L'offre et la demande - FLE Asso

Pour Della Spina (1683) l'ami qui recommande un maître de français croit « qu'il
..... Selon une procédure qui préfigure nos modernes exercices structuraux, ...

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L'offre et la demande André Reboullet Le Comte Antoine Rivarol (ou de Rivarol) n'avait pas la tête sociologique.
S'il l'avait eue, à la première question du célèbre concours de l'Académie
de Berlin : « Qu'est-ce qui a fait la langue française la langue
universelle de 1'Europe ? » il aurait, dans sa réponse, pressenti qu'une
langue est, aussi, un produit culturel ; que sa diffusion hors frontière
fait l'objet d'échanges, de transactions ; en d'autres termes que son
apprentissage suppose vendeurs et clients, offre et demande. Quelques-uns des concurrents avaient entrevu cette dimension. Ainsi le
concurrent n. 14 fait-il observer que « le Français le moins cultivé se
croit habile en ce métier [maître de langue] et, bien qu'il sache à peine
lire et surtout écrire sa propre langue, ses fanfaronnades lui attirent
toujours quelques élèves ». Toujours aussi aimable, il continue en
expliquant comment l'offre contribue à créer la demande : « Un nouveau
maître est arrivé. Comme, suivant les préjugés de la foule, le plus nouveau
est le meilleur, le jeu commence. C'est ainsi qu'une fois engagés les
élèves continuaient et que les déserteurs eux-mêmes devenaient des
colporteurs de français. »[1] Le concurrent n. 2 évoque « l'abondance des
maîtres français »[2]. Selon le concurrent n. 6, une des six causes
principales du succès du français est la Révocation de l'Édit de Nantes[3].
Il rejoint, sur ce point, Madame de Charrière qui interroge : « A qui la
France doit-elle cet agréable empire qu'elle exerce bien plus sur
l'Angleterre, l'Allemagne et la Hollande que sur l'Italie et l'Espagne... »
et répond : « ...à qui, si ce n'est à ses réfugiés répandus dans tous les
pays protestants ? »[4] Des maîtres de français, qu'ils fussent des incapables, des « inconnus qui
battent l'estrade et frappent à la porte »[5] (Sorel) ou des huguenots
consciencieux et relativement instruits, se sont offerts en Europe, ont
suscité la mode et la demande et y ont répondu. Cause seconde de la très
relative « universalité » mais cause indispensable ; insuffisante mais
nécessaire. Si Antoine Rivarol avait eu la tête pédagogique, s'il avait eu seulement la
curiosité de feuilleter un des outils avec lesquels, hors de France, du
XVIe au XVIIIe siècle on enseignait et on apprenait le français : les
« colloques » ou dialogues, il serait arrivé, ce faisant, à des conclusions
voisines. Car dans ces colloques, qui font l'objet d'un ouvrage autonome ou
complètent une grammaire, les auteurs traitent presque toujours les mêmes
sujets : le voyage, le repas et la nuitée à l'auberge, l'achat et
l'essayage d'un costume... la négociation entre un maître de français et un
adulte qui veut apprendre le français ou le faire apprendre à son fils.
Dans ce dernier sujet, comme dans les précédents, l'auteur prend appui sur
la vie quotidienne de son « écolier ».
Un archétype
Pour illustrer notre propos, l'un des plus anciens dialogues semble plus
complet et plus réaliste que beaucoup d'autres. Son auteur, Claude de
Sainliens ou Claude Holyband comme on voudra, un émigré protestant vivant à
Londres au XVIe siècle, en a donné deux versions voisines : l'une dans The
French School Master (1573), l'autre dans The French Littleton (1576). Nous
choisirons cette dernière, dans l'édition de 1609, telle qu'elle a été
republiée par M. St. Clare Byrne[6]. L'extrait proposé est le début du
premier dialogue intitulé « Des Escholiers et Eschole » ; il se découpe en
quatre séquences. La première met en scène trois personnages : le père, son
fils Jehan et un voisin[7]. Le voisin Dieu vous doint bon jour Monsieur :
Le père Bon jour compère : bon jour commère : Dieu vous doint bon jour
et bon an.
Le voisin Et à vous aussi : où allez vous si matin ? Où menez vous votre
fils ?
Le père Je le conduy à l'eschole, pour apprendre à parler Latin et
François : car il a perdu son temps, jusques à présent : et vous
scavez bien qu'il vauldroit mieulx n'estre point nay, que de
n'estre point enseigné : ce qui est très véritable.
Le voisin Vous dites vray : il est vray certes : mais où va-t-il à
l'eschole ?
Le père Au cymetière de Saint-Paul, à l'enseigne de la boule d'or : il
y a là un François, qui enseigne les deux langues : à savoir la
Latine, et la Françoise : et qui fait son debvoir.
Le voisin C'est le principal : car il y en a qui sont fort négligens et
paresseux : et quand ils ont prins argent contant / devant la
main[8], ils ne se soucient pas beaucoup, si leurs escholiers
profitent ou non.
Le père Ce sont gens de mauvaise conscience : cela est comme une espèce
de larcin.
Le voisin Qui en doubte ? Comment s'appelle-t-il ?
Le père Je ne scay certes, je l'ay oublié.
Le voisin Jehan, comment s'appelle ton maîstre ?
Jehan Il s'appelle M. Claude de Sainliens.
Le voisin Est-il marié ? de quel païs est-il ?
Jehan Il est François : il a femme et enfans. En terme de théâtre, cette séquence serait dite d'exposition. L'auteur,
très habilement, a donné la parole au père de famille et au voisin qui
expriment ce que le maître de langues n'aurait pu dire sans être taxé...
d'arrière-pensées mercantiles : l'importance de recevoir un enseignement,
l'honnêteté professionnelle de C. de Sainliens. Cette séquence fournit
aussi des précisions utiles sur le lieu de l'école, l'état civil du maître
et, surtout, sa nationalité (« il est François »). La deuxième séquence
commence à l'arrivée à l'école. Le voisin a disparu, le maître apparaît.
Le père Dieu vous garde Monsieur.
Le maître Monsieur Dieu vous doint bonne vie et longue.
Le père Vous prenez grand peine après ces enfans.
Le maître Il n'y a remède : il fault prendre peine pour gaigner les
despens / nostre vie.
Le père C'est bien faict : je vous ai icy amené mon filz, vous priant
de prendre un peu de peine à l'enseigner, à fin qu'il apprenne à
parler François, et lire et écrire.
Le maître Je feray tout ce qu'il me sera possible, tant pour m'acquitter
de ma charge, que pour mon honneur et louänge.
Le père Vous dites bien : que prenez-vous par sepmaine ? mois ?
quartier ? an ?
Le maître Un sol la semaine : un escu, un noble le mois : un real le
quartier : cinquante solz l'an.
Le père C'est trop, vous estes trop cher.
Le maître Si c'est trop, rabbatez en : mais je vous diray une chose, que
si vostre filz apprend bien, ce n'est pas trop : mais s'il
n'apprend rien, encore que je l'enseignasse pour un gros le
mois, ce serait trop cher pour vous et luy.
L'action est nouée : le problème majeur est abordé, celui du prix. Le père,
un négociant sait « marchander ». Le maître ne proteste pas (Si c'est trop,
rabattez-en) mais sait trouver l'argument qui convaincra : la bonne qualité
vaut son prix, la mauvaise est toujours trop chère. Avant de s'engager définitivement, le père cherche à en savoir davantage
sur les qualités professionnelles et les résultats de l'enseignement du
maître. Le suspens est maintenu dans cette troisième séquence.
Le père Appelez-moy ce garçon qui est là au coin : Gabriel, avez-vous
esté loingtemps icy ? Combien avez vous icy esté ?
Gabriel Environ demy an Monsieur : un mois : quinze jours : huict
jours : un an.
Le père Scavez vous parler François ? Latin ? Anglois ? Italien ?
Espagnol ? Aleman ? Escossois ? Parlez vous bon François ? / bon
Latin /...
Gabriel Ouy Monsieur : un peu Monsieur : tellement quellement : non pas
encor fort bon.
Le père Quel livre vous lit vostre maistre ?
Gabriel Comme ses escholiers sont capables : aux uns il lit Terence,
Virgile, Horace, les offices de Cicero ; aux autres Cato,
Pueriles, leurs Accidens, leur grammaire : selon leur capacité :
quant à moy, j'apprends seulement François, à lire et escrire :
et aucune fois à chiffrer.
Quatrième séquence, le dénouement. Le père a pris sa décision et règle avec
le maître les derniers détails.
Le père Monsieur de Sainliens, regardez un peu de près à mon filz : il
est un peu dur d'esprit / d'entendement / de mémoire : il est
honteux / mignard / mauvais / menteur, désobéissant à père et à
mère : corrigez toutes ces faultes et je vous recompenserai :
tenez, je vous advancerai le quartier : / je vous payerai le
quartier avant la main.
Le maître Je vous remercie ; a-t-il un sac ? un sachet ? des livres, de
l'ancre, plumes et papier ?
Le père Non, mais je lui vay acheter un escritoire / un canivet / un
trenche plume / un ganivet et tout ce qu'il lui faut[9].
Le bourgeois réaliste est très soucieux que son fils bénéficie de quelques
attentions particulières de la part du maître ; en contrepartie, en homme
qui sait la valeur de l'argent, il propose l'avance des frais d'écolage du
trimestre.
L'extrait reproduit permet d'établir la double fonction du thème « l'offre
et la demande ». a) fournir les éléments qui composent un prospectus, une annonce
publicitaire (car l'auteur est aussi un maître de françois en exercice) :
- le nom du maître ;
- le lieu où il exerce : le cimetière de Saint-Paul était le quartier
des imprimeurs et le centre de la ville de Londres ;
- le contenu de son enseignement : le