12] - ou, pour faire court, des « chips ». Ceux-ci sont
tous vendus à l'étranger à un prix déterminé sur le marché mondial.
La demande internationale pour les chips étant forte, le volume
physique de la production dans ledit pays, c'est-à-dire la quantité
de chips, augmente à un rythme soutenu. Il en va donc de même pour
son PIB réel. Comme l'emploi est lié avant tout à la croissance de
la production, il n'y aura vraisemblablement pas ou peu de sous-
emploi dans ce pays.
Par ailleurs, tout ce que ce pays ultra spécialisé consomme
doit nécessairement être importé de l'étranger, à des prix dont on
va admettre qu'ils restent constants. Imaginons maintenant que
d'autres pays produisent et exportent aussi de ces chips, en
quantités croissantes de sorte que leur prix sur le marché mondial
baisse régulièrement et fortement. Si cette baisse de prix est plus
grande que l'augmentation du volume des chips exportés par le pays
en question, ce dernier ne pourra importer avec le produit de ses
exportations qu'une quantité toujours plus faible des biens qu'il
consomme.
Le revenu réel du pays, indicateur de son niveau de vie et de
son bien-être matériel, baissera donc : à une croissance positive
de son PIB réel s'opposera une croissance négative de son revenu
réel ! Pourquoi ? Essentiellement, parce que les termes de
l'échange du pays se sont fortement détériorés. Bien entendu, la
situation inverse se produira si ces termes s'améliorent. 3. PIB et RNCB réels - En Suisse Le graphique 1 ci-après confirme qu'en 1970-2003 le RNBC réel de la Suisse,
calculé de la manière indiquée plus haut, a augmenté davantage que son PIB
réel.[13] Autrement dit, le bien-être matériel de la population résidante a
crû nettement plus v