Novembre 2009 ? Numero 85 ? ? L e s P u b l i c a t i o n s d e La ...

Et l'on s'oublie, dans le silence et la fraîcheur, à considérer ce décor immuable
depuis des siècles. Voici, à quelques pas du rempart, le c?ur même du vaste
empire, le grand ressort de son gouvernement et de sa politique, l'usine à
diplômes, l'emplacement réservé aux examens solennels, aux concours
triennaux ; une ...

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[pic] . Novembre 2009 . Numero 85 .
. L e s P u b l i c a t i o n s d e La Gauche C a c t u s ! .
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IDENTITE : DRÔLE DE FIERTÉ ! * EDITO PAR JEAN-LUC GONNEAU
Dans une contribution parue dans le journal Le Monde du 4 novembre, autant
dire au même moment que M. Besson lançait, sur ordre du Chef, un « grand
débat » sur l'identité nationale, Madame Sylvie Goulard, députée
européenne, énonçait les valeurs qu'elle considérait comme fondamentales
pour l'Europe. L'Europe, écrit-elle, n'est pas seulement un grand marché,
mais aussi « la suprématie du droit, la liberté, la démocratie, la
solidarité ». Rien que ça, que rappellent, selon elle, les traités
successifs. Madame Goulard a raison. Encore faudrait-il préciser les périmètres dans
lesquels ont cours ces «valeurs». De même que les valeurs qui fonderaient
l' « identité nationale » ne peuvent avoir de sens que si on les confronte
aux réalités. Revenons aux valeurs dont Madame Goulard pare l'Europe.
Suprématie du droit ? Peut-être, mais de quel droit s'agit-il ? Du droit
des entreprises à s'affranchir des règles sociales nationales les plus
avancées, comme le montrent plusieurs arrêts de la cour de justice
européenne ? Du droit de chaque pays à défendre, créer, développer les
services publics qui lui conviennent ? La notion même de service public est
étrangère à l'Europe institutionnelle. Du droit à un salaire minimum ?
Presque un gros mot en novlangue européenne. Liberté ? Certes l'Europe
échappe au joug totalitaire, mais nous constatons, en tant qu'européens,
que l'Union est devenue une machine à interdire tout ce qui n'est pas
conforme aux intérêts des entreprises industrielles et financières et, en
tant que français, que cette industrie de l'interdiction est poussée chez
nous avec enthousiasme par nos gouvernants. La liberté, Julien Coupat et
ses amis doivent en avoir une idée, concrète, bien différente des discours
européens ou nationaux. Sans parler des trois afghans renvoyés vers le
chaos, dont on pressent bien qu'ils sont considérés comme des cobayes : si
« ça passe » pour ces trois là, il y en aura d'autres, et bien plus
nombreux. Démocratie ? Là encore, si nous sommes loin du totalitarisme,
relevons que les démocraties européennes ne sont souvent que partielles.
Ici et là (notamment ici, en France), les règles électorales sont arrangées
au profit de la classe politique dominante. Chez nous, le projet de réforme
des scrutins locaux est fabriqué pour éliminer pratiquement tous les
partis, sauf les deux dominants : démocratie partielle, à l'anglo-saxonne.
La solidarité ? Parlez-en aux roms de certains pays de l'est européen.
Parlez-en aux exclus qui prolifèrent dans cette Europe « solidaire », et
dont les pouvoirs sis à Bruxelles se contrefichent. Ils n'ont pas, eux, de
lobbyistes permanents autour de la rue de la Loi. Le débat de M. Besson se situe dans ce cadre là. Et comme « débat », ça
commence bien : le site officiel qui lui est dévolu, et qui invite les
citoyens à s'exprimer sur la question, est, comme on dit, « modéré » :
toute contribution un brin dérangeante pour la version gouvernementale de
l'identité nationale (celle de la « terre qui ne ment pas » chère aussi à
Philippe Pétain) est passée à la trappe. Comme le disait M. Besson, non
sans mépris, lors d'un émission télévisée face à des contradicteurs, dont
le philosophe Michel Onfray : « Je vois que vous donnez d'entrée dans la
nuance et la subtilité ». Figure rhétorique déstabilisatrice bien connue :
on dévalue d'entrée tout ce que pourra dire le contradicteur. Le subtil et
nuancé, c'est moi, veut dire M. Besson. Ce qui ne saute pas aux yeux.
Malhonnêteté intellectuelle ? La formule n'est pas trop forte. Le but de la man?uvre est double : un non-dit, piquer des voix à ceux qui
seraient tentés par un vote à l'extrême droite, et un assumé : faire que
les français soient fiers d'être français. Quelle idée ! Que vient faire la
fierté là dedans ? On peut éprouver de l'amour, ou de la tendresse, pour
son pays, sa culture, son histoire, ses paysages, son patrimoine. Ce qui
n'empêche pas de conserver son sens critique. Lorsque Nicolas Sarkozy
annonçait vouloir en finir avec la repentance, il cultivait l'ambiguïté :
il y a lieu de distinguer la repentance, aussi inutile que la fierté, de la
lucidité sur les erreurs, voire les crimes du passé. Et du présent. Comment
être « fier » d'un pays qui est présidé par un Nicolas Sarkozy qui torpille
les services publics, démantèle la justice, distribue les privilèges,
protège les puissants (ah ! ce bouclier fiscal !). Faut-il cependant fuir
ce débat ? Nous ne le pensons pas. Renommons-le plutôt : sur quelle valeurs
concrètes nous reconnaissons-nous ? Quelles conséquences concrètes en
tirons-nous ? Comment peut-on aujourd'hui concilier des particularités
nationales avec l'universalisme dont la république française a été le porte-
voix ? Voilà à notre sens des questions utiles, utiles au pays, utiles à la
gauche. Dans ce numéro, on trouvera sur le même sujet une contribution, lyrique,
d'Elodie Tuaillon, que nous accueillons avec plaisir, une interrogation de
Jacques Broda à propos de la classe ouvrière et des suicides au travail,
thème également développé par Yann Fiévet, un mode d'emploi goguenard de
Gérard Belorgey à propos de la « réforme » avant que le même nous
entretienne de l'impuissance démocratique face à la mondialisation. Rémi
Aufrère analyse les problèmes sociaux qui s'accumulent à la SNCF, François
Esquer plaide pour Mayotte. Et bien sûr Jacques Franck poursuit ses
chroniques acides du sarkozysme. Et en bonus, un dessin de Christian
Gautier !
Bonnes lectures! * L'(auto)Extermination de la Classe Ouvriere
PAR JACQUES BRODA Il y a vingt ans, à Marseille nous inaugurions un colloque : 'Travail et
Santé Mentale', nous pointions déjà à l'époque les atteintes à la santé
psychique dans un article : 'Pression, répression, dépression'.(1) Nous
étions au début de la grande opération d'(auto)-extermination salariale,
via le chômage, la (sur)charge de travail, la mobilisation psychique, la
précarisation de tous les rapports sociaux, la régression des organisations
de classe, et du parti communiste comme vecteur identitaire. Vingt ans de
recherches dans les quartiers populaires, les cités, le Secours Populaire,
les jeunes étudiants, vingt ans de quêtes et d'enquêtes me conduisent au
concept d'auto-extermination. Il me semble supérieur à la notion de santé
mentale ô combien dépassée, à la notion de souffrance au travail, cette
dernière évacue dans son énoncé les rapports sociaux, se contente des
relations salariales. Aucune analyse ne saurait évacuer la violence de
l'exploitation de l'homme par l'homme ; c'est à partir de ce rapport qu'il
faut interroger la déferlante actuelle. Le sens du travail ne se confine
pas à la sphère limitée de l'atelier, du bureau, du groupe des pairs, du
collectif, des petits chefs et des pressions hiérarchiques. La spoliation
généralisée - jusqu'à l'extermination - c'est le travail du capital. L'extermination par le travail et dans le travail est mise en jeu à partir
des trois formes d'extraction de la plus value : plus-value absolue, plus-
value relative, plus-value extra. Dans la mondialisation, ces trois formes
d'extraction sont mises simultanément à l'?uvre à partir des modes de
management essentiellement basés sur l'évaluation et le contrôle des
activités humaines, insupportables aux sujets vivants. J'ajouterai une
quatrième plus-value, la plus-value intégrale, celle qui totalise les trois
classiques plus une plus-value qui s'obtient par l'appropriation de toutes
les capacités humaines : physiques, cognitives, psychiques, voire
inconscientes. Le travailleur sollicité corps et âme, s'engage à fond sous
les fourches caudines du capital, avec la capacité d'intégrer toutes les
formes d'exploitation en une seule, jusqu'à son intégrité singulière. La
plus-value intégrale c'est l'exploitation jusqu'à la mort du désir. Quand
la mort du sujet et du collectif sont le c?ur du rapport social, nous
parlerons d'(auto)-extermination. Depuis trente ans les stratégies capitalistes ont visé à la destruction des
organisations et des syndicats de classe, des partis révolutionnaires
porteurs d'un projet d'émancipation. Sans utopie, sans idéal, sans une
transcendance politique du travail et de l'acte au travail, le travailleur
se retrouve seul, nu. On assiste alors à un long processus de dégradation,
de découragement, de renoncement, de trahisons voire de corruptions quant
aux idéaux et aux projets universels qui dépassent très largement la
question de la maîtrise de son espace de travail, de sa ligne de profit.
Cette contradiction qui se loge au sein de la valeur, Marx la désigne comme
travail abstrait. La distorsion cosmique entre travail concret et travail
abstrait signe la crise d(a)u travail. La perte de sens, de dignité, la soumission aux pressions ne peuvent être
combattues qu'en liquidant le Capital comme forme de domination généralisée
du travail et du travailleur. Quand plus rien ne fait sens, quand le sens
de son existence surinvestie dans le travail s'effondre, quand les
adhésions imaginaires aux logiques managériales se dévoilent dans leurs
cruautés, le sujet s'effondre, dans un face à face mélancolique avec la
seule instance qui ne le trahit pas : la mort. Les suicides au travail, sont la face immergée d'un iceberg. Il