ZOLA, Un Mariage d'amour

Les trois jeunes filles trouvent le moyen de hâter ce mariage. ...... feu) étaient d'un
maniement malcommode et échappaient à tout contrôle. ...... du ''Sun'' refit son
voyage ; dans les années 1930, Cocteau se livra à l'exercice. ...... Le 22
décembre, Zola critiqua sévèrement le succès de Jules Verne dans ''Le Figaro
littéraire''.

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Un mariage d'amour
Michel avait vingt-cinq ans lorsqu'il épousa Suzanne, une jeune femme
de son âge, d'un( maigreur nerveuse, ni laide, ni belle, mais ayant dans
son visage effilé deux grands beaux yeux qui allaient largement d'une tempe
à l'autre. IL vécurent trois années sans querelles, ne recevant guère que
Jacques, un ami du mari, don la femme devint peu à peu passionnément
amoureuse. Jacques se laissa aller à la douceur cuisante de cette passion.
D'ailleurs, la paix du ménage ne fut pas troublée ; les amants étaient
lâches, et reculaient devant la certitude d'un scandale. Sans en avoir
conscience, ils en arrivèrent lentement au projet de se débarrasser de
Michel. Un meurtre devait tout arranger, en leur permettant de s'aimer en
liberté et selon la loi
Un jour, ils décidèrent le mari à faire une par lie de campagne2. On
alla à Corbeil3, et là, lors que le dîner eut été commandé, Jacques proposa
et fit accepter une promenade en canot sur la Seine. Il prit les rames et
descendit la rivière. tandis que ses compagnons chantaient et riaient comme
des enfants.
Quand la barque fut en pleine Seine, cachée derrière les hautes
futaies4 d'une île, Jacques saisit brusquement Michel et essaya de le jeter
à l'eau. Suzanne cessa de chanter ; elle détourna la tête, pâle, les lèvres
serrées, silencieuse et frissonnante. Les deux hommes luttèrent un instant
sur le bord de la barque qui s'enfonçait en craquant. Michel, surpris, ne
pouvant comprendre, se défendit, muet, avec l'instinct d'une bête qu'on
attaque; il mordit Jacques à la joue, enleva presque le morceau, et tomba
dans la rivière en appelant sa femme avec rage et terreur. Il ne savait pas
nager.
Alors Jacques, prenant Suzanne dans ses bras, se jeta à l'eau de façon
à faire chavirer la barque. Puis il se mit à crier, à appeler au secours.
Il soutenait la jeune femme, et, comme il était excellent nageur, il
atteignit aisément la rive, où plusieurs personnes se trouvaient déjà
rassemblées.
La terrible comédie était jouée. Suzanne, évanouie et froide, gisait
sur le sable ; Jacques pleurait, se désespérait, implorant de prompts
secours pour son ami. Le lendemain, les journaux racontèrent l'accident, et
les amants ayant toujours été aussi prudents que lâches, la pensée qu'un
crime avait pu être commis ne vint à personne. Jacques en fut quitte pour
expliquer la large morsure de Michel, en disant qu'un clou de la barque lui
avait déchiré la joue.
Il fallait attendre au moins treize mois. Les amants s'étaient
concertés à l'avance et avaient décidé qu'ils agiraient avec la plus grande
prudence. Ils évitèrent de se voir ; ils ne se rencontrèrent que devant
témoins.
Le moindre empressement aurait peut-être éveillé les soupçons.
Jacques, pendant les huit premiers jours, alla régulièrement à la
Morgue6 chaque matin.
Quand il eut retrouvé et reconnu sur une des dalles blanches le
cadavre de Michel, il le réclama au nom de la veuve et le fit enterrer. Il
avait commis froidement le crime, et il éprouva un frisson d'épouvante en
face de sa victime, horriblement défigurée, toute marbrée de taches bleues
et vertes. Dès lors, il eut toujours devant les yeux le visage gonflé et
grimaçant du noyé.
Dix-huit mois s'écoulèrent. Les amants se virent rarement; à chaque
rencontre, ils éprouvèrent un étrange malaise. Ils attribuèrent cette
sensation pénible à la peur, à l'âpre désir qu'ils avaient d'en finir avec
cette funèbre histoire, en se mariant et en goûtant enfin les douceurs de
leur amour. Jacques souffrait surtout de sa solitude; les dents de Michel
avaient laissé sur sa joue des traces blanches, et il semblait parfois au
meurtrier que ces cicatrices brûlaient sa chair et dévoraient son visage.
Il espérait que Suzanne, sous ses baisers, apaiserait la cuisson des
terribles brûlures.
Quand ils crurent avoir assez attendu, ils se marièrent, et toutes
leurs connaissances applaudirent. Ils goûtèrent, pendant les préparatifs de
la noce, une joie nerveuse qui les trompa euxmêmes. La vérité était que,
depuis le crime, ils frissonnaient tous deux la nuit, secoués par
d'effrayants cauchemars, et qu'ils avaient hâte de s'unir contre leur
épouvante pour la vaincre.
Lorsqu'ils se trouvèrent seuls dans la chambre nuptiale, ils s'assirent,
embarrassés et inquiets, devant un feu clair qui éclairait la pièce de
larges clartés jaunes.
Jacques voulut parler d'amour, mais sa bouche était sèche, et il ne
put trouver un mot; Suzanne, glacée et comme morte, cherchait en elle avec
désespoir sa passion qui s'en était allée de sa chair et de son coeur.
Alors, ils essayèrent d'être banals et de causer comme des gens qui se
seraient vus pour la première fois. Mais les paroles leur manquèrent. Tous
deux ils pensaient invinciblement au pauvre noyé, et, tandis qu'ils
échangeaient des mots vides, ils se devinaient l'un l'autre. Leur causerie
cessa; dans le silence, il leur sembla qu'ils continuaient à s'entretenir
de Michel. Ce terrible silence, plein de phrases épouvantées et cruelles,
devenait accablant, insoutenable. Suzanne, toute blanche dans sa toilette
de nuit, se leva et, tournant la tête
« Vous l'avez vu à la Morgue? demanda-t-elle d'une voix étouffée.
- Oui, répondit Jacques en frissonnant.
- Paraissait-il avoir beaucoup souffert ? »
Jacques ne put répondre. Il fit un geste, comme pour écarter une
vision ignoble et odieuse, et il s'avança vers Suzanne, les bras ouverts.
« Embrasse-moi, dit-il en tendant la joue où se montraient des marques
blanches.
- Oh ! non, jamais..., pas là ! » s'écria Suzanne qui recula en
frémissant.
Ils s'assirent de nouveau devant le feu, effrayés et irrités. Leurs
longs silences étaient coupés par des paroles amères, par des reproches et
des plaintes.
Telle fut leur nuit de noces.
Dès lors, un drame navrant se passa entre les deux misérables. Je ne
puis en raconter tous les actes, et je me contente d'indiquer brièvement
les principales péripéties.
Le cadavre de Michel se mit entre Jacques et Suzanne. Au lit, ils
s'écartaient l'un de l'autre et semblaient lui faire place. Dans leurs
baisers, leurs lèvres devenaient froides, comme si la mort se fût placée
entre leurs bouches. Et c'étaient des terreurs continuelles, des effrois
brusques qui les séparaient, des hallucinations qui leur montraient leur
victime partout et à chaque heure.
Cet homme et cette femme ne pouvaient plus s'aimer. Ils étaient tout à leur
épouvante. Ils ne vivaient ensemble que pour se protéger contre le noyé.
Parfois encore ils se serraient avec force l'un contre l'autre,
s'unissaient avec désespoir, mais c'était afin d'échapper à leurs sinistres
visions.
Puis la haine vint. Ils s'irritèrent contre leur crime, ils se
désespérèrent d'avoir troublé leur vie à jamais. Alors ils s'accusèrent
mutuellement. Jacques reprocha amèrement à Suzanne de l'avoir poussé au
meurtre, et Suzanne lui cria qu'il mentait et qu'il était le seul coupable.
La colère accroissait leurs angoisses, et chaque jour, pour le moindre
souvenir, la querelle recommençait, plus âpre et plus cruelle. Les deux
assassins tournaient ainsi comme des bêtes fauves, dans la vie de
souffrance qu'ils s'étaient faite, se déchirant eux-mêmes, haletants,
obligés de se taire.
Suzanne regretta Michel, le pleura tout haut, vanta au meurtrier les
vertus de sa victime, et Jacques dut vivre en entendant toujours parler de
cet homme qu'il avait jeté à l'eau et dont le cadavre était si horrible sur
une dalle de la Morgue. Il avait souvent des heures de délire, et il
accablait sa complice d'injures, la battait, lui répétait avec des cris
l'histoire du meurtre, et lui prouvait que c'était elle qui avait tout
fait, en lui donnant la folie de la passion.
S'il n'avait eu peur de trop souffrir, il se serait coupé la joue, pour
enlever les traces des dents de Michel. Suzanne pleurait en regardant ces
cicatrices, et le visage de Jacques était devenu pour elle un objet
d'horreur dont la vue la secouait d'un éternel frisson.
Enfin se joua le dernier acte de ce drame poignant. Après la haine, vinrent
la crainte et la lâcheté ; les deux assassins eurent peur l'un de l'autre.
Ils comprirent qu'ils ne pouvaient vivre plus longtemps dans la fièvre
du remords ; ils voyaient avec terreur leur abattement mutuel, et ils
tremblaient en pensant que l'un d'eux parlerait à coup sûr un jour ou
l'autre.
Alors ils se surveillèrent ; leurs souffrances étaient intolérables, mais
ils ne voulaient pas la délivrance par le châtiment. Ils se suivirent
partout, ils s'étudièrent dans leurs moindres actes ; à chaque nouvelle
querelle, ils se menaçaient de tout dire, puis ils se suppliaient à mains
jointes de garder le silence, et ils restaient soupçonneux et farouches.
Vie terrible, qui les traînait dans toutes les angoisses du remords et de
l'effroi.
Ils en vinrent chacun à l'idée de se débarrasser d'un complice
redoutable. Suzanne espérait vivre plus calme, lorsqu'elle ne verrait plus
la joue couturée de Jacques, et Jacques pensait pouvoir tuer son premier
crime en tuant Suzanne.
Un jour, ils se surprirent, versant mutuellement du poison dans leurs
verres. Ils éclatèrent en sanglots, leur fièvre tomba, et ils se jetèrent
dans les bras l'un de l'autre. Ils pleurèrent longtemps, demandant pardon,
comprenant leur infamie, se disant que l'heure était venue de mourir. Ce
fut là une dernière crise qui les soulagea.
Ils burent chacun le poison qu'ils avaie